Ali Benflis a fait sa déclaration de candidature ce lundi à Alger : Pas d’éléments de bilan de l’ère Bouteflika. Un peu gênant dans un discours de 90 minutes. De bonnes intentions mais pas de contexte. Où en est l’Algérie en 2014, et où devra-t-elle être dans cinq ans à la fin d’un mandat présidentiel ? Le sentiment est que le candidat Benflis a choisi de ne pas effaroucher des concitoyens à qui il va demander des voix. Abdelaziz Bouteflika a restauré au-delà de 2005 la redistribution tous azimuts de la rente des années «100 dollars le baril». Ali Benflis a prudemment choisi de ne pas dire que cette période va se terminer avant la fin du prochain mandat. Il ne veut pas être l’oiseau de mauvais augure.
D’autant que de trop nombreux algériens pensent que la hausse du prix du baril et le retour d’une bonne pluviométrie au milieu des années 2000 sont le mérite maraboutique du clan Bouteflika et de son wali Essalah. Mais le doute est désormais permis. Si Ali Benflis a parlé d’économie en 2014 presque dans les mêmes termes qu’il y a dix ans, c’est peut-être aussi qu’il ne sait pas suffisamment combien les choses ne sont plus pareilles. Son discours, lorsqu’il a touché — trop peu — à l’économie a plus parlé de comment redistribuer la richesse équitablement.
C’est bien sûr très important. Mais le plus important est que le modèle redistributeur qui repose sur la fiscalité pétrolière est en train d’entrer en crise. Bientôt, plus rien à redistribuer ou presque. Lorsque Ali Benflis évoque la dépendance aux hydrocarbures pour l’économie nationale, il dit — sans insistance particulière — qu’il faudra en dépendre moins dans l’avenir. Erreur, il faudra ne plus en dépendre du tout et dans un terme plus court que prévu. Décalage tactique pour ne pas choquer l’opinion, ou conviction naïve qu’il y a encore de belles années en Algérie pour le ratio de 26% du PIB dédiés aux subventions et aux transferts sociaux ? La suite de la campagne électorale le dira. Mais le ton donné n’accroche pas suffisamment l’attention.
Lorsque François Hollande s’est présenté en candidat devant les Français, il a attaqué le bilan du président en place sur sa connivence avec la finance et son traitement de la crise financière qui a fait payer les contribuables pour sauver les riches. Il a promis de réduire les déficits publics parce que c’était l’exigence de Bruxelles, mais aussi de faire campagne en faveur de mesures de relance dans une Europe étranglée par l’austérité au printemps 2012. Ce qu’il a fait de ses promesses est un autre débat. Ali Benflis ne s’est pas clairement positionné par rapport à la politique économique archi basée sur la dépense publique — si gaspilleuse de ressources — des années Bouteflika. Il n’a donc rien dit sur son chemin de transition vers la diversification économique, un mot qu’il n’a d’ailleurs pas prononcé, de même que celui d’économie de la connaissance ou économie numérique.
Le domaine où il aura finalement été le plus convaincant est celui de la lutte contre l’impunité judiciaire, notamment dans les affaires de corruption. Il n’y a aucune raison a priori de penser que Ali Benflis n’est pas l’homme qu’il faut pour faire reculer la corruption en Algérie. Mais nous sommes là déjà dans un plan séquence à cadre serré. Il manque le plan large qui vient avant.
Un conseil interministériel est prévu pour réfléchir à comment réduire l’encombrement automobile dans la capitale : Le gouvernement aurait pu commencer par commander une étude pour évaluer le préjudice économique et social d’un temps de transport intra et péri-urbain plusieurs fois plus long que la norme dans les pays développés. Les conclusions pourraient être redoutables. Car elles s’attaqueraient au complexe militaro-sécuritaire et à son poids écrasant en Algérie. Si la capitale est paralysée par l’automobile, c’est d’abord en priorité la faute bien sûr à l’élévation rapide du revenu des ménages ces dix dernières années.
Mais comme l’Etat aussi s’est enrichi, il a construit à Alger et autour de nouvelles trémies une nouvelle rocade sud, de nouvelles bretelles, 8 km de métro, et le tramway de la baie d’Alger et des dizaines d’aménagements comme les îlots directionnels (rond-point giratoire). Tout cela n’a pas suffi à rendre plus fluide la circulation automobile. Au contraire, elle évolue vers l’apoplexie. Et là intervient la responsabilité fatale du lobbying sécuritaire, émanation de son complexe cité plus haut. Alger est une citadelle menacée. Elle est la ville la plus encerclée de la planète. Prise en otage. Pourtant, tous les soutiens du régime parlent — sans contradicteurs sur le «service public» de Monsieur Messahel — du retour de la paix grâce au bon Marabout-Président. Le risque terroriste existe. Il est gonflé par le complexe militaro-sécuritaire. Pour des raisons de croissance budgétaires et d’influence politique classiques.
C’est ainsi partout dans le monde. En URSS, c’est maintenant connu, le KGB a vendu, pour des raisons d’auto-croissance, au Politburo, la course à l’armement à la fin des années 70 jusqu’à asphyxie de l’économie soviétique : Le DRS, l’état-major de l’ANP, le commandement de la gendarmerie nationale et le DGSN font pareil. Leur rapport coût financier- utilité sociale est devenu insoutenable. Parce que le risque terroriste a baissé à l’intérieur, et que la doctrine militaire n’a pas changé – pas interventionniste à l’extérieur. Le dispositif autour d’Alger est hors proportion avec le danger qu’il prévient. La première mesure à prendre est de tenter, sans prévenir, une journée sans barrages pour entrer dans la capitale. Pour faire un test en grandeur réelle. Et mesurer l’impact.
Le complexe militaro-sécuritaire est coupable de l’engorgement routier dans la capitale et dans le pays, parce qu’il est également responsable de l’indigence numérique algérienne. Il faut se déplacer pour tout. Parce que le paiement électronique n’est toujours pas possible, les services Internet à l’âge de pierre en attendant l’extension de l’Internet mobile, les fournisseurs de guidage GPS interdits, les radios libres sur le trafic routier pas encore autorisées, Abdelmalek Sellal doit affronter les grands patrons du sécuritaire en Algérie pour rendre rapidement la circulation viable à Alger. A oublier.
Article paru dans les colonnes du journal El Watan