La maladie du système de gouvernance: l’inertie des vieilles mentalités (opinion) - Maghreb Emergent

La maladie du système de gouvernance: l’inertie des vieilles mentalités (opinion)

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« Ce qui est ironique, désolant  et attristant, c’est lorsque les pilotes du système affirment eux- mêmes que c’est un problème de système » écrit l’auteur de cette contribution* soulignant que « le comportement du système qu’ils pilotent est la rétroaction directe de leur cadre conceptuel ».

 

 

Dans ma précédente contribution intitulée « Le triptyque de la prospérité », il a été démontré que notre pays et un pays pauvre et que cette pauvreté est un effet de diverses causes profondes. Etant porteur d’un tout autre paradigme ou cadre conceptuel que celui du système actuel, mes interventions se veulent pédagogiques afin de faire prendre conscience aux gens que notre sous-développement n’est pas une fatalité.

Loin de moi de vouloir diaboliser quiconque : un médecin ne diabolise pas les malades. Toutefois, ce que je fais c’est de taquiner les bases des systèmes dinosauriens car un système, comme un individu, s’il est dépassé par le temps ne peut prétendre améliorer le présent ni garantir le futur. Napoléon a dit : « Les bêtes parlent du passé, les sages du présent et les fous du futur. » Les futurologues sont-ils fous? Les visionnaires sont-ils fous? Les porteurs de nouveaux paradigmes sont-ils fous?

Tant que j’ai votre attention, cher lecteur, je veux explorer avec vous un certain nombre de questions relatives au verrouillage des institutions algériennes. Ce verrouillage est dû aux croyances ordinaires des dirigeants qui ne sont pas alignées avec les nouvelles croyances industrielles et institutionnelles pour une prospérité durable. Au fait, les croyances ordinaires constituent le vieux paradigme alors que les croyances industrielles et institutionnelles constituent le nouveau paradigme qui permet aux organisations de se placer dans le monde de la compétitivité industrielle et institutionnelle. Par exemple, en Algérie, le secteur institutionnel est directement en opposition à la compétitivité industrielle. En d’autres termes, en faisant de son mieux, il détruit la compétitivité industrielle.

Ce qui est ironique, désolant  et attristant, c’est lorsque les pilotes du système affirment eux- mêmes que c’est un problème de système. Humainement parlant, je ne pense pas qu’ils sachent que le comportement du système qu’ils pilotent est la rétroaction directe de leur cadre conceptuel, c’est-à-dire de leur vieux paradigme qui n’est autre que l’intégration entre leur identité, leurs croyances et leurs compétences. En d’autres termes, tout système malade n’est que le reflet de la maladie de ceux qui le pilotent. En effet, la maladie du système de gouvernance est une maladie systémique. Elle réside dans la non-intégration des matrices fondamentales de toute organisation, qui sont les aspects humains, organisationnels et techniques, c’est comme un trépied d’un tabouret. La stabilité du tabouret dépend de l’équilibre de ses trois pieds, donc le secret de la réussite ou de l’excellence opérationnelle réside dans le niveau d’intégration de ses trois matrices fondamentales. Aussi, la prospérité d’une nation ou d’une entreprise repose sur l’équilibre de trois pieds qui sont démocratie, connaissance et innovation. De même, aujourd’hui, la satisfaction des clients reposent sur l’équilibre de trois éléments : délais courts, moindre coût et grande qualité. C’est l’équilibre entre l’efficacité et l’efficience.

 

Stratégie, tactique et exécution 

 

Dans le même ordre d’idées, l’épanouissement et l’ennoblissement d’un humain réside dans l’équilibre de ce qu’il perçoit comme juste, l’honneur et la dignité ; par transitivité, son mode de pilotage génère les mesures qui conditionnent le comportement d’un système de gouvernance. Donc, les mesures d’évaluation sont la rétroaction numéro 1 du comportement d’un système et du niveau de maturité de ce qui est juste, digne et honorable. De la même façon, que ce soit pour le secteur industriel ou institutionnel, stratégie, tactique et exécution sont intimement liées et doivent être intégrées. La stratégie se rapporte au long terme, la tactique (le déploiement des moyens) au moyen terme et l’exécution au court terme en étant alignée avec la tactique et cette dernière avec la stratégie. C’est comme une boîte à vitesse à trois engrenages : si on touche à un pignon, il faut revoir les caractéristiques des deux autres afin que la boîte à vitesse reste fonctionnelle.

Mais ce qui est frappant lorsque j’écoute les gens qui incarnent la gouvernance des organisations – qu’elles soient à but lucratif ou non – est le fait qu’ils ne manquent pas de conseils sur la stratégie, c’est-à-dire le quoi. Etant porteur d’un autre paradigme, j’ai du mal à faire le lien entre les tactiques, c’est-à- dire le comment, qu’ils préconisent, et la stratégie. Il y a pénurie bien réelle concernant les tactiques nécessaires pour mettre la stratégie en place. Et, honnêtement, si nous ne savons pas les tactiques, alors comment diable peut-on vraiment connaître la stratégie qui va de pair avec la tactique ?  Stratégie et tactique sont intimement liées. Je trouve étrange qu’il ne manquent pas de conseils sur le bien-être des entreprises et des citoyens et qu’ils présentent, dans le même temps, une pénurie très apparente sur ce qui concerne les gens, c’est-à-dire les aspects humains, d’une part, et le comment-faire, d’autre part. Néanmoins, l’information existe, elle est pragmatique, Ils ont juste besoin de savoir où elle est et ils ont juste besoin de savoir comment en faire usage. Il suffit d’aller se soigner dans un hôpital comme citoyen ordinaire, d’aller prendre des cours dans une université comme citoyen ordinaire, de conduire sa voiture soi-même comme citoyen ordinaire ; de marcher dans la rue et de faire ses courses comme citoyen ordinaire, d’avoir affaire à un gardien de parking qui squatte un bien public et ensuite d’aller se plaindre à la police comme citoyen ordinaire, de demander à un policier dans un carrefour d’arrêter les voitures afin de pouvoir traverser comme citoyen ordinaire, et j’en passe. Tout cela est la réalité du quotidien sur le terrain et dans la vie de tous les jours, et cette réalité n’est autre que la vision de la réalité qui animent nos dirigeants. Tout cela est une question de personne et de mode de gouvernance.

 

Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions

 

Beaucoup pensent que les énormes building et usines, avec leurs vitres en verre, leurs machines et leurs bruits ont une existence séparée des gens. Il n’en est rien. Les dirigeants pensent que ces structures existantes sont peuplées de « travailleurs » et de « gestionnaires » qui fonctionnent comme des accessoires dans une pièce de théâtre. Ce n’est pas vrai.  Les machines, les bâtiments, les Mercedes, le bruit et le ronflement sont des accessoires.  Les gouvernants composent la musique, tous les jours ils écrivent des partitions qu’ils jouent et ensuite ils se demandent pourquoi les gouvernés n’aiment pas cette musique qui fait mal aux oreilles et utilisent leurs pouvoirs pour réprimer.

C’est avec la meilleure des intentions que les gens, les bonnes gens, ont pris notre pays nouvellement indépendant et l’ont rendu pire. Ils l’on ramené au stade de l’ère néo-païenne. Pouvez-vous l’imaginer? Serait-ce le cas aujourd’hui? Oui, dans à peu près toutes les industries et services imaginables, y compris la santé, l’éducation et le gouvernement. Sans une bonne connaissance, les gens, avec les meilleures intentions du monde, rendent les processus pires. 95% des disfonctionnements d’un système dérivent du mode de gouvernance.

En conclusion, je dirais que les dramaturges des organisations institutionnelles continuent à écrire des tragédies, et comme on dit, ce serait drôle si elles n’étaient pas si tristes.  Est-ce la seule chose dont ils savent le comment ?  Je ne le pense pas.  C’est un problème de personnes. Ce n’est pas « leur » problème mais « notre » problème.  Nous savons les choses que nous devrions faire et que nous ne faisons pas, et nous savons les choses que nous ne devrions pas faire et pourtant nous continuons à les faire.  Ce n’est pas sorcier mais cela exige de s’arrêter un moment de penser et d’être à l’écoute de ce qui se passe autour de nous.

 

(*) Ammar Hadj-Messaoud dirige les opérations de Sciquom Conseil, firme spécialisée dans l’amélioration des capacités compétitives des entreprises et des institutions. Il est consultant auprès de plusieurs entreprises dans l’implantation de processus d’amélioration continue.

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