Les réformes préconisées par le gouvernement Benkirane pour relancer la croissance économique ne font pas l’unanimité. Au sein des syndicats marocains, c’est la fronde ouverte contre l’une de ces réformes, celle des retraites. En face, l’opposition reste neutre, mais attend le faux pas du gouvernement.
Trois syndicats, épaulés par des ONG de défense des droits de l’homme, mènent la bataille contre le gouvernement, qui veut aller en »solo » vers trois importantes réformes: celle du régime des retraites, de la caisse de compensation des prix, et du régime fiscal. Pour le moment, aucune de ces trois réformes n’a été appliquée, à l’exception d’une révision du mécanisme d’indexation des prix à la pompe pour soulager le fardeau de la facture des importations de produits énergétiques, le Maroc n’étant pas producteur d’hydrocarbures. La Confédération démocratique du travail (CDT), la Fédération démocratique du travail et l’Union marocaine du travail (UMT), mènent depuis une année une guérilla contre la politique sociale du gouvernement. Au menu de cette bataille, la reprise du dialogue social, autant sur la révision à la hausse des salaires que des discussions sur la réforme du régime de retraite, qui devait entrer en vigueur en 2014. Une grève générale préventive a été organisée par ces syndicats, rejoints par des ONG et des associations professionnelles, mercredi dernier. Objectif: obtenir du gouvernement des concessions sur le front social, et un sommet social sur les grandes préoccupations du monde du travail au Maroc.
Dos au mur
Le gouvernement, dirigé par les islamistes du PJD (parti de la Justice et du Développement, modéré) a le dos au mur. Confronté à une hausse préoccupante des déficits, dont celui budgétaire qui devrait atteindre 5% en 2014, au recul des recettes d’exportation dans le sillage d’une baisse en valeur des exportations de phosphates et de produits agricoles, ainsi qu’ à une croissance poussive avec seulement 3,5% au mieux attendu en 2014, il doit opérer des arbitrages difficiles. Avec la hausse à plus de 50 milliards de dirhams (environ 4,5 mds d’euros) de la facture énergétique, il a choisi de trancher dans le vif en réinstaurant, au milieu de 2013, le mécanisme d’indexation des prix des carburants à la pompe, mettant fin à la subvention des carburants, en maintenant seulement le soutien du prix du gaz butane pour les ménages. Avec la déprime dans la zone Euro, c’est en fait des pans entiers de l’économie marocaine, basée sur les exportations vers l’UE, qui sont directement touchées, en premier lieu les expéditions de phosphates, les demi-produits, le textile, les produits agricoles et de la pêche. Le déficit commercial s’est établi à -3,1% à fin août dernier, soit environ 118 milliards de dirhams par rapport à la même période en 2013, selon l’office des changes. Dés lors, le gouvernement, assailli de toutes parts, notamment par le patronat qui réclame une politique économique plus ouverte vers les investissements et le soutien à l’industrie, doit donc trouver des solutions urgentes.
Calmer le front social
A commencer par le front social, qui réclame sa participation dans la mise en place de la réforme du régime des retraites, dont une première mouture a été rejetée par les syndicats, car n’ayant pas été consultés. Cette mouture porte, globalement, sur un prolongement de deux ans de l’âge de départ à la retraite, qui sera porté de 60 à 62 ans dès 2015, et sera relevé progressivement à 65 ans. Le régime des fonctionnaires sera le premier à être réaménagé dans lequel tous les paramètres seront retouchés: l’âge de départ à la retraite, le taux de cotisations ainsi que l’assiette et l’annuité de liquidation de la pension. Les trois syndicats marocains (UMT, CDT et FDT) rejettent ce plan et affirment leur opposition « à toute atteinte des acquis des retraités ainsi que tous les droits et libertés », qualifiant d' »unilatérales » les décisions gouvernementales. Dans un communiqué conjoint, les trois syndicats estiment que les décisions du gouvernement sont « hostiles à la classe ouvrière, en particulier celles relatives aux libertés et aux droits syndicaux, aux acquis sociaux, au pouvoir d’achat et à la caisse de compensation, aux hausses successives des prix des carburants, des produits de base et des services ». Mais, pour les responsables des caisses de retraite, il est urgent de procéder à la réforme du régime des retraites au Maroc, avec une application immédiate de la hausse de l’âge de départ de 60 à 62 ans. Selon Mohamed Abdellaoui El Alaoui, directeur de la Caisse marocaine de retraite (caisse des fonctionnaires), le coût financier du retard dans la mise en place de la réforme du régime des retraites au Maroc est évalué à près de 20 milliards de dirhams (environ 1,8 Md d’euros), pour chaque année au-delà de 2012. « Plus on tarde dans la prise de décision, plus les mesures à prendre deviennent compliquées et accentuent la charge à répartir sur les trois paramètres de la réforme de retraite (âge de la retraite, prestation de la retraite et taux de cotisation) », explique t-il. Une étude du Haut commissariat au Plan (HCP) relève de son côté que la dépense totale des retraites représenterait 10% du PIB marocain à l’horizon 2050, contre 3% en 2010, tandis que les recettes ne représenteraient que 2,6% du PIB, soit un déficit de 7,4%.