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Le général Toufik s’en va, le général Soupçon est toujours au pouvoir (opinion)

Par Yacine Temlali
septembre 14, 2015
Le général Toufik s’en va, le général Soupçon est toujours au pouvoir (opinion)

On est bien dans cette définition effrayante de la crise donnée par Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. »*

 

  

Le départ prévisible du général Mohamed Mediene, dit, Toufik de la tête des services de renseignement militaires, donne lieu, comme d’habitude, à des lectures diamétralement opposées. Un limogeage pour les uns et, pour d’autres, une sortie organisée par le général Toufik lui-même, avec l’accord des autres pôles du système algérien, la présidence et l’état-major de l’armée.

Cette opacité, qui permet toutes les lectures – et aussi toutes les manipulations -, fait partie de l’ADN d’un système à bout de souffle mais qui a réussi à réaliser une grande désertification du champ politique.

Toute la sphère politique et médiatique est minée par une culture du soupçon diffusée par le régime, celle qui permet de discréditer tout le monde, partisans et adversaires, clients et opposants. Le départ du général Toufik, forcé ou convenu, ne change rien à la situation.

Toutes les paroles politiques sont sans écho du fait de l’action permanente du discrédit de la politique au cœur de la stratégie du régime. Que l’on dise des âneries ou des choses pertinentes est devenu sans importance, on est automatiquement accusé de « rouler » pour un clan ou de chercher une « place »…

 

L’animation du vide

 

Les plus lucides en sont arrivés à la position, qu’ils jugent la moins nocive, qui consiste à s’abstenir ou à mesurer sa parole pour ne pas participer à l’animation du vide et laisser ce genre de comédies qui ne font pas rire aux Ghoul and co. Mais ce choix, le « moins mauvais », ne dessert pas le régime non plus…

Le général Toufik s’en va, mais le « général soupçon » est toujours là pour griller toute tentative de réflexion sérieuse ou démarche de structuration politique de la société algérienne qui permettrait de poser la question du changement de régime et de la manière de le faire. Elle est toujours en œuvre pour rendre « impossibles » toutes les propositions de sortie d’impasse.

On peut conjecturer longtemps sur le fait que le départ de Toufik soit un limogeage ou un départ par consentement, mais il est difficile de ne pas y voir le signe de la fin d’un très long cycle. Et l’esquisse de l’esquisse d’un autre cycle que personne n’arrive à percevoir du fait de la réussite morbide du fameux « général Soupçon ».

Qui aujourd’hui, hormis dans la bulle des réseaux sociaux sur internet où le « général Soupçon» nage comme un poisson dans l’eau, s’intéresse vraiment à la politique ?

Les « classes dangereuses » qui ont fait leur intrusion sur la scène politique après octobre 1988 ont cessé durablement d’y croire. Elles en ont payé le prix dans les années 1990 lorsque le principe démocratique, on ne le dira jamais assez, a été durablement flétri.

L’idée d’un dessein collectif qui peut être porté par un projet politique n’existe pratiquement plus au profit de la « débrouille individuelle », du « frappes-ton-coup », sur fond de plongée dans des formes destructrices de rejet du régime dont l’incivisme général et le non-respect des règles sont des illustrations.

 

Le vieux se meurt…

 

L’action permanente du discrédit de la politique et de l’expression a abouti, en définitive, à faire douter de l’espace-nation au profit des régressions tribales, claniques et, parfois, de « houmate » (quartiers).

Les structures de médiations du régime n’opèrent plus et nous en avons a eu la terrible illustration à Ghardaïa. Et les perspectives économiques s’assombrissant, on peut légitimement craindre que cette très mauvaise pente ne s’accentue.

L’exil des élites instruites durant les années 1990, plus par découragement que par peur, participe de ce même effet de perte du repères national. Le général Soupçon qui survit au passage des hommes et des chefs a réalisé une victoire totale. Mais à la Pyrrhus.

Ce qui s’est passé en Libye et en Syrie montre que créer le « vide », par la corruption et la répression n’est pas un gage de « stabilité » du régime mais une menace encore plus grande pour la pérennité des pays.

Le départ du général Toufik n’est pas un fait insignifiant. Il annonce la fin d’une époque où des ressorts majeurs ont été cassés au point, aujourd’hui, de ne plus permettre de se projeter dans l’avenir.

 

Que faire?

 

On est bien dans cette définition effrayante de la crise donnée par Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. »

Le pire n’est jamais sûr. Mais pour éviter que l’avenir ne se décide en cercle restreint, entre « clans », il nous faudra nous mêler de ce qui nous concerne, s’écouter sans le filtre des étiquettes faciles et du procès d’intentions permanent.

Il faudra trouver le moyen de recréer un intérêt citoyen pour la politique. Réapprendre à militer en songeant à ceux qui, dans l’adversité la plus totale, ont été les grands acteurs du mouvement national algérien.

Cela n’a rien d’une promenade. Mais les Algériens vont devoir inventer – les Tunisiens l’ont fait avec beaucoup de réussite – pour aider ce nouveau qui tarde à naître à voir le jour et à empêcher les monstres de surgir. Ils devront d’abord vaincre le général soupçon qui a été planté dans les têtes. Et c’est bien le plus dur à faire..

 

(*) Ce texte a été publié initialement sur le Huffington Post Algérie.

Saïd Djaafer est le directeur éditorial duHuffington Post Algérie.

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