La mort subite de Ahmed Gaïd Salah ce lundi 23 décembre est elle une si grande surprise ? Agé de plus de 80 ans, en surpoids pathologique, le chef d’Etat Major menait une activité frénétique ces dernières années pour maintenir à flot un système déserté par la parole présidentielle. Il a basculé dans l’hyperactivité depuis le 22 février, encaissant la pression anxiogène sur les tenants du pouvoir réel en Algérie, face un soulèvement populaire politique et pacifique inédit dans l’histoire du pays.
Un premier accident de santé à Oran fin septembre dernier l’avait conduit à renoncer pendant plusieurs semaines aux déplacements par avion. L’homme fort du pays était arrivé à l’extrême limite de ses forces. Le mouvement populaire ne s’y trompait pas en l’invitant durant tout l’été à prendre sa retraite (navigui carte chiffa). Le relâchement psychique inévitable après « l’accomplissement » de sa mission, sous une telle tension accumulée, lui a été finalement fatale.
Mais était ce vraiment là le destin inexorable de cet homme arrivé aux hautes fonctions dans une sorte de bug du système ? Sans doute non. Une autre voie s’ouvrait à lui en mars-avril dernier au moment de la chute de la maison Bouteflika. Il n’a jamais voulu l’observer. Ahmed Gaïd Salah, aidé en cela par un carré de fidèles, échappé à sa purge de la haute hiérarchie de l’ANP, a décidé que l’Algérie était mise en danger par le Hirak populaire demandant pacifiquement le changement. Il a opté pour l’enfermement. Et la reproduction, vaille que vaille, d’une vitrine politique civile, au pouvoir réel de l’armée.
Cette feuille de route était la pire pour tous. Pour les millions d’Algériens qui manifestent depuis 10 mois aspirant à un état moderne respectueux des libertés et du droit, légitime par le suffrage libre. Un état civil, pas militaire. Mais aussi pour le système lui même, obligé de se dévoiler dans sa vérité nue. Avec un chef militaire à sa tête ordonnant le juge, le président par intérim, les médias, insultant les manifestants toutes les semaines et jouant la division entre Algériens.
Une autre voie qu’il n’a pas voulu voir, qui avait pour lui et pour ses pairs le sens d’une défaite. Alors qu’elle était la voie de l’Histoire. De son moment. Comme en 1954 survenait le moment de la libération nationale. Cette autre voie, quelle est t’elle et est t’elle encore possible aujourd’hui ? Le peuple revendique dans sa grande majorité une rupture radicale et organisée avec le mode de gouvernement du pays qui a sévit jusque là.
La cooptation de Abdelmadjid Tebboune, 74 ans, le 12 décembre dernier à la présidence de la république, est la survivance dégénérée de cette manière de gouverner les Algériens. Elle est en cours de collapse. Elle exige pour survivre un affrontement entropique : villes assiégées, économie asphyxiée, détenus par centaines, corporations en dissidence, territoires en rupture, médias étranglés, services de sécurité harassés, isolement international.
Le système se suicide en voulant se maintenir à l’identique. Cela est trop au dessus de ses forces. La disparition aujourd’hui par épuisement de son « héros » martial improvisé en 2019, le prédit symboliquement. C’est un signal. Face à une telle mobilisation populaire, uniforme, déterminée, clairvoyante, la voie du changement doit être à nouveau considérée.
Loin de l’entêtement et du diktat anachronique qui a prévalu jusque là. Le changement, ailleurs dans les transitions réussies vers la démocratie, est un processus négocié, pacté, programmé, et traduit en feuille de route institutionnelle. C’est un moment d’intelligence politique situationnel et stratégique. Le système en était dépourvu depuis de longues années. En 2020, il devra renouer avec le mouvement de sa pensée pour tourner la page du régime autocratique et aller, enfin, à la rencontre des Algériens qui ont décrété la naissance d’une république des citoyens depuis le 22 février dernier. Et qui ont attendu patiemment.