Loi sur les hydrocarbures: que devient le Conseil national de l'énergie ? (contribution) - Maghreb Emergent

Loi sur les hydrocarbures: que devient le Conseil national de l’énergie ? (contribution)

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Encore une fois, la loi sur les hydrocarbures est en train d’être amendée (1)… en catimini et le Conseil National de l’Energie (2), présidé par le président de la République, copieusement zappé.

Qui a intérêt à geler le Conseil national de l’énergie, sans autres formes d’explications ? Dans un communiqué laconique, le Premier ministre nous rassure en déclarant que «le nouveau projet de loi vise à atteindre un système juridique, institutionnel et fiscal stable et favorable à l’investissement dans le domaine des hydrocarbures à long terme, sans porter atteinte aux intérêts nationaux, d’autant que la règle des 51/49 concernant les investissements étrangers dans ce domaine a été maintenue» (3). Rien que ça, ce qui sous-entend, à contrario, que l’ancienne loi ne contenait pas ses conditions et que la nouvelle vient les y intégrer !

Combien de fois, depuis plusieurs années (4), avons-nous attirer l’attention des pouvoirs publics, sur la nécessité de recourir à la réunion du CNE, dont c’est la vocation première, afin de construire une stratégie énergétique, à moyen et long terme qui échappe aux contingences des personnes et des événements, en vain ?

Le poids des hydrocarbures est tel, dans tous les compartiments de notre pays, qu’il ne saurait être pris en otage par quiconque, nonobstant, la qualification et l’honnêteté, de ceux qui sont à l’origine des décisions finales et de ceux en charge de les mettre en œuvre !

Seule une décision collective et collégiale responsabilisant les acteurs, suivie d’un large débat national (au sein des deux chambres), peut créer un consensus autour des stratégies à entreprendre avec un minimum de risques et, en tout état de cause, assumé par ceux qui le prennent !

Ni le Président seul, ni le ministre de l’Energie seul, ni le P-DG de Sonatrach seuls, ne peuvent assumer cette responsabilité qui engage le pays tout entier et son avenir à long terme, dans la mesure où ils sont tous éphémères (mandat) alors que leurs décisions, dans le secteur, dépassent de loin leur mandature.

En outre, il est clair que le refus de réunir le CNE est une fuite de  responsabilité devant les décisions prises, au cas où elles étaient contraires aux intérêts de notre pays… Ainsi, le pouvoir n’est pas coupable et s’il faut « essuyer le couteau », sur quelqu’un, il donnera les têtes des cadres à la vindicte populaire, pour assouvir sa demande légitime de justice, comme cela s’est produit lors des scandales de Sonatrach I, II, et III, durant lequel, il va sacrifier des présidents et des vice-présidents de l’entreprise, sans remonter au président de la République (5) ni à son ministre et encore moins à tous les intermédiaires qui ont encaissé les commissions et les ont réparties entre aux différents niveaux du pouvoir !  

Dès lors, le CNE permet d’optimiser des avantages, en même temps qu’il minimise des risques encourus, dans un domaine très risqué, où les erreurs se paient cash.

En outre, la collégialité et l’adhésion la plus large, permettent la transparence et la responsabilité des décisions prises, dans un débat contradictoire où tous les arguments seront sur et non sous la table. L’implication obligatoire des partenaires étrangers, en amont et en aval du secteur est également une donnée décisionnelle qui nécessite une vue globale et à long terme, qui engage la sécurité intérieure et extérieure du pays et nos relations avec nos partenaires étrangers. Elle ne saurait être confiée aux seules mains d’experts nationaux ou étrangers (6) mais nécessite une évaluation à tous les niveaux des coûts/avantages, qui va structurer le contenu des décisions prises, jusque dans les détails où « le diable » s’installe toujours !

Toutes les autres démarches imposées inaugurent l’opacité, la confusion entre les intérêts collectifs et ceux individuels et finissent toujours par des scandales financiers que tous les contribuables seront les seuls à renflouer, sur la base d’une règle non écrite qui consiste à mutualiser les pertes et concentrer les gains autour d’un noyau de saprophytes, confortablement installé au sommet du pouvoir. 

Tous les experts algériens (7) et même étrangers, à part les affidés, sont d’accord pour dire qu’il n’y a pas « le feu en la demeure » et que l’amendement de la loi sur les hydrocarbures peut attendre quelques mois, en tout état de cause, après les élections présidentielles car les éventuels résultats (first oil) n’apparaîtront que dans les années… 2030 !

A quoi est donc due cette précipitation, justifiée par le gouvernement (8) par sa volonté d’accroître la capacité d’exportation d’hydrocarbures de notre pays mais en fait cache mal une volonté d’amender ce texte au plus vite, sans débat, pour satisfaire des exigences extérieures et des intérêts occultes, une espèce d’initiative dans la confusion institutionnelle ambiante qui règne dans notre pays actuellement.

Même la rue s’est emparée du dossier et on entend, durant les différentes marches, de nouveaux slogans qui rejettent ces amendements, avant même que le texte ne soit rendu public, par les pouvoirs publics, qui ont tout fait pour le maintenir secret jusqu’à la dernière minute, puisque les parlementaires viennent juste de le recevoir, semble-t-il !

Cette manière d’agir a contribué à élargir la suspicion sur les biens fondés de l’amendement de cette loi et consolider le front de son refus, puisque le Hirak s’en est emparé. La sagesse voudrait que cette loi soit donc reportée  sine die.

Dr Mourad Goumiri, Professeur associé 

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(1) Il s’agit de la loi de 1986-14 et de la loi 2005, amendée en 2006, puis à nouveau en 2013, sans compter celle d’aujourd’hui.

(2) Créé par décret présidentiel le 19 avril 1995, par le président L. Zeroual, le Conseil national de l’énergie est la plus haute instance décisionnelle dans le secteur de l’énergie. Présidé par le Présidé par le Président e la république, il est composé du chef du gouvernement, des ministres de souveraineté (Défense nationale, Affaires étrangères, Energie et Finances), du gouverneur de la Banque d’Algérie et du délégué à la planification (article 1). Ce Conseil est chargé d’assurer le suivi et l’évaluation de la politique énergétique nationale à long terme, notamment de la mise en œuvre d’un plan à long terme destiné à garantir l’avenir énergétique du pays; d’un modèle de consommation énergétique en fonction des ressources énergétiques nationales, des engagements extérieurs et des objectifs stratégiques à long terme du pays ; de la préservation des réserves stratégiques du pays en matière d’énergie; des stratégies à long terme de renouvellement et de développement des réserves nationales en hydrocarbures et leur valorisation ; de l’introduction et du développement des énergies (article 2)… Il ne s’est plus réuni depuis 1998. La question reste aujourd’hui sans réponse. Reste que le ministre de l’Energie, de par son poste de secrétaire, aurait été au courant de la situation que traverse son secteur si cette instance se réunissait régulièrement. Et les scandales qui éclaboussent la Sonatrach, auraient pu être évités.

(3) C’est la première fois, dans les annales de notre pays, que des manifestations de rue (Hirak), rejettent un projet de loi, (“kanoun el mahroukat tsigna fi el casernat”), en lieu et place de la représentation nationale (les deux chambres), avant même que ce texte ne lui parviennent, si jamais il passe par le biais du pouvoir législatif, le pouvoir nous ayant habitué à recourir, illégalement, au mode d’adoption par ordonnance présidentielle, pour ce genre de texte, dans le passé récent !

(4) Depuis au moins neuf ans, par plusieurs articles parus dans la presse (El-Watan du 04 mars 2010 et au Soir d’Algérie du2011/11/28), j’avais attiré l’attention des pouvoirs publics, sur le fait que le CNE était une institution idoine pour mener  

(5) M. Benchicou dénoncé, en décembre 2014, déjà, que l’ancien ministre de l’Energie, dans des correspondances datant de 2008 et 2009,  précise à l’intention de ses interlocuteurs qataris : « Notre ami commun (Abdelaziz Bouteflika) est le seul médiateur et se portera garant.»… promettant le soutien politique de Bouteflika lui-même pour la cession de Naftal. « Nous serons bientôt en mission à Genève (Suisse) et pourrons vous rencontrer si vous êtes disponibles » !

(6) Le ministre de l’énergie a déclaré, lundi 7 octobre, que loi sur les hydrocarbures « a été élaborée après une concertation avec les cinq plus grandes compagnies pétrolières internationales » !

(7) Lire l’article d’A. Khefaifi qui débute son article par « pourquoi il faut attendre » et le conclut par « Pour ces raisons, il est urgent d’attendre ! », in Liberté DZ. T. Hasni, Un ex-vice Président de Sonatrach renchéri, en déclarant à l’agence Sputnik. que « Je répète que ce projet de loi est inopportun et qu’il n’augmente aucunement l’attractivité du marché algérien des hydrocarbures ». De son côté, A. Attar, ancien PDG de Sonatrach, estime sur TSA, qu’il n’y a aucune urgence à changer de loi, d’autant que les effets ne peuvent être attendus qu’à long terme. « S’il s’agit d’un amendement, cela veut dire qu’il y a urgence en matière de production d’hydrocarbures, de rente, etc. S’il s’agit d’une nouvelle loi, cela veut dire qu’il n’y a pas urgence, parce qu’une nouvelle loi, et même un amendement, ne va pas s’appliquer à l’activité et aux contrats qu’il y avait jusqu’à ce jour, parce qu’ils ne peuvent pas être rétroactifs », ajoutant, « Si le futur gouvernement modifie la loi, ça va être un signe très négatif au partenariat. Le changement de la loi entre 2005 et 2006 a été très négatif pour le partenariat en Algérie ». Enfin, l’expert M. Preure pointe lui aussi du doigt l’instabilité juridique à El Watan. « Vingt ans durant, la réglementation n’a pas changé. Puis, en l’espace d’une année (2005 et 2006), la réglementation a changé deux fois, puis à nouveau en 2013. Cela a fait fuir les compagnies pétrolières au moment où l’investissement dans l’exploration-production dans le monde atteignait son pic historique, de 721 milliards de dollars, ajoutant que « J’ai toujours appelé au retour à la loi 86-14 et au contrat de partage-production.

(8) Le Premier ministre a indiqué que «l’ouverture de ce dossier à l’heure actuelle s’inscrivait dans le cadre de la stratégie adoptée par le gouvernement en vue de réhabiliter l’économie nationale et des différents domaines de l’activité au service des intérêts de notre pays et de nos concitoyens, avec l’accroissement de l’attractivité de notre pays pour les investissements étrangers et la préservation des droits des générations futures dans le cadre d’une approche de développement durable».

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