La pêche en mer, bien loin d’être une activité paisible, est l’un des métiers les plus dangereux au monde. Les risques encourus sont multiples : naufrages, échouements, retournements, incendies, abordages, collisions, sans oublier les accidents à bord comme les chutes, les coupures, les brûlures ou encore le surmenage.
Et bien que très exposée, la profession ne bénéficie pas ou pas assez de la couverture sociale.
Selon une étude basée sur les données du ministère de la Pêche et des Productions halieutiques et de l’Office national des statistiques (ONS), la population active du secteur comptait, en 2020, 130 315 professionnels. Ces derniers opéraient dans 46 ports de pêche et plus de 60 sites d’échouage.
La flottille de pêche algérienne se composait de 3 594 navires de petits métiers (61,3 %), 1 684 sardiniers (28,7 %), 548 chalutiers (9,3 %), 27 thoniers (0,5 %) et 9 corailleurs (0,2 %). Sur le plan des accidents professionnels, les chiffres illustrent la dangerosité du métier : 27 % des incidents sont dus à des chutes ou des glissades, 22 % à des coups ou coincements, et 19,9 % à des coupures, morsures ou piqûres.
Des mesures pour une meilleure protection sociale
Un tel déphasage entre risques et couverture sociale a appelé une réaction du gouvernement. Une commission mixte réunissant le ministère de la Pêche et des Productions halieutiques et celui du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale a été instaurée en 2022.
Dans la foulée, une étude est lancée, soutenue par l’Union Européenne. Depuis, le programme Économie Bleu a permis des avancées notables, donnant accès à une grande partie des pêcheurs aux droits aux soins et aux multiples aides.
Pourtant, une proportion d’environ 40 % des professionnels demeure toujours en marge du système.
Pour bénéficier du parapluie de la CNAS, Casnos et CNR, il faut répondre à une série de critères, comme les critères techniques de l’architecture navale, validés par les garde-côtes. Comme toutes les autorisations, celle-ci ne se décroche pas aisément.
Les plus fragiles de la profession, c’est-à-dire les pêcheurs artisanaux travaillant sur de petites embarcations, peuvent encore moins y prétendre. Entre Ettaref et Annaba, le programme Economie Bleu a recensé 500 petits pécheurs sans matricule et donc sans existence légale ni couverture sociale.
Non seulement ces pêcheurs ne peuvent prétendre à aucune prestation médicale, ni pour eux ni pour leurs familles, non seulement ils ne sont pas éligibles à la CNR, mais ils se retrouvent régulièrement sans ressources ni indemnisations en période d’inactivité due aux intempéries ou lors du désarmement. Il peut durer jusqu’à 4 mois selon les espèces pêchées.
C’est par un tour de passe-passe que les plus nantis régularisent leur situation. En louant des licences de navigation de bateau de plaisance et en les armant pour la pêche, ils passent de l’ombre à la lumière. En réalité, le quota de pêche des plaisanciers est très inférieur à celui des bateaux de pêche et la vente du produit de la pêche leur est interdite. Mais ceci est une autre histoire.
Comment étendre donc de manière plus transparente la couverture sociale aux pêcheurs artisanaux ? Parmi les solutions envisagées, le statut de l’auto-entrepreneur. Facile d’accès, il pourrait permettre à cette frange de la profession de sortir sans frais de la sphère informelle.
Néanmoins, un obstacle s’érige : la pêche ne figure pas dans la liste des métiers en auto-entreprenariat. Plutôt que l’équité des droits sociaux recherchée, le projet d’inclusion sociale a ainsi davantage isolé une partie de la profession, la plus démunie et la plus fragile.
Seule une réforme pourrait corriger cette distorsion des droits, mettre tous les professionnels à égalité et concilier durabilité environnementale et durabilité sociale.
Des études comparables à celle menée par le projet Economie Bleue ont en effet démontré que les ressources halieutiques sont davantage préservées lorsque la ressource humaine est mise à l’abri des aléas de la profession.