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« Le marché du Square est devenu le Frankenstein de l’Etat » (Expert)

Par Kheireddine Batache
mai 31, 2020
« Le marché du Square est devenu le Frankenstein de l’Etat » (Expert)

Alors que la quasi-totalité des secteurs économiques et activités commerciales sont rudement impactés par les effets du Covid-19, le cours du marché parallèle de la devise en Algérie n’a que très peu vacillé face la violence du choc ressenti par l’économie algérienne. L’expert économique et spécialiste financier des TIC, Abderrahmane Khalef, nous éclaire dans cet entretien exclusif, sur les secrets de cette résilience.

Maghreb Émergent : le cours de l’Euro sur le marché parallèle se maintient à un niveau élevé malgré la crise sanitaire Covid-19, qui dure maintenant depuis 5 mois. Comment cela peut-il s’expliquer, économiquement parlant ? Quels sont les secrets d’une telle « résilience » ?

Abderrahmane Khalef : la résilience à laquelle vous faite allusion est un phénomène et une caractéristique purement  Algéro- algérienne, générée par plusieurs facteurs, dont je citerai d’abord l’attachement mental  à ce marché noir. Mais il convient de diagnostiquer ce qu’est ce marché  noir ?  Une structure illégale qui permet d’échapper à l’impôt, surtout dans un pays très fiscalisé comme l’Algérie, qui favorise l’économie parallèle ainsi que la contrebande et  permet même d’échapper à la TVA.  

La cause principale  de cette résilience aujourd’hui c’est la rareté des fonds. Vous évoquez le Covid-19, qui a causé la fermeture des frontières du monde entier. Les voyageurs vers et depuis l’Algérie ont déserté les aéroports et les ports. Ils ont gardé possession de leurs liquidités, en sachant parfaitement qu’une fois le confinement levé, les échanges tout azimut vont se multiplier, d’autant plus que la période du « Hadj » (grand pèlerinage) arrive à grand pas.

L’approche de la saison estivale aussi est un baromètre qui favorise la résilience du cours de l’Euro sur le marché noir. L’ensemble de ces éléments fera, à mon sens, grimper  le  taux de la devise étrangère échangée au « Square Port Saïd »  à près de 15% d’ici un mois et demi. D’autre part, le flux des voyages post Covid-19  sera également l’un des paramètres à l’origine de cette hausse que je prédis.

Comment font les barons du Square Port Said pour alimenter le marché parallèle de la devise et quels sont ses principaux leviers ? A combien estimez la masse monétaire qui y circule actuellement ?  

Il y’a la grande partie des chefs d’entreprises et industriels algériens qui bénéficient des prêts bancaires en Algérie pour financer leur projets. Forcément ils travaillent beaucoup moins à cause du Covid-19, mais avant en amont du Hirak 2019, ces chefs d’entreprises avaient pour habitude de créer des sociétés « offshore », domiciliées à des banques spécialisées avec des montages financiers outillant leurs démarches parallèles.

Ces comptes sont utilisés pour financer soit disant des équipementiers / fournisseurs, alors qu’en réalité, derrière ces sociétés, se cachent ces mêmes hommes d’affaires, qui grâce à la magie du phénomène de la « surfacturation », bénéficient des transferts internationaux au taux officiel, et récupérer ainsi la différence à l’étranger et la rapatrier ensuite pour la convertir sur le marché noir en Algérie.

Ce comportement de « mafia » a permis de réinjecter cet argent dans les banques et l’utiliser à d’autres fins. Le marché noir s’est engraissé d’environ 25 à 30 milliards de dollars entre 2007- 2019. Aujourd’hui la masse financière du marché parallèle est approximative entre 8-12. Milliards de dollars, dont 35 % circule  entre l’Algérie et la France, 10% vers le Royaume-Uni, la Chine. L’Europe et les États-Unis se partagent le reste. La rotation de ces fonds est relativement importante. 

Maintenant, ce phénomène est en repli depuis une année, ce qui a favorisé le ralentissement des échanges et donc le maintient de la valeur de la devise au marché noir, malgré le maintient d’une demande se faisant de plus en plus timide. 

Cependant, et depuis une année l’Euro devenu très stable. Evidemment, Il est inutile de préciser que ceci échappe  totalement au control de l’état , d’où la faiblesse de notre  économie.

Sous d’autres cieux, c’est aux ambassades de développer leurs départements trading grâce au concours d’inspecteurs qui vérifient l’authenticité des documents fournisseurs et partenaires des pays cibles. Actuellement, c’est la DGD (Direction Générale des Douanes) qui s’en occupe. Comment voulez vous que la douane aille vérifier une société basé au Liechtenstein, aux Îles Cayman ou à Chypre ?  

Certains experts financiers soutiennent que le taux de change du marché parallèle est plus  « réaliste » que celui fixé par la Banque d’Algérie, d’un point de vue macroéconomique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Dire que le taux de change pratiqué sur le marché parallèle est plus réaliste que celui fixé par la banque d’Algérie est à mon sens un raisonnement isolé. Je tiens à signaler que le taux officiel n’est pas indexé sur le marché noir. Personnellement, je refuse de croire à cette notion de « réalisme ».

Le « Square » est un problème qui pénalise avant tout l’économie du peuple algérien. Voilà pourquoi l’Etat doit absolument instituer la création des bureaux de change à un taux spécifique pour séduire les consommateurs de toutes catégories. Il faut mettre la devise à la portée des citoyens. Qui plus est, ces établissements permettent d’identifier les acheteurs et vendeurs, donc de tracer le mouvement de l’argent, ce qui permettra in fine de capter la masse de cash-flow qui circule à l’informel. Le marché du square est le « Frankenstein de l’Etat », qui n’a rien fait de structurant durant les 20 dernières années pour espérer voir affluer les « crésus » de l’ombre vers les banques nationales pour régulariser leur situation. J’estime pour ma part qu’il est temps de faire appel aux professionnels si l’on veut éliminer ce fléau économique, mais je doute que les pouvoirs publics aient la volonté politique de le faire.    

Quels sont, selon vous, les secteurs économiques qui ont un impact direct sur la politique algérienne de la devise ?

Si vous parlez de la devise au taux officiel alors la les secteurs économiques ayant un impact directs sur le taux officiel, c’est d’abord l’énergie, qui représente 95% de nos exportations, puis Il y’a aussi les autres secteurs de consommation de masse.

Si vous faite allusion au marché noir, les secteurs concernés sont l’automobile, surtout avec le retour de l’importation ; la téléphonie mobile ; l’électronique ; le commerce de prêt à porter et le tourisme.

Mais encore une fois, je peux vous assurer qu’il y’a des mécanismes opérationnels qui permettront d’éradiquer le marché noir de la devise comme la réforme total des systèmes bancaire et fiscal. Ce dernier notamment, ne répond pas à la possibilité de la croissance économique. L’Algérie fonctionne sur la facturation fiscale agressive, rapide et non adaptée à chaque secteur d’activités. Quant aux opérateurs et investisseurs, c’est à peine si leurs projets voient le jour, qu’ils sont submergés d’impôts à payer.

Par ailleurs, la politique monétaire de l’Algérie dépend de la balance commerciale. Nous importons beaucoup et produisons très peu. Une monnaie forte diminue le coût des importations, et augmente celui des exportations , donc l’Algérie aura plus de peine à exporter et rapatrier les devises , tellement dommage car ceci aurait foudroyé le marché noir , notre situation  actuelle est également une énorme nuisance à l’emplois.

D’un autre côté, les importations pèsent de plus en plus lourd sur le budget d’ l’Etat. Si l’industrie nationale était en bonne santé, elle aurait de fait enclenché un cercle vertueux de croissance économique, de consommation et de création d’emplois. A terme, cela ruissèlera sur les recettes et le marché parallèle finira par en accuser le coup. A défaut, l’Algérie suffoque et par conséquent elle ne contrôle pas la gestion de la devise.

Pensez-vous que les « tergiversations » affichées par les gouvernements et gouverneurs de la Banque d’Algérie successifs, quant à la réforme du secteur bancaire notamment via le numérique, ont permis au « marché du square » de peser aussi lourd sur la politique monétaire du pays ?

En effet ! Mais au-delà de cette histoire,  il y’a pléthore de décisions qui ont été prises et même votées par un parlement qui joue le rôle de chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif.   

La réforme bancaire est vitale aujourd’hui. Les banques publiques sont un désastre : Pas de services adaptés ni de produits bancaires pour accompagner le lancement et la croissance des PME/PMI. Pas de monétique, et encore moins de stratégie internationale pour, ne serait-ce que pour des besoins d’image. 

Il faut comprendre de façon claire que le rôle joué par le système bancaire dans une économie est primordiale. Il sert d’intermédiaire entre toutes formes de financiers et autres bailleurs de fonds et ceux dont la mission et transformer les financements en économie réelle. Les premiers prêtent leur argent à la banques, qui à son tour, l’affecte à la deuxième catégorie sous forme de crédits avec intérêt. Voilà pourquoi on considère que le système bancaire est la colonne vertébrale de l’économie. 

L’Algérie et ses banques publiques sont aux antipodes de cette matrice. Raison pour laquelle l’informel nous dévore. Il nous est impossible de convertir les flux financiers argent technique. L’économie algérienne fonctionne à l’argent physique, de surcroît intouchable et intraçable.

En parallèle, Il fait absolument réconcilier les algériens avec la banque, en faisant appel au génie des méthodes commerciales. Cela ne peut se faire sans un regain de confiance en ce rouage essentiel de l’économie et son outil de travail qu’est la monnaie nationale. 

Vos préconisations au secteur de référence pour « bancariser » cette masse de cash-flow et la mettre au service de l’économie algérienne ?  

A mon sens, Pour régler ce problème il faudrait des réformes immédiates sur les TIC, et les banques, notamment via la création de banque en ligne.

Pour cela, il faut redynamiser le marché de la téléphonie mobile en lançant les MVNO (mobile virtual network operator). Le GSM qui sera la rampe de lancement de la monétique. Les MVNO sont des opérateurs qui au même titre que les MNO (opérateurs GSM classique) pourraint être agréés par le Ministère de la Poste, via L’ ARPOC (ex-ARPT). En Algérie il pourrait y avoir un MVNO chaque opérateur.

Avec un marché de téléphonie mobile modernisé pour les besoins de la cause, nous pouvons  y injecter le M- banking, les paiements de tous les jours à travers le parc des smart phones.  Progressivement, les algériens vont s’habituer à l’argent technique et tous les secteurs seront à leur tour touchés. C’est 40% à 50 % de l’argent de l’informel qui va disparaître, notamment si les paiements via le « Mobile » ne sont pas plafonnés à des petits montants. 

D’autre part, j’appelle au développement d’un autre switch processing centre des banques  car la SATIM a freiné l’évolution du paiement électronique et monopolisé ses services comme les TPE et les cartes bancaires. Il est nécessaire d’ouvrir ce secteur au privé

Personnellement, je considère que la SATIM a échoué dans sa mission qui consiste à développer le marché de la monétique en Algérie, alors que des seniors managers de VISA monde et autres souhaitent venir investir en Algérie pour construire un deuxième switch pour les banques algériennes, en vain.

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