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La politique, les zaouïas … et Panama (opinion)

Par Yacine Temlali
avril 27, 2016
La politique, les zaouïas … et Panama (opinion)

On est en mesure de vous exfiltrer du pays pour vous faire reparaître ensuite dans une ambassade, en smoking et nœud papillon, un verre à la main, puis dans le salon d’honneur d’un aéroport national en compagnie du gouverneur de la région. On arrive aussi à vous extirper d’un scandale financier en conseillant au juge traitant l’affaire d’omettre de vous citer à comparaître, à vous dévouer une poignée de laudateurs attestant de votre probité, à vous accorder tribune télévisée pour vous permettre de clamer, pathétique, votre innocence, et enfin à vous faire inviter par une école coranique pour que vous y soyez photographié, vêtu d’un burnous et tenant une ardoise traditionnelle*.

 

 

La chose politique est une aventure excitante. Particulièrement chez nous. Pour certains, bien sûr. Peu ragoûtante pour le reste. Elle a ses exigences « spécifiques », qui catapultent ses adeptes au firmament ou les descendent en flammes, les protègent contre vents et marées ou les livrent aux lions.

On peut ainsi avoir été amuseur forain et se retrouver président de l’Assemblée populaire nationale, ou chef de parti ; égorgeur (se vantant en public de l’avoir été) et être officiellement sollicité pour donner son avis sur la Constitution, même si tout le monde sait qu’on la piétinera une fois au pouvoir. Il peut vous arriver d’être nommé ministre sur coup de téléphone, puis démis par le même procédé, sans que vous n’ayez jamais eu l’occasion de rencontrer votre bienfaiteur ou bourreau.

Désignée sénatrice, une dame s’est vue ensuite sèchement remerciée parce qu’elle commit l’intolérable crime de lèse-majesté de s’associer à une fronde (on ne se lamentera certainement pas sur son sort). On est capable de créer un ministère des Anciens combattants et ne pas s’offusquer de voir ses pensionnaires grossir en nombre avec le temps au lieu de diminuer en vertu de l’exigence biologique.

Plus subtil encore, on est en mesure de vous exfiltrer du pays, pendant quelques années, pour vous faire reparaître ensuite dans une ambassade, en smoking et nœud papillon, un verre à la main, puis dans le salon d’honneur d’un aéroport national en compagnie du gouverneur de la région ; dans le même ordre d’idées, on arrive avec une aisance déconcertante à vous extirper d’un scandale financier en conseillant au juge traitant l’affaire d’omettre de vous citer à comparaître, à vous dévouer une poignée de laudateurs (zélés ou forcés) attestant de votre probité et de votre amour de la patrie, à vous accorder tribune télévisée pour vous permettre de clamer, pathétique, votre innocence, et enfin à vous faire inviter par une école coranique pour que vous y soyez photographié, vêtu d’un burnous et tenant une ardoise traditionnelle (cheminement initiatique, ou rédempteur, propre aux sectes).

Magique, non ? Mais pas du tout ! Il suffit juste de quelques « règles » à observer, parmi lesquelles, et essentiellement : ne pas craindre le ridicule, ne pas se laisser impressionner par le grotesque, ne pas se laisser rebuter par le goût de la honte quand on la boit, ou par l’odeur de l’urine s’il faut s’en laver le visage (lesquelles règles vous dotent en retour de dividendes conséquents et d’une impression de puissance toute virtuelle).

La chose politique est ainsi, elle façonne selon ses nécessités, à tel point que l’image renvoyée par le miroir est différente de celle de la photo d’identité ; elle déifie ou diabolise indifféremment, ennoblit ou écrase. Elle est anonyme, immatérielle, impitoyable. C’est une machine infernale, terrifiante, fabriquée pour casser celui qui ne se plie pas à ses directives; l’histoire enseigne qu’elle finit souvent par s’autodétruire.

Ce qui est fascinant tout de même, c’est qu’avoir étudié et enseigné dans des universités américaines et travaillé au sein d’une instance internationale n’inculque pas forcément la morale, l’éthique ou l’honnêteté, ni n’incite la conscience à refuser le bradage de la dignité. La nature humaine est ainsi faite. Ulysse s’est fait attacher au mât de son bateau pour résister au chant des sirènes, mais n’est pas Ulysse qui veut. D’autres, issus de notre illustre Ecole polytechnique, tour à tour ministres, ambassadeurs, n’ont guère fait mieux d’ailleurs et ont cédé aux injonctions pour vendre au peuple une prétendue absence de nocivité dans l’exploitation des gaz de schistes, insultant l’intelligence de ce dernier.

Que dire de ceux, ayant été à des écoles françaises de renom, que leur aveu d’avoir été des harkis du système (épouvantable, quand on sait ce que ce terme signifie) ne disculpe nullement, ou de ceux sortant de notre honorable Ecole nationale d’administration (ENA), spécialistes des sales besognes, qui, sans aucun état d’âme, ont fait injustement incarcérer des centaines de cadres (dont certains sont morts en prison, et d’autres ont en gardé séquelles).

Et les autres, de formation « révolutionnaire » qui nous ont farci les oreilles du devoir de repentance de la France et coulent aujourd’hui une paisible retraite sur les bords de la Seine. Il y en a tant pour qui le verdict de la postérité sera impitoyable et sans appel (nous n’avons connaissance que d’une seule personnalité, aujourd’hui convertie dans l’opposition, qui a claqué la porte à la Chevènement et nous lui en rendons ici hommage).

Par contre, et c’est ce qui permet de croire en un avenir meilleur dans notre pays, nous citerons ce président, élu à la régulière, qui refusa de rencontrer son homologue français dans les couloirs de l’ONU puis se retira avant terme de la vie politique pour ne pas cautionner une pantalonnade ; serein, il vit sur le sol national, fait son marché et joue aux dominos avec ses amis, se fait aussi soigner, à ses frais, ici, pas de l’autre côté de la mer.

Et ce vieil intraitable à lunettes qui, depuis un quart de siècle, et de procès en procès, défend courageusement son dossier sur  »les faux et usage de faux ». Comment oublier, par ailleurs, cette femme lettrée, nous ne le dirons jamais assez, qui tente de sortir l’école des marais de l’obscurantisme afin de la refonder aux normes universelles. Et nous en oublions forcément d’autres du même cru, qu’ils nous en excusent !

Nous autres citoyens ordinaires, nous savons qu’il nous est permis de supputer, pas de demander des comptes, qu’il nous est loisible de nous indigner à titre individuel, pas de manifester notre désapprobation en groupe (le seul endroit où nous sommes autorisés à nous rendre en masse, c’est cette enceinte à ciel ouvert, mais fermée, qu’on appelle communément stade de football).

Pourtant, nous sommes moins malheureux que nous ne le paraissons. Surtout, depuis que de succulentes feuilles nous tombent du ciel et font notre bonheur ; Wikileaks, Snowden, les révélations du livre du journaliste français Nicolas Beau, les rebondissements truculents au niveau du tribunal de Milan, et tout récemment les « Panama Papers », nous savourons avec un plaisir ineffable leurs révélations, comme nous nous réjouissons de deviner nos tout-puissants affolés, impuissants devant la furie de ces bolides venus de l’espace qui dévastent leurs champs irrigués de notre pétrole et du sang de nos héros véritables, leur ôtant les pagnes dont ils cachaient leurs sordides combines (certains doivent faire des cauchemars – et pas que – dans leurs lits); nous nous réjouissons de l’humiliation que ces calamités leur infligent, de leurs bourdes protocolaires, et même de leurs ennuis de santé qui les font courir se soigner chez le colon de toujours.

Ailleurs, les dirigeants exultent, et dépêchent leurs services du fisc pour renflouer les caisses de l’Etat de ces trésors providentiels enterrés au Panama et ailleurs ; chez nous, au contraire, c’est la panique générale parmi les septuagénaires qui nous gouvernent, celle précédant le sauve-qui-peut qui fait quitter les rats le navire (c’est qu’ils en ont, pardi, des choses à se reprocher !)

Ah mes amis, bénissons cette manne céleste bienfaisante, et prions pour qu’elle emporte tous ceux qui nous trompent depuis l’indépendance ; quel formidable spectacle nous attend, nous y serons tous assurément : les voir se débattre désespérément dans les flots impétueux de l’apocalypse qu’ils préparaient pour ce pays. La fin d’une époque. Qu’est-ce qu’on va se régaler, les gars! Champagne !

 

(*) Cet article a été publié sur le blog de l’auteur.

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