La politique britannique envers l’Algérie : la prééminence du gaz sur les droits humains - Maghreb Emergent

La politique britannique envers l’Algérie : la prééminence du gaz sur les droits humains

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Ce texte de Hamza Hamouchene est le résumé d’un rapport qu’il a rédigé intitulé « Le renforcement des dictatures : accaparement du gaz par le Royaume-Uni et les violations des droits humains en Algérie » publié par Algeria Solidarity Campaign (ASC) et Platform. Pour l’auteur les politiques extérieures britanniques renforcent le régime algérien en donnant la priorité aux intérêts des firmes pétro-gazières sur la défense des droits humains et de la démocratie.

 

 

British Petroleum (BP) a signé sa première joint-venture en Algérie en 1995, trois ans seulement après le coup d’Etat militaire qui a annulé les premières élections législatives libres en Algérie depuis l’indépendance. La joint-venture a été signée alors qu’une guerre civile brutale faisait rage dans le pays, avec la violence systématique de l’État et des islamistes fondamentalistes.

Cette signature a défini l’engagement de BP et du gouvernement britannique avec l’Algérie au cours des vingt dernières années. Cet engagement continue à façonner le contexte actuel de torture et d’impunité, de répression et de corruption. L’empressement à pénétrer en Algérie dans les années 1990, malgré la violente répression pratiquée par l’État, indiquait les priorités de l’establishment britannique. Le Royaume-Uni a favorisé ses propres intérêts économiques et a approuver à la « sale guerre » des années 1990 du régime algérien. La même approche a été suivie depuis.

Aujourd’hui, l’Algérie est gouvernée par un régime vieillissant et un président malade, s’accrochant au pouvoir et s’en prenant à ceux qui réclament la démocratie et contestent la corruption. BP et le gouvernement britannique n’en continuent pas moins toujours d’ignorer les mouvements sociaux et la société civile préférant travailler avec les services de renseignements, entraîner les forces spéciales et renforcer la coopération militaire.

 

Pour les Britannique, l’Algérie est un important partenaire gazier

 

Le Royaume-Uni a constamment accordé la priorité aux énergies fossiles sur les droits humains et les principes démocratiques en ce qui concerne l’Algérie. Sa politique extérieure aide activement à consolider un régime extrêmement répressif et corrompu, contribuant à sa longévité.

Le gaz est actuellement partie intégrante de l’ensemble de l’approvisionnement énergétique du Royaume-Uni, produisant 40% de l’électricité en 2011[1]. Comme l’extraction domestique diminue, le gouvernement s’attend à ce que les importations représentent une proportion plus élevée de l’approvisionnement en gaz dans l’avenir.

L’Algérie possède les plus grandes réserves prouvées de gaz naturel en Afrique, est la troisième source d’importation de gaz de l’Union Européenne (UE), représentant 14% des importations de gaz et 10% de la consommation totale. Elle a été identifiée comme un marché prioritaire dans « La Politique de la sécurité énergétique» du Département de l’Énergie et du Changement Climatique britannique.[2]

Un exposé du Département britannique du Commerce et d’Investissement indique que l’Algérie pourrait fournir environ 10% de la demande en gaz du Royaume-Uni dans les années à venir, via le terminal de GNL, nouvellement agrandi, d’Isle of Grain, dans la région du Kent.[3]

La politique étrangère du Royaume-Uni a pour but de sécuriser le gaz naturel nord-africain dans les réseaux de distribution européens et britanniques et est fortement influencée par les intérêts de l’armement et de l’énergie fossile. En poussant à des exportations de gaz à long terme, dans un contexte où le public algérien est exclu du processus décisionnel et où les bénéfices sont en grande partie réservés à l’élite du régime, le Royaume-Uni poursuit une politique d’« accaparement de gaz ». Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement conservateur a œuvré à nouer des relations étroites avec le régime algérien, y compris en ce qui concerne la vente d’armes ainsi que le soutien à un rôle élargi de BP. Selon des documents obtenus par Platform, il cherche activement à accroître les importations de GNL d’Algérie et s’est efforcé de renforcer cette relation par le biais de nombreuses visites entre les deux pays et un dialogue de haut niveau sur l’énergie.

Lord Marland, envoyé spécial du Premier ministre britannique pour le Commerce et les Investissements étrangers, a visité l’Algérie deux fois en 2012, ce qui a permis à Lord Risby d’être nommé envoyé spécial pour le Commerce du Royaume-Uni en Algérie en novembre 2012. Lord Risby a derrière lui une longue histoire de promotion des accords énergétiques avec les régimes répressifs, puisqu’il a participé à des missions économiques en Azerbaïdjan en 2012 et 2013. Sans oublier, bien sûr, la création du Algeria British Business Council (ABBC, Conseil d’Affaires Algéro-Britannique), dirigé par Lady Olga Maitland.

Le gouvernement travaille étroitement avec les compagnies pétrolières internationales pour faire pression sur le gouvernement algérien afin qu’il fasse de nouvelles concessions destinées à attirer les entreprises étrangères. Par exemple, une table ronde a été organisée par le Foreign Office en avril 2013 pour permettre aux sociétés pétrolières, telles que BP, Shell, ExxonMobil, Hess, OMV et Petroceltic, de promouvoir leurs intérêts quant aux modifications à la loi algérienne des hydrocarbures.

Par ailleurs, les responsables du Département de l’Énergie et du Changement Climatique britannique ont discuté avec le ministre algérien de l’Energie, Youcef Yousfi, l’idée que l’Algérie s’éloigne des contrats de gaz indexés sur le pétrole, généralement favorisés par les producteurs de gaz, vers une indexation du type « Hub-Linked ». Il existe également un risque que le Royaume-Uni étende son actuelle politique d’« appropriation du gaz » vers les ressources algériennes d’énergie renouvelable, notamment l’énergie solaire. L’ambassadeur britannique en Algérie, Martyn Roper, est très actif dans ce domaine depuis sa nomination en décembre 2010.

 

BP cautionne et profite de la répression

 

L’expérience algérienne des années 1990 n’était pas seulement celle d’une guerre civile horrible mais aussi de la libéralisation économique imposée par le FMI et la Banque mondiale. L’Algérie s’est ouverte aux marchés mondiaux, facilitant une bousculade pour le pétrole, le gaz et l’influence. Avec la déréglementation accrue du très important secteur énergétique, les entreprises occidentales ainsi que l’UE ont courtisé le régime algérien, signant une série de contrats lucratifs, leur garantissant une part dans les précieuses ressources du pays.

Ces manœuvres ouvrant la voie à plus d’« infitah » (ouverture néolibérale) et de contrôle extérieur sur les ressources nationales algériennes auraient été une hérésie dans les années 1960 et 1970. Mais dans les années 1990, le régime algérien, ayant désespérément besoin de crédit extérieur, s’est soumis à la Banque mondiale et au FMI. Afin d’attirer des investisseurs potentiels, le gouvernement a créé une zone d’exclusion spéciale autour des champs de pétrole et de gaz dans le Sud du pays. Ainsi, le 23 décembre 1995, BP a finalisé un contrat d’une valeur de 3 milliards de dollars, qui lui a donné le droit d’exploiter des gisements de gaz à In Salah, dans le Sahara, pour les 30 prochaines années. Le Français Total a conclu un accord similaire d’une valeur de 1,5 milliard de dollars un mois plus tard. Le 16 février 1996, la firme américaine Arco a signé un contrat de joint-venture pour opérer des forage dans le champ pétrolifère de Rhourd El-Baguel. En novembre 1996, un nouveau gazoduc fournissant du gaz à l’Union européenne a été inauguré, le gazoduc Maghreb-Europe, à travers l’Espagne et le Portugal.

Ces contrats ont, sans aucun doute, renforcé le régime, qui a pratiqué une violence systématique à travers le pays. Liées à l’Algérie, grâce à de très grands investissements, ces entreprises et l’UE avaient un intérêt évident à ce que le régime répressif ne tombe pas.Les revenus du pétrole et du gaz ont, sans aucun doute, permis la lourde militarisation et les opérations de l’appareil répressif de la police et des services de renseignements.

Suite à sa fusion avec Amoco en 1998 et l’acquisition d’Arco en 2000, BP est devenu le premier investisseur étranger en Algérie, avec plus de 5 milliards de dollars d’investissements. Son implication se concentre sur l’extraction de gaz dans deux projets d’envergure, à In Salah et In Amenas, en partenariat avec Sonatrach et Statoil Hydro, détenant une part de 33,15% dans chaque projet. Malgré les menaces de sécurité que la crise des otages à In Amenas (janvier 2013) a révélées, il demeure résolue à travailler avec le régime algérien et continue ses efforts de lobbying pour obtenir des clauses contractuelles plus favorables.

 

Tiguentourine n’a pas fait renoncer Londres à son soutien au régime algérien

 

Le rôle de l’Algérie dans la « guerre contre le terrorisme » global a été renforcé à la suite de l’attaque d’In Amenas, avec les intérêts occidentaux approfondissant la collusion avec le régime autoritaire et répressif.

Même s’ils ont critiqué la manière dont Alger a géré la prise d’otage, plusieurs dirigeants occidentaux ont continué à lui exprimer un soutien ferme et se sont engagés à accroître la coopération militaire pour éradiquer le terrorisme. Le Royaume-Uni ne fait pas exception, avec le premier ministre David Cameron promettant une réponse globale à ce qu’il a décrit, lors d’un voyage historique en Algérie, comme une « menace globale » et « existentielle » à « nos intérêts et mode de vie ». Cette visite fut la première visite, après l’indépendance, d’un Premier ministre britannique en fonction. Cameron était accompagné du conseiller à la Sécurité nationale, Kim Darroch, et de John Sawers, le chef du MI6.

Des expressions telles que la «lutte contre le terrorisme », la « coopération sécuritaire » et « nos intérêts » sont souvent des euphémismes pour des termes tels que la «militarisation » et les «accords économiques lucratifs ». Le langage fait partie d’un agenda diplomatique de la promotion des intérêts britanniques en Algérie. La même approche a caractérisé les relations britanniques avec des « amis » dictateurs, comme Ben Ali de Tunisie et Moubarak d’Egypte, qui, depuis, ont été balayés par des révoltes populaires.

 

Vente d’armes et militarisation

 

Le Royaume-Uni a été très intéressé par la vente d’armes à l’Algérie ces dernières années. L’Algérie a été répertoriée comme un « marché de priorité » par le UK Trade and Investment Defense and Security Organisation (UKTI DSO) en 2010/2011[4]. Le voyage de l’envoyé spécial Risby en septembre 2013 a eu lieu juste avant le salon controversé de l’armement, le DSEI (Defense & Security Equipment International), de Londres, l’une des plus grandes manifestations du circuit international des foires de l’armement à laquelle l’Algérie a régulièrement été invitée.

Une nouvelle étude de la Strategic Defence Intelligence (SDI) prévoit que l’Afrique du Nord va devenir un marché-clé de l’armement, avec en tête le poids-lourd militaire régional qu’est l’Algérie, qui est en train d’effectuer une mise à niveau importante de ses forces armées et de ses services de sécurité. Riche en pétrole et en gaz, ce pays va rester le premier acheteur d’armement du continent africain, tout en renforçant ses capacités de contre-insurrection. En 2012, l’Algérie a consacré 4,5% de son PIB aux dépenses militaires (1,6 milliard de dollars de plus que le secteur de la santé). L’International Institute for Strategic Studies (IISS) à Londres a observé en 2012 que parmi les exportateurs d’énergie du Moyen-Orient, les dépenses de l’armement de l’Algérie avaient augmenté de 44% en 2011. Ces dépenses ont triplé depuis 2009 et devraient atteindre 12,7 milliards de dollars en 2014, soit 6,1% du PIB et 23% de l’ensemble du budget du gouvernement.

C’est dans ce contexte que le Royaume-Uni et l’Algérie intensifient leur coopération militaro-sécuritaire, par le biais de mécanismes tels que le « Partenariat stratégique de sécurité » décidé par le Président Bouteflika et le Premier Ministre Cameron en janvier 2013. Des personnalités militaires et du renseignement de haut niveau se rencontrent pour discuter des questions de l’armement, de l’extrémisme religieux et de comment « améliorer la sécurité dans la région ». Le partenariat ouvre la voie à une augmentation de la formation militaire et à des ventes d’armes.

Déjà, en novembre 2010, Alistair Burt, le sous-secrétaire d’État parlementaire du ministère des Affaires étrangères britannique chargé de la lutte contre le terrorisme, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, a rencontré le gouvernement algérien à Alger. Il a décrit l’Algérie comme étant un « partenaire-clé » dans la lutte antiterroriste, offrant une formation et un partage de renseignement dans ce domaine. Il a ajouté que « Londres est prête à fournir à Alger des équipements militaires requis dans sa guerre contre le terrorisme, sans aucune condition préalable ».

Parmi les 303 millions de livres sterling de permis d’exportation vers l’Algérie approuvés entre 2008 et juin 2013, une valeur de 290 millions de livres a été classée comme exportations « militaires » selon une étude réalisée par Campaign Against Arms Trade (CAAT). L’armement approuvé pour la vente à l’Algérie figurait sur les listes des catégories militaires 4 et 10 (ML4 et ML10) qui couvrent les « armes légères », « grenades », « bombes » et « missiles » – et aussi les « avions, hélicoptères et drones ».

Pourquoi le Royaume-Uni met-il l’accent sur la vente d’armement et le partenariat militaire avec l’Algérie ? En dehors du soutien aux entreprises britanniques de l’armement, il s’agit de gagner le « coeur et l’esprit » du régime algérien. Reconnaissant la puissance du DRS et de l’Armée algérienne dans la prise de décisions futures concernant le pétrole et le gaz algériens, il les courtise activement.

Le renforcement du partenariat militaire et commercial avec l’Algérie fait partie de la « diplomatie de l’énergie» du Royaume-Uni, visant à garantir le contrôle des ressources stratégiques en Afrique du Nord, tout en renforçant l’appareil répressif d’un régime autoritaire. Promouvoir un tel agenda tout en fermant les yeux sur les violations des droits humains en l’Algérie relève de l’hypocrisie et soulève de sérieuses questions sur le fondement éthique de la politique étrangère du Royaume-Uni et de l’UE.

 

(*) Dr Hamza Hamouchene est un militant des droits humains et co-fondateur d’Algeria Solidarity Campaign (ASC), une organisation basée a Londres qui milite pour un changement démocratique pacifique en Algérie.



[1] Information obtenue en septembre 2013 grâce à une requête soumise au Département de l’Énergie et du Changement Climatique britannique.

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