Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeur de sciences politiques à l’université d’Alger explique, dans cet entretien, ce qui a permis au Hirak de déstabiliser le système politique algérien. Elle s’attarde aussi sur les points forts qui ont permis à ce même système de se maintenir jusqu’à aujourd’hui.
Maghreb Emergent : le Hirak est venu avec de nouveaux moyens de contestation. Quelle lecture en faites-vous?
Louisa Dris Ait Hamadouche : le Hirak est l’expression d’une contestation ancienne avec des moyens nouveaux, les moyens de notre époque. Parce qu’il s’agit d’un mouvement social post-mondialisation de par les outils de mobilisation, l’horizontalité, et les revendications. Ces revendications, par exemple, sont de nature totale, c’est-à-dire qu’elles ne remettent pas en cause une politique, une décision, une démarche, mais exigent un mode de gouvernance totalement nouveau. C’est la raison pour laquelle le Hirak est national, trangenerationnel et qu’il dure.
L’autre grande nouveauté est le choix de la voie pacifique. Là encore c’est une façon d’affirmer la rupture avec les modes de contestation précédents qui ont tous démarré ou évolué vers la violence matérielle et/ou idéologique.
Le Hirak est donc nouveau dans le sens où il impose une double rupture. Une rupture verticale avec le mode de gouvernance et une autre horizontale avec les modes précédents de contestation.
Le Hirak a marqué des points mais son objectif suprême, à savoir déraciner le système semble difficile à atteindre. Comment voyez-vous la résilience du pouvoir en dépit de sa faiblesse?
Le système politique algérien résiste depuis l’indépendance. Cette longévité est caractéristique de sa capacité de résilience. Pour le moment, il continue de puiser dans les mêmes ressources qui lui ont permis de durer: la cooptation, la répression et la division. C’est classique. Ce triptyque continuera-t-il à fonctionner? Force est de constater que jusqu’à présent, il a permis au système de se maintenir mais pas de se stabiliser. Il s’avère bien moins efficace que par le passé. La réduction des ressources financières et les procès (engagés contre certains hauts responsables) réduisent le champ de la cooptation. La répression débouche sur l’émergence de héros nationaux. Et les tentatives de division n’ont pas brisé l’élan national. Bien au contraire.
Le Hirak est-il en train, malgré tout, de provoquer un changement au sein du système politique en Algérie?
L’élection présidentielle du 12/12 et les changements constitutionnels qui vont suivre peuvent suggérer un changement de l’organisation des pouvoirs (moins présidentiel… ), donc un changement de régime comme se fut le cas avec Boumédiène en 1965 ou Chadli en 1989.
Le changement du système politique exige la révision de la structuration de l’Etat donc de ses institutions. Cela implique le changement du régime politique, de l’ordre économique et social. Le but du Hirak n’est pas de passer d’un régime présidentiel à un régime semi-présidentiel ou parlementaire, mais de passer d’un système autoritaire à un système démocratique. La taille de cette nuance est proportionnelle au temps qu’il faut (pour atteindre l’objectif fixé). Le temps, le maintien de la pression populaire pacifique et la diversification des moyens de pression par l’organisation sont les réponses à votre question.