"Lancer des reformes économiques structurelles sans changement politique majeur relève du non sens"(Mourad Ouchichi) - Maghreb Emergent

“Lancer des reformes économiques structurelles sans changement politique majeur relève du non sens”(Mourad Ouchichi)

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Le Maitre de conférence A et enseignant d’économie à l’université Abderrahmane Mira de Bejaia, Mourad Ouchichi, analyse dans cet entretien, la situation économique et politique que traverse l’Algérie depuis pratiquement deux ans, ainsi que le blocage non assumé de toute réforme économique et l’absence d’un cap politique.

Maghreb Émergent : Selon vous, peut-on parler de réformes économiques structurelles et lancer des plans d’action en plein crise politique ?

Mourad Ouchichi : Connaissant la nature de l’articulation entre le politique et l’économique du système algérien, penser à la possibilité de lancer des reformes économiques structurelles sans changement politique majeur relève du non sens. La raison est simple : des réformes économiques structurelles visant à institutionnaliser les rapports de production et d’autorités entre la société et l’Etat ne pourront naturellement pas avoir lieu avec la matrice institutionnelle en vigueur, faite d’un pouvoir informel avec une autorité réelle et d’un pouvoir formelle sans pouvoir de décision.

Dans ce cadre, les ressources économiques ne sont pas fructifiées, mais utilisées comme ressource politique compensant le manque de légitimité par l’achat de la paix sociale et la fabrication d’une clientèle. Ceci fausse les lois des dynamiques d’accumulation et impacte la logique de formation des prix.

Engager des réformes structurelles suppose le démantèlement des mécanismes rentiers du système et accepter l’idée de l’autonomie de la société et celle de l’Etat de droit. Ce que le régime actuel ne veut pas admettre, car il sait par intuition qu’il ne peut pas survivre avec sa forme actuelle aux conséquences politiques des dynamiques que libérera le marché.

Quelles alternatives pour redresser la situation dans les conditions actuelles sur le plan socioéconomique, compte tenu de la constante du moment : la Covid-19 ?

 Il y a quelques mois, j’avais accordé à un de vos confrères un entretien dans ce sens. Je le reproduis ici en partie : « Aux situations exceptionnelles, des mesures exceptionnelles. Ce qu’il faut pour l’Algérie actuellement est une thérapie de choc. Un deal dans lequel tout le monde accepte les sacrifices, à commencer par les dirigeants eux-mêmes, pour donner l’exemple, ainsi que les couches sociales favorisées dont une grande partie des fortunes colossales ont été amassées à l’ombre de l’économie rentière, donc de l’argent public. Parmi ces mesures, il y a lieu d’envisager ce qui suit :

– Réduire le rythme de vie de l’Etat : ceci peut se faire à travers plusieurs actions :

-Réduire de moitié le salaire du président de la République et des membres du gouvernement ainsi que celui des députés.

-Réduire le nombre de ministères et du personnel diplomatique.

-Réduire les effectifs des grandes entreprises, telles que : Air Algérie, notamment de ses agences à l’étranger.

– L’arrêt immédiat des subventions accordées aux organisations satellitaires, telles que l’ONEC, ONM, UGTA, etc.et pourquoi ne pas les dissoudre carrément.

-Dissoudre le Sénat qui est une institution inutile ;

-Dissoudre les Daïras et répartir leurs tâches entre les directions de l’exécutif et les APC ;

-Annuler ou surseoir le projet des wilayas déléguées ;

-Jumeler les directions de wilaya et réaffecter momentanément le budget dégagé vers les directions de la santé ;

-Vendre une partie du parc automobile et de l’immobilier de l’Etat ;

-Revoir le fonctionnement de la caisse de la sécurité sociale pour les hauts cadres et l’aligner sur le statut classique de la CNAS.

-Revoir le système fiscal avec effet immédiat (impôts de la richesse exterminés, raviser le système de l’impôt forfaitaire, etc.), et renforcer l’administration fiscale en la dotant de moyens et des prérogatives nécessaires pour exercer convenablement ses fonctions.

-Saisir immédiatement les biens des personnes impliquées dans la haute corruption.

-Constitutionnaliser l’autonomie de la Banque Centrale de l’exécutif.

Enfin, pourquoi ne pas envisager, à moyen terme, le changement du Dinar et la création d’un nouveau Dinar afin de lutter contre les sommes colossales qui circulent dans l’informel et les travers de la politique monétaire en cours depuis plusieurs décennies. A l’évidence, nous sommes conscients du caractère radical des mesures proposées, mais comme nous l’avions souligné plus haut, aux situations exceptionnelles, des mesures exceptionnelles. Rappelons-nous des mesures radicales prises par l’administration américaine (le New-Deal) au lendemain de la crise de 1929. Un exemple à méditer  ».  

Ces quelques pistes sont, à mon avis, toujours d’actualité.

Depuis cette date, les gouvernements successifs, tablant sur le caractère conjoncturel de la crise, n’ont pas jugé utile d’engager des réformes structurelles susceptibles de libérer les dynamiques d’accumulation des richesses issues d’un processus productif. Contrairement à l’accumulation rentière, prédatrice et clientéliste.

La loi de finance 2021, adoptée récemment, table sur un taux de croissance de 4% pour l’année prochaine, Est-ce sur c’est réalisable, alors que le pays enregistre en 2020 ses plus haut déficits budgétaire et commerciale ?

Oui. Cette question se pose sérieusement. En effet, comment peut-on tabler sur un tel taux quand on sait que la conjoncture interne est morose, en partie à cause de la pandémie et un marché international des hydrocarbures qui n’est pas du tout dans une perspective de décollage ?

Je crois que ce sont des prévisions irréalistes et irréalisables faites, au mieux pour rassurer la population, au pire par incompétence.

Selon le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la Prospective, Mohamed Cherif Belmihoub, un demi-million d’emploi ont disparu depuis l’arrivée de la pandémie du Covid-19. Quelles seront les conséquences sur le plan social dans les mois à venir ? Comment y remédier selon vous ?

La chute vertigineuse des prix des hydrocarbures et la crise sanitaire provoquée par la pandémie du COVID-19 ne font qu’aggraver une situation déjà précaire et alarmante. Afin d’amortir les conséquences de cette double tragédie, l’Etat n’a le choix que de faire recours à son budget qui malheureusement se trouve déjà dans une situation déficitaire depuis 2007 et de surcroît structurelle depuis l’indépendance. Les gouvernements précédents ont déjà épuisés les modes de gestion du déficit (endettement interne, financement non conventionnel), ce qui ouvre le débat actuellement sur une éventuelle demande de financement extérieur (la dette extérieure).

Il est donc clair qu’au Au-delà des conséquences macroéconomiques désastreuses, pratiquement l’ensemble des couches classes sont touchés directement ou indirectement par le ralentissement général de l’activité économique.

Avec le temps, la situation se complique davantage plus en plus. En plus du gel des recrutements dans la fonction publique, l’arrêt de la machine depuis le mois de mars passé à provoquer des licenciements et mise en chômage partiel et totale des centaines milliers de travailleurs. Ce petit tableau de bord nous dresse une situation socio- économique d’une gravité extrême.

Pour y remédier, il est urgent de mettre fin à la situation du blocage politique et mettre en œuvre une double transition

Mourad Ouchichi

Bien évidemment, les petites et moyennes bourses sont les plus touchées et ceux qui exercent dans le privé et dans l’informel le sont d’autant plus. La distinction retenue ici est importante. En effet, les foyers dont le revenu est assuré par l’Etat, comme les fonctionnaires, peuvent subvenir encore à leurs besoins élémentaires. Généralement cette catégorie qu’on place dans les « protégés » ne se sent pas concernée par la précarité et ce, malgré l’inflation qui érode le pouvoir d’achat. A l’opposé de cette catégorie, ceux qui travaillent dans le secteur privé ou dans l’informel sont les plus « précarisables » et la situation liée à la crise sanitaire accentue davantage ce sentiment car leurs revenus ne sont plus pérennes. L’un des éléments les plus visibles de cette précarité et le risque-santé pris par cette catégorie en défiant les mesures sanitaires afin d’assurer un revenu minimum…..

Au-delà de cette situation, l’élan de solidarité envers cette catégorie et les aides de l’Etat sont pour autant des éléments indicateurs de la fragilité de cette catégorie de foyers.

Pour ce qui est des mois a venir tout indique que la dégradation va se poursuivre en s’aggravant.  Pour y remédier, il est urgent de mettre fin à la situation du blocage politique et mettre en œuvre une double transition à la fois politique et économique graduelle et coessentielle visant à régler définitivement le problème de la légitimité et  celui du caractère rentier de l’économie nationale. Le pays à perdu beaucoup de temps et d’occasions ces dernières décennies mais, comme on dit, il vaut mieux tard que jamais. Sur ce plan la responsabilité des véritables décideurs et clairement engagée car il y va de l’avenir de plusieurs générations.  

Selon vous, est-ce que l’absence du chef de l’Etat a-t-elle chamboulé le calendrier politique et économique tracée depuis le début de son quinquennat ?

Y-a-t-il déjà une feuille de route économique crédible et visible ? Non.  L’obsession des dirigeants était de casser la dynamique du Hirak à travers les arrestations, la fermeture de journaux et radios crédibles ainsi que les sites d’informations non inféodés au régime. Les seuls rendez-vous politiques sont la révision de la constitution et les élections législatives et locales  que le Chef de l’Etat voulait avant la fin de l’année. On sait dans quelles conjonctures la révision de la constitution à eu lieu, le reste ne va pas se réaliser à cause du rejet radical et démocratique de ce processus par la population. Les résultats du référendum sur la nouvelle constitution le montre clairement. La maladie surprise et l’absence prolongée du chef de l’Etat ne font que compliquer une situation déjà complexe. 

Sur le plan économique, il y a lieu de souligner que depuis plus d’un an on se contente de la gestion des affaires courantes mais cela va durer pour combien de temps encore ?

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