Le ministère de l’Environnement est absent du débat algérien sur le schiste - Maghreb Emergent

Le ministère de l’Environnement est absent du débat algérien sur le schiste

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Interrogée à deux reprises sur de potentiels dangers environnementaux induits par l’exploitation du gaz de schiste – une première fois en marge de la présentation du plan d’action du gouvernement, puis lors de sa dernière visite à Oran – la ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Dalila Boudjemaa, a botté en touche.

 

«Nous allons établir un rapport sur les impacts de l’exploitation du gaz de schiste sur l’environnement. Les avis divergent sur le sujet. Il y a plusieurs études qui sont en cours d’élaboration», a-t-elle répondu lors de sa visite à Oran, ajoutant qu’une “étude technique sera effectuée pour connaître les répercussions du gaz de schiste sur les nappes phréatiques et l’environnement en général ».

Les animateurs de l’association écologique de Boumerdes qui ont apporté leur soutien aux organisateurs du dernier sit-in tenu à Adrar par des militants écologistes pour dénoncer « le fait accompli des pouvoirs publics » sur la question du gaz de schiste, ne comprennent pas que « les représentants institutionnels du secteur restent muets dans un débat qui engage l’avenir de plusieurs générations ». Les écolos algériens estiment à 20.000 mètres cubes le volume total d’eau utilisée pour la fracturation pour un seul puits, tandis que celui des agents chimiques tourne autour de 1000 à 4000 tonnes. « Ce sont les chiffres de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie)», s’alarme l’un d’eux. Il y a nécessité de disposer d’un grand nombre de puits par unité de surface pour fournir les volumes requis de gaz et, pour maintenir la production il faut multiplier les forages afin de faire face au déclin des anciens. Une partie seulement du fluide remonte lorsque le gaz s’élève à la surface, le reste étant emprisonné au fond avec les agents chimiques. « La nappe phréatique est en dessous de ces puits et les risque de contamination sont énormes », ajoutent-t-ils.
La menace du stress hydrique
Mais le plus grave est que, selon un cadre du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement qui s’est confié à Maghreb Emergent, « il n’y a, à l’heure actuelle, aucun cahier de charges en préparation pour évaluer d’éventuels dommages environnementaux de l’extraction des huiles de schiste». Il ajoute qu’il ne peut y avoir d’études d’impacts tant que des projets d’exploitation précis et identifiés ne sont pas présentés au Conseil du gouvernement par le ministère de l’énergie.
Selon lui, le malaise sur cette question le malaise est profond, car il est de notoriété publique que la plus grande menace qui guette l’Algérie à l’avenir est le stress hydrique et non pas une crise énergétique. « Dans tous les forums et conférences régionaux et internationaux auxquels le ministère a pris part, et ils sont nombreux, la problématique du stress hydrique et de l’approvisionnement en eau ont été évoqués avec insistance par les experts, » ajoute notre source.
Dans ce sillage, la Banque Africaine de Développement (BAD) note dans un rapport intitulé « Le gaz de schiste et ses implication pour l’Afrique » que « l’enjeu pour l’Algérie sera de déterminer si son approvisionnement en eau disponible est suffisant pour pratiquer la fracturation sans impacter les autres secteurs tels que l’agriculture. Par ailleurs, malgré la solide expérience acquise dans le développement du secteur gazier, l’Algérie ne possède pas encore l’expertise requise en matière de réglementation et de contrôle pour garantir que les pratiques de fracturation ne poseront pas de risques écologiques insoutenables», conclu le document de la BAD.
Concurrence schiste-agriculture-industrie sur l’eau
Sur cette question sensible, il y a largement matière à débat en aval et de nombreux observateurs ne comprennent pas cette position du ministère de l’Environnement, qui consiste à éviter d’y prendre, au moment où d’autres ministres partisans du gaz de schistes, n’hésitent pas à traiter les opposants qui ont exprimé leurs craintes, « d’ennemis du pays ». Le ministre de l’énergie, connu jusque là pour sa retenue, a même remis au goût du jour, la théorie du complot ourdi par « ceux qui sont manipulés par des forces étrangères pour porter atteinte à la souveraineté de l’Algérie ».
Dans tous les pays, le débat est pourtant d’actualité. En ayant interdit la fracturation hydraulique, le ministère du développement durable en France ne reçoit plus de demande d’exploration ; preuve s’il en est que c’est la seule technique d’exploitation disponible. Il est également prouvé que le bilan carbone de cette technique est désastreux, en plus de remontée des métaux lourds. Dans une note de recommandations de l’Union Européenne aux pays membres, datée du 22 janvier 2014, l’instance supranationale européenne attire l’attention sur « la forte empreinte environnementale que l’extraction de gaz de schiste entraîne,» soulignant « que la consommation en eau va entrer en concurrence avec d’autres usages déjà établis (industrie, agriculture, eau potable) ».
De par son double rôle département en charge de la protection de l’environnement et l’aménagement du territoire, sa première responsable, Dalila Boudjemaa, ne peut pas se permettre le luxe de la « neutralité » dans un débat qui engage l’Algérie et les générations futures.

 

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