Le populisme, une autre menace face à la transition politique en Algérie (contribution) - Maghreb Emergent

Le populisme, une autre menace face à la transition politique en Algérie (contribution)

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Deux agendas concomitants mais avec des buts différents se télescopent actuellement. Celui du chef d’Etat-major de l’armée qui doit éradiquer la conspiration des « janissaires » et des « sous-fifres » qui ont tenté d’accaparer le pouvoir par un coup contre le chef d’Etat-major et qui ont échoué et se sont retrouvés incarcéré (1), d’une part. D’autre part, le soulèvement populaire national qui, lui, exige un changement de système et notamment celui de la gouvernance instituée par Président de la république depuis 1999 (2), avec ses slogans populistes du dégagisme (Yrouho Gaâ) et son incapacité à transformer ces marches massives, pacifiques et nationales, en capacité de propositions politiques consensuelles de sortie de crise (3).

En fait, le « Hirak » sait ce qu’il ne veut pas mais ne sait pas ce qu’il veut, au bout de quinze vendredis de manifestation massive et soutenues ! Le chef d’Etat-major, en bon militaire d’infanterie, va donc contrôler la crête et amortir les chocs à la fois du « Hirak » et tenter de neutraliser le complot, tout en consolidant ses propres positions (4).

Tout en demeurant dans le strict cadre constitutionnel légal, il va gagner du temps pour venir à bout des complots intérieurs et extérieurs, qui se fomentent, jusque et y compris, au sein des force armées et dans la population, avec l’appui à peine caché des chaines médiatiques « offshores » (5) qui émettent de l’étranger mais qui activent en Algérie (6), en « toute liberté », chacune en fonction des agendas de ses sponsors.

Cette démarche va introduire un décalage flagrant entre les décisions prises, par le chef d’Etat-major et les revendications légitimes de la population, ce qui a fini par introduire la suspicion et développer une surenchère populiste visible, à chaque marche hebdomadaire, si l’on compare les premiers slogans du 22 février et ceux qui vont suivre.

Les cas emblématiques, du départ des trois « B », en est l’expression la plus éclatante, comme si ces personnalités avaient un pouvoir réel et qu’elles pouvaient agir sur les décisions prises, petites ou grandes… qui peut raisonnablement le croire ? Leur départ programmé aura-t-il un impact sur la résolution de la crise que nous vivons ? Et c’est à cet endroit qu’apparaissent les agendas cachés des autres acteurs (7), qui surfent sur le « Hirak » (8), à coup de listes personnalisées, de propositions de sortie de crise, pour se placer en pool position, dans la nouvelle course au pouvoir, à l’instar de Me Bouchachi qui cumule la prétention d’être juge et parties, de parler au nom du peuple et de se préparer implicitement à concourir aux présidentielles.

Enfin, il y a ceux qui soutiennent, directement ou indirectement le chef d’Etat-major car ils pensent être dans ses bonnes grâce et ceux qui le dénigrent parce qu’ils se sentent exclus de la course ou pour lui demander de retenir leur candidature. A cet endroit, le Pr A. Merdaci est d’une lucidité limpide en écrivant (9) que « Seuls ceux qui nourrissent des desseins obscurs, s’échinent à construire les illusions d’un avenir qui ferait table rase du passé. Ceux-là exigent de l’ANP qu’elle remette «le pouvoir au peuple» – en somme entre leurs mains- et chacun d’y aller de sa feuille de route, sa transition et sa sortie d’une crise qu’ils n’ont ni vu venir ni pu encadrer, se soumettant aux oukases anonymes mais certes pas innocents des réseaux sociaux » (10). Les choses deviennent alors très claies pour ceux qui savent analyser les manœuvres des uns et des autres, le train de l’histoire politique de notre pays va quitter la gare est exige deux alternatives, le prendre ou rester sur le quai de la gare.

Entretemps, le Conseil Constitutionnel est instruit pour prolonger l’intérim du Président A. Bensalah (11) « jusqu’à l’élection du Président de la république et la prestation du serment constitutionnel » et « déclare l’impossibilité de tenir l’élection du Président de la république, le 4 Juillet 2019 et la réorganisation de celle-ci de nouveau ». L’honneur est sauf des « deux côtés », le chef d’Etat-major, ayant appelé depuis la 6ème RM à des « concessions réciproques » ! Il est évident, dès lors, que les jours du gouvernement de N. Bedoui sont comptés et il appartiendra au « Président prolongé » de former un nouveau gouvernement, dit neutre ou de technocrates, « validé » par le chef d’Etat-major.

Après donc la destitution d’A. Bouteflika (12), le report des élections présidentielles du 4 Juillet 2019 et certainement la dissolution prochaine du gouvernement et son remplacement, pour accompagner la période de transition, (ceux qui se projettent en elle et l’appellent de leurs vœux, refusent cependant d’y participer, puisqu’ils seront exclus d’office des présidentielles), il est clair que le plan décalé du chef d’Etat-major, seul maître du jeu politique actuellement (13), se met en place, pièce par pièce, à l’instar d’un puzzle. C’est ce que vient de confirmer le Président par intérim « prolongé » sine die, dans son discours à la nation du 6 Juin 2019.

A n’en pas douter, sa proposition d’un « dialogue inclusif » va susciter un rejet massif de la part du conglomérat de la classe politique, qui attend que le chef d’Etat-major lui remette tout simplement les clés du pouvoir, sans conditions, afin qu’elle verrouille, à son profit, l’élection présidentielle. Les slogans de la marche du seizième vendredi, vont certainement confirmer ce dégagisme (trouhou gaâ) et remettre encore une fois l’institution militaire face à la population, sans qu’une perspective rapide de solution à la crise n’émerge de ce bras de fer. Le populisme a encore de beaux jours devant lui, même si l’impasse est prévisible et que la complexité du problème se renforce, rendant de plus en plus fragile le caractère pacifique et civilisé des marches populaires massives. Sans un retour à la raison réciproque, la crise va perdurer et les dangers potentiels prévisibles vont devenir réels.

Dr Mourad GOUMIRI Professeur associé.

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(1) Il s’agit du triumvirat constitué par, essentiellement, des généraux M. Mediène et d’O. Tertag et de S. Bouteflika. Le reste des membres du complot suivra, même s’ils n’étaient pas au cœur du dispositif mais pouvaient, comme relais, consolider le processus, après l’élimination du chef d’état-major.

(2) Au plan de la gestion du pouvoir, le Président a joué le corps de bataille contre les services de sécurité pour ensuite s’ériger comme seul arbitre, tantôt en appuyant l’un, tantôt l’autre mais en veillant toujours à rester le maître du jeu, la ruse étant son meilleur atout. Cette tactique, dans laquelle il est passé maître, va cependant se retourner contre lui, du fait de son état de santé et d’en avoir usé et abusé, ce qui va faire prendre conscience ses protagonistes.

(3) M. Sifi vient de publier un programme pratique de sortie de crise, en plusieurs points, qui mérite un détour, du fait de son approche très pragmatique mais irréalisable en l’état, tant les arrière-pensées et les agendas cachés, des unes et des autres, sont divergentes et contradictoires. S. Djilali, président de Jil Jadid,  avait proposé son plan de sortie de crise qui repose sur la mise en place d’un «forum national», dont les membres seront bénévoles et la formation d’un gouvernement neutre, non partisan, dont la durée et les missions seront également négociées.

(4) Il va procéder systématiquement aux changements des chefs de région et de forces et s’enquérir de leur soutien, en procédant à des « visites de travail et d’inspection» quasi hebdomadaire.

(5) Les chaines de TV, installées à l’étranger, ne semblent pas trouver de difficultés à développer leurs activités de propagandes, sans que les autorités habilitées du pays de résidence ne contrôlent leurs contenus et leurs financements, alors que les réglementations respectives sont strictes, en la matière.

(6) Alors qu’elles émettent de l’étranger, les chaines offshores activent en Algérie (journalistes, reportages, émissions, publicité…) en toute liberté, en dehors du cadre légal. Des moyens financiers énormes sont investis, sans que personne, en Algérie ne s’inquiète de l’origine de leurs moyens, humain, matériel et financier.

(7) Dans une émission radio télévisée récente, A. Benbitour, plusieurs fois ministres et même Premier ministre d’A. Bouteflika, vient afin de déclarer qu’il n’est pas intéressé par une quelconque responsabilité dans la phase dite de transition, ce qui l’exclurait de la course aux présidentielles, de jure mais qu’il est, en revanche, partant pour l’élection au pouvoir suprême !

(8) La conférence nationale du 15 Juin 2019, annoncée, « en grande pompe » par les animateurs  syndicaux, associatifs et des défenseurs des droits de l’homme, risquent de capoter tant les positions idéologiques sont divergentes voire contradictoires.

(9) Lire la contribution du Pr  A. Merdaci intitulée : « MARCHE DE L’HISTOIRE ET HISTOIRES DE MARCHES », in le Soir d’Algérie du 26 Mai 2019.

(10) Dans la même veine, M. Ait Larbi vient de publier sa solution de sortie de crise en trois langues, il déclarera certainement bientôt, à l’évidence, sa disponibilité à aller à la course aux présidentielles et son refus de participer à la transition, qui l’exclurait d’office des présidentielles.

(11) Les réactions à cette « prolongation » ne se sont pas faites attendre, puisque le FFS, RAJ, la LDDH, le RCD, El ADALA, l’UFDS, Talai Al Hourriet, le MSP, le parti Al Binaa, le PLJ, Fadjr Al Jadid, le PT et Ennahda … rejettent cette décision, au nom de la violation de la constitution, celle-là même qu’ils ont rejeté à l’unisson, lorsque le chef d’état-major se cramponnait derrière elle (l’article 102 en tête) !

(12) Le pacte de soutien mutuel, scellé entre A. Bouteflika et A. Gaïd-Salah a été rompu, par le premier, dès lors que le Président et sa fratrie ont décidé de passer en force pour introniser S. Bouteflika à la présidence de la république, ce qui ne pouvait se faire qu’avec l’élimination du chef d’état-major d’une manière ou d’une autre et peut-être même physiquement, puisque c’est dans les mœurs politiques de notre pays, faut-il le rappeler à cet endroit.

(13) Les éliminations diverses et variées (destitutions, incarcérations, poursuites, pressions, intimidations, menaces…) ont permis au chef d’état-major de contrôler la situation politique, économique et sociale et de mettre en œuvre sa solution de sortie de crise, sans effusion de sang, pour l’instant. Les autres offres politiques s’agrègent, à la sienne, à quelques détails près.

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