Me Antoine Casubolo, l’avocat de Murielle Ravey, l’une des otages françaises de l’attaque du site gazier d’In Amennas, et qui avait réussi à s’échapper, s’est félicité de l’ouverture par le parquet de Paris d’une information judiciaire. Il nous dit pourquoi dans cet entretien exclusif à Maghreb Emergent.
Le parquet de Paris a ouvert ce lundi une information judiciaire sur l’attaque terroriste qui a visé, le 16 janvier 2013, le site gazier d’In Amenas, qui s’était soldée par la mort de 38 otages, dont un Français, et 29 assaillants après l’assaut donné par les forces spéciales algériennes. Les Français emboîtent ainsi le pas aux Américains, qui ont mis leur service fédéral d’investigation, le FBI, sur l’affaire depuis plusieurs mois. Les Anglais ont également ouvert un dossier sur le plan judiciaire. Un coroner (procureur) a été récemment désigné pour mener l’enquête, bien que l’instruction n’ait pas encore commencée. Dans cet entretien, Me Antoine Casubolo explique la démarche qu’il compte engager pour situer les responsabilités et faire éclater la vérité sur cette affaire.
Que représente pour vous l’ouverture de cette information judiciaire à Paris ?
On va pouvoir maintenant se constituer partie civile dans cette affaire. Quand il y a instruction cela veut dire qu’il y a de grandes chances, à terme, qu’il y ai un procès. Peut être que cela n’aboutira pas, mais l’essentiel est qu’il y a un espoir que cela aboutisse et que des gens rendent des comptes aux victimes. Je suis également l’avocat d’Antoine de Léocour qui a été tué avec son ami Vincent Delory lors de l’intervention de l’armée française au Niger quand ils avaient été enlevés par un groupe terroriste. L’instruction de cette affaire a été ouverte il y a 3 ans et elle suit toujours son cours. Elle peut durer longtemps. L’affaire Ben Barka est en instruction depuis 50 ans ! Mais en attendant, cela nous donne tout de même un espoir d’un procès et on sait que c’est important pour les victimes d’imaginer qu’un jour, ils pourront tourner cette page lorsque des gens seront éventuellement condamnés.
Et quid des contingences politiques entre l’Algérie et la France ? Les relations entre les deux pays sont très particulières…?
On ne les occulte pas. Mais cette information judiciaire nous donne un cadre juridique. Nous allons nous constituer en France mais il est très probable que nous le fassions également en Algérie. Je vais d’ailleurs très vite écrire au Procureur de la République à Alger pour lui demander s’il y a une instruction judiciaire ouverte ou non en Algérie et, si oui, je l’informerais officiellement que nous nous constituons partie civile dans cette affaire. Dans le cas contraire, je lui demanderais si, moi en tant que partie civile dans le dossier d’instruction français, je pourrais avoir accès aux informations de l’enquête algérienne. Je pense que l’ouverture de cette instruction en France pourrait être une courroie d’entraînement qui permettrait la même chose en Algérie et en Grande Bretagne. Le juge va pouvoir convoquer les responsables de l’exploitation du site, ceux de BP, Statoil et Sonatrach et poser des questions très claires sur la sécurité, par exemple pour jauger des responsabilités de chacun. C’est très important de savoir ce que savaient les opérateurs du site quant à la sécurité. Ma cliente était employée. La question est de savoir si on n’a pas mis en danger sa vie.
Nous avons l’impression, du moins du coté algérien, d’une sorte de célérité dans le traitement de cette affaire par la justice française en comparaison avec le traitement de l’affaire des Moines de Tibhirine…
C’est paradoxal que vous me disiez cela. J’ai été interviewé hier par des journalistes de la 1er chaîne japonaise NHK qui, eux, constataient exactement le contraire c’est à dire le trop grand retard de la justice française à se « réveiller ». Comme quoi, l’horloge judiciaire n’avance pas de la même manière en France, en Algérie et au Japon. Mais franchement, on considère, nous, que c’était très long. On s’est même demandé si le parquet ou les pouvoirs publics n’essayaient pas d’enterrer l’affaire en France. Le cas des Moines de Tibhirine est très particulier. Le drame a eu lieu à un moment où l’Algérie vivait quasiment une guerre civile. Il a fallu du temps pour que les choses se décantent. Le temps, d’abord, du retour de la sécurité et de la stabilité dans le pays. Puis est venu le temps de la recherche de la justice et de la vérité qui ne pouvait pas se faire au moment même où l’Algérie vivait dans la terreur. D’où le temps mis par la justice française pour prendre les choses en mains.