Le complexe d’El-Hadjar a été repris par l’Etat algérien, à travers Sider. Une décision qui cache un fiasco économique.
Derrière l’annonce d’une reprise imminente de la production au complexe sidérurgique d’El-Hadjar, se profile une histoire faite de mauvaise gestion, de gabegie et de choix malheureux. Un cumul qui, au bout de longues années, a débouché sur une gestion chaotique de ce qui fut considéré comme un fleuron de l’industrie algérienne, mais qui sombre inexorablement, malgré le discours opaque du gouvernement et de la direction de l’entreprise qui gère le complexe.
Ahmed Belabbès, PDG de l’entreprise qui possède le complexe d’El-Hadjar (51/49 entre Sider et l’indien Arcelor Mittal), a fait le tour des médias pour assurer que la production reprendrait normalement dans un délai d’une semaine. Ce faisant, il a révélé que le complexe fonctionnait à un rythme particulièrement bas depuis juin 2014 , et qu’il était contraint d’importer des produits semi-finis pour faire tourner les machines.
Le résultat est dramatique pour le pays : une production qui chute à 300.000 tonnes, après avoir atteint 1.1 millions de tonnes aux heures les plus fastes, une demande qui explose, et l’Algérie est contrainte d’importer pour 2.5 milliards de dollars de produits sidérurgiques. La production nationale satisfait aujourd’hui moins de dix pour cent de la demande.
Mauvaise conjoncture
Comment en est-on arrivé là, alors que Mittal semblait, il y a cinq ans, avoir fait le plus dur ? Le complexe a, en fait, pâti d’une double conjoncture défavorable. Après le rachat de 70% des parts de l’entreprise en 2001, Mittal avait mené certaines grandes réformes, en recentrant le complexe sur son métier, la sidérurgie. Le nombre de travailleurs était retombé à 5.000 au lieu de 20.000 dans les années fastes, et la plupart des activités annexes avaient été abandonnées à d’autres entreprises, la plupart crées à partir de la restructuration d’El-Hadjar.
Mais la crise de 2007 a fait chuter la demande mondiale, et ébranlé le modèle Mittal. En parallèle, le gouvernement algérien, qui disposait de recettes financières grâce au boom des prix du pétrole, a choisi de privilégier la paix sociale au détriment de l’efficacité économique. Il a commencé à injecter de l’argent dans le complexe, pour aboutir, en 2013, à une renationalisation, décidée à la veille de la présidentielle. L’opération s’est faite dans les pires des conditions : les installations avaient vieilli, Mittal n’avait pas fait les investissements qu’il jugeait désormais inutiles, avec la crise. M. Belabbès reconnait un « état de vétusté avancé du fourneau », et admet que « les conditions financières ont empêché » de le rénover. Aujourd’hui, une « réfection totale » est envisagée, « d’ici 2015 », grâce à l’argent frais apporté par l’Etat algérien.
Eteindre le feu avant la présidentielle
Côté algérien, il était hors de question de laisser couver le feu à la veille de la présidentielle. Le gouvernement a donc repris la majorité des actions, en promettant des investissements consistants. Il va encore mettre 720 millions de dollars, dont 120 d’argent frais apportés par les actionnaires, le reste sous forme de crédit d’une banque publique, la BEA.
El-Hadjar souffrait aussi d’un autre handicap, une agitation sociale récurrente. Celle-ci avait sérieusement refroidi le géant indien, qui semblait prêt à abandonner. En affirmant que la situation s’est « stabilisée », après « des problèmes de fonctionnement » depuis juin, M. Belabbès assure qu’un « pacte de stabilité sociale » a été signé entre les actionnaires et le partenaire social », pour avoir « une trêve » et « travailler dans la sérénité et la confiance ». Mais le problème n’est pas réglé pour autant, car la direction souhaite « une représentation syndicale qui soit raisonnable, qui adhère au projet de l’entreprise », ce qui montre que les syndicats contestent les choix de la direction et veulent imposer leur vision.
Nationaliser un problème
Ce qui n’empêche pas M. Belabbès de dire que « le problème de la gouvernance a été résolu à travers la prise de contrôle par la partie algérienne ». En réalité, l’Algérie a nationalisé un problème, car elle ne possède pas le management nécessaire pour faire d’El-Hadjar un outil de production performant. Et alors que l’indien Mittal était au pied du mur, c’est l’Algérie qui, devenue majoritaire, se retrouve au pied du mur.
Pourtant, elle doit absolument réussir ce pari, pour donner un minimum de consistance à l’économie algérienne à moyen terme. L’objectif visé à El-Hadjar est de passer à 2.2 millions de tonnes en 2017. Avec les quatre millions de tonnes prévus pour le complexe de Bellara, le pays pourra atteindre six millions de tonnes à l’horizon 2020, ce qui ne constituerait que la moitié de la demande envisagée au milieu de la prochaine décennie. Un objectif pourtant extrêmement ambitieux et apparemment impossible à satisfaire, si on se réfère aux performances prévues en 2014 : un chiffre d’affaires d’à peine 180 millions de dollars, et un déficit de huit à neuf milliards de dinars, ce qui représente plus de la moitié du chiffre d’affaires.