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« La production algérienne de lait ne couvre que 15% des besoins locaux » (Akli Moussouni)

Par Maghreb Émergent
octobre 28, 2018
« La production algérienne de lait ne couvre que 15% des besoins locaux » (Akli Moussouni)
 Akli Moussouni, expert agricole et enseignant universitaire nous parle de cet entretien de la filière lait en Algérie et des nombreux entraves  qu’elle subit.

 Maghreb Emergent : Pouvez-vous nous donner un aperçu sur la situation actuelle de la filière lait algérienne ? 

Akli Moussouni : Elle relève du contexte général dans lequel se débat tout le secteur agricole. Elle couvre à peine 15 % des besoins du marché au regard des quantités de poudre importée en constante augmentation. Pire que ça, même le cheptel est importé ainsi que tous les intrants dans l’activité de l’élevage. Au lieu que ce secteur produise de l’emploi et des richesses, il a appauvri ceux qui y sont impliqués, de l’éleveur au vétérinaire. En plus, c’est un secteur budgétivore pour le trésor public en monnaie locale au plan de soutien de l’État à la consommation du lait pasteurisé. Le drame ne s’arrête pas là. Pour n’avoir pas développé le cheptel bovin laitier, la filière des viandes bovines qui dépend à son tour quasi-intégralement des importations en viande vive considérée comme produit national après quelques semaines d’engraissement. A noter que le prix du Kilogramme de viande rouge coûte pas moins de 10 % du salaire du smicard. Ce qui fait du cas algérien une aberration, à contre-courant du citoyen du monde qui consomme de plus en plus de protéine.

Cette filière s’est retrouvée dans l’impasse et à défaut de pouvoir évoluer, les dispositifs de soutien de l’État ne peuvent plus encadrer les petits élevages dont les propriétaires se sont délestés pour d’autres activités rémunératrices. On en parle plus, l’importation est là pour colmater la déconfiture de cette activité. Le retrait de l’État qui avait consisté à mettre face à face les éleveurs et les transformateurs est un exemple édifiant de l’incapacité des pouvoirs publics à s’engager sur des sentiers plus rassurants pour les operateurs de cette filière. A l’origine de cette situation, c’est l’alimentation en vert et en sec que la filière des fourrages et céréales, elle-même en décadence, qui n’arrive même pas à approvisionner ni le cheptel bovin ni l’aviculture. La fragilité sanitaire de ce cheptel pose problème au regard des épidémies successives, ayant entrainé l’abattage, dans bien des cas orchestrés, dans la panique. La sécurité alimentaire qui en dépend (avec d’autres produits) est assuré pour le moment avec les recettes pétrolières.

Cet état d’échec qui ne dit pas son nom est-il corroboré par des statistiques?

La filière lait par les chiffres : C’est l’importation de près de 20% de la production mondiale du lait en poudre mise sur les marchés extérieurs. C’est aussi un soutien de l’Etat à la production, la transformation et la consommation de l’ordre de 46 milliards de dinars et une facture en devise de près de 2 milliards de dollars. Ironie du sort, au moment où la production mondiale a explosé depuis 2014 / 2015 réduisant le prix de la tonne de lait de 5000 dollars à 1500 dollars, la prod Existe-il d’autres causes qui ne sont pas d’ordre technique?uction algérienne s’est réduite à contre-courant de près de la moitié passant de 6 millions de litres à environs 3 millions de litres. Actuellement, cette filière est soumise à une multitude de contraintes techniques et socioéconomique à tel point qu’elle devient un casse-tête chinois, aussi bien pour les éleveurs que pour l’Etat. Sans oublier que par rapport à la transformation du lait en poudre, l’Algérie ne dispose d’aucun complexe, ni de technologie. C’est la vache étrangère qui « allaite » la moitié ou plus du million de bébés qui naissent chaque année.

Quelles sont les causes qui font que le filière ne décolle pas malgré ces sommes colossales?

Une configuration fermière archaïque qui ne peut fonctionner sur la base d’un système d’élevage performant qui ne permet pas de promouvoir une conduite d’un cheptel rentable. La difficulté de gérer économiquement par petits lots le million (ou presque, actuellement beaucoup moins) de vaches algériennes qui constituaient l’élevage laitier du pays, est multidimensionnelle. En effet, cette filière subie de plein fouet l’inflation dans les prix de l’alimentation. Là aussi, le soutien de l’État est orienté essentiellement à la subvention du marché à la faveur des productions extérieures par l’importation effrénée du lait en poudre et de l’unité fourragère, soit une alimentation maigre, non équilibrée et très mal distribuée. Aussi, des produits vétérinaires importés et des prestations sanitaires à des prix exorbitants, le tout loin d’être remboursé par une rentabilité des plus faibles au monde (moins 4000 litres par vache/ An). Sous la pression, faut-il le préciser du consommateur pour lequel le prix est plafonné à concurrence des 3 milliards de sachets consommés annuellement. Aussi le soutien de l’État au réaménagement d’une infrastructure inadaptée dont la configuration est abandonnée de par le monde depuis une trentaine d’années s’ajoute à un retard technologique flagrant difficile à endiguer pour mener à bien un programme de développement global de la filière, tandis que le cheptel trop âgé par rapport à la norme des élevages performants (3 à 5 ans de production pour la vache) pour être rentabilisé. Tandis que l’ambiance d’élevage laisse à désirer dans un pays trop chaud en été et froid en hiver, notamment dans les hauts plateaux, Trop au dessus de la zone neutre de la vache qui se situe ente 10 et 17 °C selon les races. L’hygiène des étables est loin d’apporter le confort nécessaire à un animal qui en a vraiment besoin.

Existe-il d’autres causes qui sont pas d’ordre technique?

Les habitudes de consommation ancestrales des Algériens rendues difficiles à faire évoluer en l’absence d’une politique de nutrition ont biaisé toute planification à s’adapter au contexte naturel et potentiel du pays. Cette fixation vient compliquer la situation en projetant des objectifs de consommation de plus en plus élevés au moment où dans tous les pays développés on tend à les réduire en diversifiant le menu de leurs citoyens. Non seulement les crises périodiques sur le marché du lait sont une accumulation de facteurs contraignants durablement le développement de la filière, la qualité du lait pasteurisé dans bien des cas au-delà des normes requises pour s’éviter des intoxications (par rapport aux épidémies) en l’absence de possibilités de voler de ses propres ailes, cette filière a perdu son esprit, ce qui constitue un goulot, vu que l’assistanat de l’État est érigé en mécanisme d’investissement comme pour toutes les filières. Le tout est couronné par l’absence flagrante de professionnalisme et des organisations d’éleveurs transformés en syndicats qui ne s’inscrivent dans aucune logique connue de développement de ce secteur. En conséquence, le cumul de toutes ces contraintes a fait que la filière algérienne du lait est l’une des plus faibles au monde. Son système de fonctionnement actuel ne l’autorise pas à s’attribuer l’ambition de contribuer significativement à la sécurité alimentaire du pays par rapport à ses possibilités de mutation techniquement et organiquement très limitées.

On en arrive ainsi à la cause principale est générale à toutes les filières de l’agriculture à savoir, l’absence de vision et de stratégie qui consisteraient à l’extraire du marché informel, anarchique et incohérent qui ronge l’économie algérienne. Aussi, l’absence de politique de nutrition en mesure d’encadrer les objectifs pour lesquels il n’y a eu aucune politique agricole.  On peut aller jusqu’à la restructuration du ministère de l’Agriculture lui-même et l’implication des autres départements concernés qui devraient agir ensemble par rapport à chaque filière, à travers des programmes et des outils d’encadrement techniques et financiers jamais mis en œuvre.

En urgence, quelles sont les solutions que vous préconisez?

Elles passent par recomposition de la filière lait dont la configuration des exploitations, de par leur petitesse et leur caractère traditionnel sont appelées à servir plutôt pour l’engraissement. Le cheptel laitier, pour sa part, doit être renouvelé et redistribué à travers des modules intégrés autour desquels interviendront tous les prestataires spécialisés pour en faire des toiles autonomes et actives à l’abri de l’anarchie du marché national en tout produits. La réorganisation de la profession autour du produit doit être à son tour dotée de mécanismes de suivi et d’évaluation.  Les groupes industriels de transformation du lait et de production de dérivés doivent servir de pionniers dans la construction d’une nouvelle filière par la mise en place de modules des grands élevages pour élever cette filière au rang d’un tissu industriel par l’acquisition de la technologie des conduites informatisées des cheptels, seule en mesure de changer la donne. Parmi les éléments prépondérants dont dépend la bonne gestion de ces grands modules d’élevage de bovins laitiers, il convient de citer les énergies renouvelables, la conception d’infrastructures non contraignantes à la mécanisation et l’introduction de nouvelles règlementations environnementales qui viendront transformer les contraintes écologiques découlant de l’industrialisation de cette filière en opportunité économique… bref un ensemble de pratiques technologiques qui apporteront leur lot de compétitivité pour couvrir un besoin économique sans recourir indéfiniment au trésor public.

Entretien réalisé par Kamel Naït Ameur

 

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