La lettre de Gaïd Salah a occupé l’essentiel des débats du CPP de jeudi 10 juin. Mais au café Presse Politique de Radio, c’est surtout la visite de François Hollande qui provoque « peine » et « douleur ».
Au CPP, la visite de François Hollande en Algérie passe mal. Très mal même. Pourquoi ? a demandé Khaled Drareni, animateur du Café Presse Politique de radio M. Abed Charef n’y va pas par quatre chemins. « Ça me peine profondément. C’est douloureux, pénible », dit-il, d’autant plus que ça ressemble à « une visite de compassion ». Il ajoute qu’il serait « content si la visite devait être annulée, pour ne pas avoir à subir la corvée de voir les images de la visite ». S’adressant au ministre des affaires étrangères Ramtane Lamamra, il lui fait savoir que les Algériens « souhaitent que leur pays soit visible sous une image plus digne, plus fière, moins avilissante ».
Saïd Djaafar souligne que « le côté pénible » de la visite est « amplifié par le fait que les médias français accompagnant Hollande vont parler de choses désagréables pour nous ». « Beaucoup d’Algériens ont de la peine à voir le président » dans cet état, dit-il.
El Kadi Ihsane affirme de son côté que « jamais le pouvoir algérien n’a été en position d’une aussi grande faiblesse qu’en ce moment » vis-à-vis de la France, à cause notamment des histoires de patrimoine et de rapports personnels envers l’ancien colonisateur. « Chaque semaine, on évoque des affaires de biens détenus en France par des Algériens qui ne peuvent le justifier, en plus d’un président qui se fait soigner en France », rappelle-il.
Agenda français, navigation à vue algérienne
Ihsane rappelle aussi que François Hollande est « engagé dans une campagne de reconquête de l’opinion » française. Il avait entamé sa campagne présidentielle de 2012 par l’Algérie, avec une célèbre photo prise avec l’ancien président Ahmed Ben Bella, rappelle-t-il. Pour François Hollande, ça entre dans un agenda précis, ajoute-t-il, ce que déplore précisément Abed Charef, qui relève qu’il n’y a pas d’agenda côté algérien, si on excepte « quelques images à montrer », rappelle Saïd Djaafar.
Mais El Kadi Ihsane et Abed convergent, miraculeusement, sur un point. La visite n’a pas pour objet de « désigner le successeur » du président Bouteflika. « Y’en a marre d’entendre ça et de voir des journalistes qui l’écrivent ». Abed Charef affirme qu’il faut « tordre le cou à l’idée selon laquelle le président de l’Algérie est désigné par la France ». Selon lui, « les Français peuvent avoir des souhaits, faire pression, mais le président algérien est désigné par des Algériens, qui doivent assumer leurs responsabilités », dit-il. Les Algériens, les électeurs ? demande Khaled Drareni. « Formellement, ce sont les électeurs, mais en réalité, c’est le conclave », affirme Saïd Djaafar.
Equilibrisme
Abed Charef souligne qu’il est actuellement impossible d’avoir des « relations normalisées ». Avec qui Français Hollande va discuter ? Probablement pas avec Amar Saadani, même si ce dernier vient de recevoir un message élogieux du général Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée. Une lettre qui a d’ailleurs provoqué une onde de choc dans le pays, en détruisant « un décor savamment mis en place depuis 1989 » pour dire que l’armée ne fait pas de politique, rappelle Saïd Djaafar. Cette lettre rappelle tout simplement que « l’armée est au pouvoir ». Il déplore que l’opposition n’en tire pas profit pour « mettre la place de l’armée au centre du débat ».
Quand l’opposition avait demandé une présidentielle anticipée, Gaïd Salah avait dit que l’armée ne s’immisce pas en terrain politique. Pourquoi fait-il l’inverse maintenant ? demande Khaled Drareni. El Kadi Ihsane répond, tranché. Gaïd Salah est le « père putatif » du comité central du FLN, il a eu une « grosse influence » sur le congrès. Ce qui soulève, selon lui, la question de « la place de Gaïd Salah dans le clan présidentiel, qui a joué un rôle essentiel dans la succession ». Aujourd’hui, Saïd Bouteflika serait « embarrassé » par la place prise par Gaïd Salah, ce qui expliquerait le maintien Toufik Mediène, qui assure « un pendant à l’influence grandissante » du chef d’état-major.
Quel rôle pour l’armée ?
En tout état de cause, El Kadi Ihsane estime que « la boite à idées du système est désuète ». Ce qui fait dire à Abed Charef que le système fonctionne encore avec Windows 95. Il note tout de même le rôle central qu’occupe désormais Saïd Bouteflika. Le congrès du FLN a donné au président du parti l’essentiel du pouvoir. Comme le président Bouteflika est « absent », c’est Saïd Bouteflika qui va exercer ces prérogatives. « Ahmed Ouyahia a lui aussi, comme chef de cabinet du président Bouteflika, travaillé essentiellement avec aïd Bouteflika. Il reprend aujourd’hui, ce qui signifie que Saïd Bouteflika contrôle de fait les deux partis », dit-il.
C’est donc une configuration nouvelle, et l’armée, à travers la lettre de Gaïd Salah, a « béni » ce nouveau dispositif, ajoute El Kadi Ihsane. Saïd Djaafar note toutefois qu’avec ces positions affichées, l’armée se met en première ligne alors que le pays s’attend à des jours difficiles. Rappelant que l’alliance présidentielle, à laquelle appelle Ahmed Ouyahia, « a tué même la vie politique, y compris celle du système ». « Quel est le rôle de l’armée dans une conjoncture de raréfaction de ressources ? », se demande-t-il.
Extraits vidéo : http://bit.ly/1QtovSX