Le journaliste algérien et correspondant de la chaîne d’information France 24, Moncef Ait Kaci, qui a été placé sous mandat de dépôt ce mardi 28 juillet 2020 par le juge d’instruction du tribunal de Bir Mourad Rais, s’est exprimé par voie épistolaire juste avant son incarcération. Voici le contenu intégral de son texte !
» Convoqué à deux reprises par la Gendarmerie nationale de Bir Mourad Rais à cause des prestataires techniques, sous traitants de Médian qui travaillent pour France 24. Normal, je m’y suis fait, je fais le boulot, ils font leur boulot.
Ma première convocation par téléphone était le 28 novembre 2019.
J’ai ensuite voyagé à Paris et j’y suis retourné après le vote (le 21 décembre 2019). Je ne voulais pas et ne pouvais pas couvrir les élections présidentielles à Alger, en sachant que je n’étais pas accrédité à cette période pour le faire. J’ai donc respecté cette décision indirectement signifiée.
Je ne savais même pas que durant la première convocation ils m’avaient mis sous ISTN (interdiction de quitter le territoire national), la gendarmerie ne me l’avait pas annoncé de manière officielle, ni le procureur , je l’ai découvert en m’apprêtant à voyager le 26 février 2020. On m’a refoulé à l’aéroport et c’est là que j’ai appris, très choqué, la nouvelle.
Non seulement effondré d’être refoulé et de rater mon voyage, ce qui a chamboulé mes projets et m’a affecté financièrement, moralement …
Je suis revenu chez moi, bouleversé et perdu, j’ai alors entamé des procédures légales, en faisant appel, discrètement, à un avocat pour déposer une demande de levée de l’ISTN auprès du procureur.
La deuxième convocation était justement intervenue avant mon départ en voyage « annulé à cause de l’ISTN » , je crois que la gendarmerie m’a rappelé vers le 13 ou 14 février. Je ne m’en souviens pas. Toujours, des questions sur mes activités de correspondant et comment j’ai pu travailler avec les prestataires concernés. J’ai bien évidemment expliqué que je ne faisais qu’appliquer les instructions de mes employeurs sans chercher à comprendre qui est autorisé à travailler et qui ne l’est pas parmi ces prestataires, puisque la technique ne me concerne pas.
(Toujours utile de faire savoir que les gendarmes ont toujours été respectueux avec moi durant les interrogatoires, mêmes si ces interrogatoires restent éprouvants et surtout épuisants à la longue)
J’ai signé deux PV chez eux en 2019 et en 2020.
Malgré tout ça je n’ai rien médiatisé. J’ai cru en la justice et étant persuadé que je n’ai rien fait, à part mon travail, j’ai temporisé et ai tout gardé dans mon cœur. Alors que je pouvais très bien, avec les conseils de mes proches et confrères, informer l’opinion publique de cette terrible mésaventure et injustice, ce qui est mon droit le plus absolu. Non, j’ai plutôt opté pour la discrétion en espérant qu’on me rende justice.
Je tiens à rappeler que j’ai toujours été professionnel, neutre dans ma couverture médiatique de l’Algérie et de l’international, en tant que journaliste présentateur JT en français durant 4 ans sur Echorouk News , correspondant France 24 en français et en anglais, expérience marquée par la couverture difficile mais enrichissante du Hirak, et même sur mes réseaux sociaux. D’ailleurs, les gens et particulièrement ceux qui m’ont toujours été fidèles et me suivent, peuvent en être témoins !
Je n’ai jamais causé de tort à qui que ce soit. De nature militant et engagé, j’ai mené un véritable combat avec moi-même durant toutes ces années pour rester neutre et professionnel.
Résultat : on me refoule à l’aéroport , car interdit de quitter le territoire national, tel un criminel, sans être notifié par le procureur ni l’avoir su avant, de sorte au moins à éviter cette humiliation et ne pas me déplacer à l’aéroport. On me l’avait lancé une fois durant mon interrogatoire mais j’étais persuadé que c’était juste pour me tracasser.
J’écris ce message très rapidement, je l’ai rédigé quand j’ai appris ce samedi 18 juillet que je devais me présenter à la Gendarmerie pour récupérer ma convocation et passer chez le procureur dans le cadre de la clôture de l’enquête qui, je le rappelle, a un lien avec ma fonction de correspondant France 24 , et les prestataires techniques, mais pas avec mes écrits ni mes correspondances éditoriales.
Alors qu’on m’a assuré que c’était simplement pour récupérer une convocation et passer chez le procureur, ce qui nous a tous laisser croire que c’est un signe positif d’apaisement pour fermer ce dossier où j’ai été impliqué, indépendamment de ma volonté, voilà que je me retrouve piégé sans comprendre ce que j’ai fait pour mériter tout ça , moi qui ai toujours tout fait pour rester professionnel et intègre, et « ils » le savent pertinemment !
Je vous informe aussi que j’ai eu une proposition durant l’été 2019, pour présenter le JT de Canal Algérie. J’ai décliné, poliment, cette proposition, en expliquant que j’étais déjà sous contrat et que l’expérience de correspondant me plaisait beaucoup, elle rentrait naturellement dans le cadre de mon parcours.
Retenir donc les dates que j’ai mentionnées pour raconter ma mésaventure, du jour où j’ai appris que j’avais été sous le coup d’une ISTN (décidée le 11 décembre 2019), au jour de l’appel de la gendarmerie (le 18 juillet 2020), une ISTN qui, je le souligne, a été renouvelée le 17 mars 2020. Et là encore, je n’ai rien annoncé.
Je tiens aussi à rappeler que j’ai respecté les instructions des services de sécurité et de toutes les parties, ministère de la Communication inclus, lorsqu’on m’a signifié que je ne devais plus travailler sans accréditation. Je continuais alors à rédiger des e-mails, donner des informations au quotidien et faire des interventions via Skype et téléphone depuis mon domicile, travailler très discrètement car j’aime mon métier, je voulais évoluer, apporter un plus, aider les gens, porter la voix du peuple, expliquer et analyser les discours officiels, J’ai donné la parole à tout le monde et ai fait la part des choses, toutes mes interventions sont disponibles sur Internet … Tout ça c’est ma bulle, mon monde. J’aime mon métier et c’est plus fort que moi.
On ne m’a pas laissé le faire et j’ai respecté ces avertissements à contre cœur.
Le 1 er juillet 2020, mes employeurs ont décidé de mettre fin à la collaboration avec moi en tant que correspondant, car je ne travaillais plus sur le terrain, car justement j’ai respecté les instructions.
Avec tout ce qui m’est arrivé , rien n’a fuité médiatiquement ou publiquement, seuls mes proches étaient au courant de toutes ces étapes difficiles par lesquelles je suis passé, en plus du contexte actuel : le coronavirus et les diverses tensions …
Terrible et malheureux d’être un jeune journaliste algérien, passionné, qui a pour objectif de briller et représenter son pays , tout en offrant une belle image de l’Algérie, pour subir, à peine à 28 ans, de telles injustices. »