Dans cet entretien, Michael Willis, professeur anglais à l’Université d’Oxford et spécialiste des relations internationales, analyse et décortique les résultats du referendum organisé la semaine passée en Grande Bretagne.
Pour lui, le Brexit dévoile en fait un phénomène d’incertitude et de rejet qui traverse toute l’Europe.
Maghreb Emergent : Comment expliquez-vous le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne? Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont conduit les votants à faire ce choix?
Michael Willis: Une simple infographie du referendum organisé la semaine dernière renseigne à plusieurs titres sur les résultats du vote. Elle nous éclaire particulièrement sur les raisons qui ont conduit la majorité des votants anglais à opter pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. L’aspect démographique semble avoir joué un rôle décisif dans ce cas précis. Il se trouve que les électeurs d’un certain âge ainsi que les votants dont l’éducation est moyenne, issus particulièrement des petites villes et des provinces anglaises, ont largement opté pour le Brexit, alors que la population des grandes villes, des pôles universitaires à Londres et ailleurs, ont voté pour le maintien de leur pays au sein de l’UE.
Les chiffres démontrent aussi que les premiers, les votants des petites villes, ont massivement investi l’urne alors que le taux de participation a été nettement moins important en métropole. Il faut savoir, par ailleurs, que beaucoup d’Anglais aujourd’hui se sentent abandonnés et ignorés par leurs dirigeants politiques. Le résultat du referendum apparait en ce sens comme une sanction. Ceci au plan strictement interne. Au plan européen, les personnes qui ont voté pour la sortie sont en fait persuadées que les lois de l’UE, précisément les politiques d’immigration qui sont menées par cette institution, sont préjudiciables pour les Anglais. Précisons, enfin, qu’une grande partie des médias populaires proches de la droite anglaise, a mené une guerre sans merci à l’Union européenne 30 années durant. Ceci a eu forcément une incidence directe sur le choix d’une large partie des électeurs.
La montée du nationalisme en Grande Bretagne mais aussi dans toute l’Europe n’a-t-il pas eu un effet direct sur les résultats de ce referendum?
Clairement oui. Le Brexit dévoile, en effet, l’ampleur d’un phénomène de rejet et d’incertitude qui traverse tout le vieux continent. Il est particulièrement perceptible chez une catégorie d’Européens d’un certain âge, chez les couches de la population dont le niveau de vie demeure en deçà de la moyenne et, enfin, chez les populations plus ou moins traditionnelles et conservatrices. Tout ce beau monde exprime de plus en plus un malaise croissant généré par les forces de la globalisation qui impactent directement et lourdement leur train de vie. Beaucoup ressentent par exemple que les étrangers, notamment les mieux éduqués et les mieux formés, piétinent sur leur terrain et amoindrissent, par conséquent, leurs chances de décrocher un emploi. Ceci est vécu comme une concurrence directe, voire comme une menace. «La faute à l’étranger» est devenue aujourd’hui un reflexe profondément établi dans les sociétés occidentales.
Quel sera l’impact de ce retrait sur le Royaume-Uni ?
Le Royaume-Uni essaie encore de comprendre ce qu’il s’est passé. Le pays tente de faire face pour l’instant à l’impact des résultats du vote. A court terme, tout le monde est d’accord que le Brexit aura clairement une répercussion négative sur le pays. Les résultats du vote ont provoqué une véritable déstabilisation et le sentiment d’incertitude s’est nettement accru. La valeur de la monnaie s’est quasiment effondrée alors qu’une grande partie des investisseurs est en train de geler ses projets en attendant de voir plus clair.
Comment Bruxelles sera-t-il impacté ?
Il sera très intéressant de voir comment Bruxelles réagira-t-il au retrait d’un de ses membres. Des appels aux changements et à la réforme de l’UE se font d’ores et déjà écho. Certains membres européens appellent à une profonde réforme. Il y a aussi certains partis qui vont jusqu’à proposer un projet d’une Europe fédérale. Tout compte fait, je suis persuadé que l’Union européenne trouvera les ressources nécessaires et les solutions pour prévenir contre d’autres ruptures. Je pense que l’UE mènera d’intenses et dures négociations avec le Royaume-Unis afin de décourager les autres pays membres qui seraient tentés par la porte de sortie.
De quoi sera fait, dans ces conditions, l’avenir des relations entre le Royaume-Uni et les pays du Maghreb ?
Sous cet angle, Il est encore, à mon sens, prématuré de parler d’un quelconque changement au niveau des relations qu’entretient le Royaume-Uni avec le Maghreb de manière générale. Si le Royaume-Uni revoit sa politique d’immigration en Europe, j’aimerais personnellement qu’il assouplisse les conditions d’accueil des étrangers provenant de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc. Les relations entre mon pays et l’Afrique du nord ont beaucoup souffert d’un système restrictif de visas. J’ai personnellement fait les frais de cette politique qui m’a empêché de ramener des chercheurs et des maitres de conférences à l’Université d’Oxford. J’espère vivement que cela changera dans un proche avenir.