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Hydrocarbures

Said Beghoul, expert en énergie: « la rentabilité du gaz de schiste est très hypothétique en Algérie »

Par Yazid Ferhat
janvier 15, 2015
Said Beghoul, expert en énergie: « la rentabilité du gaz de schiste est très hypothétique en Algérie »

 

Pour cet expert dans le domaine pétrolier, il y a encore en Algérie suffisamment de gaz conventionnel à découvrir, à développer  et à bien récupérer dans de meilleures conditions de coûts, de délai et de rentabilité. A propos de la mobilisation qui a lieu au sud du pays contre l’exploitation du gaz de schiste, ce spécialiste déplore qu’il n’y ait pas eu, au préalable, un vrai débat démocratique sur l’opportunité de ce gaz non conventionnel. 

 

 

Maghreb Emergent. Les cours de pétrole ont chuté à moins de 50 dollars le baril. Jusqu’où ira cette baisse ?

 

Mohamed Saïd Beghoul : Pouvoir prédire le prix du baril, c’est pouvoir maîtriser un dauphin par le dos dans l’eau. C’est très difficile. Beaucoup d’analystes viennent de revoir en baisse leurs prévisions pour les prix. Jusqu’ici les prix continuent à chuter de 2 à 5% par jour mais pas de façon linéaire du fait de certaines périodes de stabilité durant 3 ou 4 jours. Si l’on reste sur cette tendance baissière de seulement 1.5% par jour, le prix du baril sera d’environ 37 dollars à fin janvier 2015. Un prix qui n’arrangerait ni le producteur ni le consommateur. Cela suppose qu’une probable stabilisation autour de 37-40 dollars est à entrevoir dès les débuts de février 2015. En effet, un prix inférieur à 40 dollars ne sera pas sans incidence sur l’exploitation des schistes et l’exploration pétrolière dans son ensemble. Cette stabilisation annoncera, espérons-le, le retour progressif vers une hausse, quoique timide, des prix qui atteindront la barre des 50 dollars vers le début de l’été.   

 

Avec un quota d’environ 9 à 10 millions/barils/j, des capacités de production extensibles à 12 mbj et des réserves de 270 milliards de barils, l’Arabie saoudite semble avoir bien négocié un « deal » pour son unique intérêt, avec la Maison-Blanche. En laissant les prix chuter vertigineusement peut-on dire que les saoudiens ont atteint leurs objectifs ?

 

En réalité, ce n’est pas uniquement l’Arabie saoudite qui est derrière la chute du prix du baril mais le poids de  ce royaume, de par ses capacités pétrolières, y a effectivement beaucoup contribué par des motivations  multiples : défendre sa part de marché, répondre aux sollicitations de leur protecteur militaire (les USA) pour booster le pétrole de schiste, mettre en banqueroute son frère ennemi l’Iran dont le  ‘’fiscal break-even cost’’ ou le prix d’équilibre budgétaire est de 130 dollars, voire ébranler l’économie de la Russie en discorde avec l’occident et les Etats-Unis suite aux  événements de l’Ukraine, etc. Les saoudiens ont-ils atteint leurs objectifs ? Sur le plan macroéconomique il est encore trop tôt pour se prononcer puisque cette chute des prix va leur générer des recettes de seulement 190 milliards de dollars en 2015 mais un déficit de plus de 5% de PIB, soit environ 40 milliards de dollars. Aussi, la tendance actuelle du  prix du baril a déjà enfoncé le prix de référence de leur budget 2015 et qui tournerait autour de 60 dollars. Mais ils se disent disposés à ne pas réduire leur production même si le prix du baril tombait à 20 dollars tout en maintenant l’intégralité des dépenses prévues dans le budget 2015 quitte à puiser dans les réserves de change estimées à 750 milliards de dollars et qui sont parmi les plus élevées au monde. En fait, le principal objectif de l’Arabie saoudite est de ne pas toucher aux projets de développements à caractères sociaux sous peine d’exciter une population à majorité jeune avec un taux de chômage de 20%.

 Selon vous, les tensions géopolitiques n’ont plus guère un impact direct sur la détérioration du marché pétrolier. Qu’est-ce qui explique alors l’actuelle dégringolade des cours du pétrole ?  

 

Oui, les tensions géopolitiques que nous avons vécues depuis au moins une année, aussi bien au Moyen Orient qu’en Asie et en Afrique du nord, n’ont pas eu d’effet notable sur le cours du pétrole.  Les prix sont restés élevés, fluctuant entre 100 et 115 dollars le baril entre l’année 2011 et le début du second semestre 2014. C’est donc la coexistence de plusieurs  facteurs techniques et économiques, dont certains prédominent, qui est derrière l’actuelle dégringolade des prix. Il y a d’abord cette surabondance du pétrole sur le marché alimentée par la production des schistes texans et qui a réduit les importations américaines en provenance de pays producteurs comme l’Arabie saoudite, puis le ralentissement de la demande mondiale sur le pétrole, en particulier dans les pays et les régions les plus consommatrices comme la Chine, l’Europe et sans oublier la bonne tenue d’un dollar fort avoisinant  actuellement 0.84 Euro contre 0.74 Euro en juin dernier. A ce titre, les mesures qui seront prises lors de la réunion de politique monétaire de la banque centrale européenne, prévue le  22  janvier prochain, pourrait avoir un effet sur les échanges et donc sur le prix du pétrole.

 

Mais l’accélération de l’exploitation du pétrole de schiste au Texas, à partir de 2010, a grandement participé à cette baisse…

 

Absolument. La production du pétrole de schiste aux Etats-Unis à laquelle il faut rajouter celle des sables bitumineux canadiens s’est traduite par une surabondance de l’offre d’environ 2.2 millions de barils par jour du fait que la production de l’OPEP n’a pas changé. De l’avis de beaucoup d’analystes, la vitesse et l’ampleur du recul des prix obéissent à celle de production des schistes.    

 

Vous êtes parmi ceux qui disent que l’Algérie ne doit pas exploiter le gaz de schiste. Pourquoi d’après vous, l’Algérie doit-elle renoncer à cette option  qui fait pourtant le bonheur des américains?

 

Oui, mais le bonheur des uns  pourrait  être le malheur des autres. Pour les américains, le recours au gaz de schiste est motivé par la l’amenuisement des réserves conventionnelles et l’accroissement effréné de la demande locale pour une population de 320 millions d’habitants. Pour rappel, les découvertes de gaz conventionnel sont aujourd’hui rares aux Etats-Unis, le pic pétrolier américain ayant été atteint vers l’année 1970. Durant les années 2000, ce pays qui ne disposait que de 4% des réserves mondiales de gaz, consommait pas moins de 660 milliards de mètres cubes (22% de la demande mondiale) dont 100 milliards de mètres cubes importés et 570 millions de tonnes de charbon. L’objectif des États-Unis à travers le gaz de schiste est la reconstitution des réserves pour une indépendance énergétique d’autant que la consommation du charbon a commencé à décliner depuis l’année 2000 justement. Il faut noter qu’un américain consomme 7 à 8 Tep -Tonne équivalent pétrole- par an, soit 6 à 7 fois la consommation d’un algérien. L’Algérie qui est entrée précipitamment dans la danse a-t-elle atteint son pic pétrolier géologique ?, a-t-elle bien exploré son vaste domaine minier et épuisé tout son potentiel conventionnel ? Est-elle déjà un grand pays énergétivore ? A-t-elle fait évaluer par ses propres géologues le vrai potentiel de ce gaz ? A-t-elle les moyens techniques, logistiques et financiers pour y aller ?  Il n’en est absolument rien de tout cela. Il y a encore suffisamment de gaz conventionnel à découvrir, à développer  et à bien récupérer dans de meilleures conditions de coûts, de délai et de rentabilité d’autant plus que chez nous la rentabilité du gaz de schiste reste très hypothétique au vu des caractéristiques géologiques des roches ciblées. Nous allons tout simplement gaspiller des milliards de dollars pour le plaisir de voir une torche allumée pendant quelques jours. Ici, nous sommes en Algérie et pas aux Etats-Unis. Le ‘’bonheur’’ éphémère des américains ne peut être transposé aux algériens.

La levée de boucliers au sud contre l’exploitation du gaz de schiste, si elle a poussé les pouvoirs publics à dialoguer, n’a pas pour autant dissuadé le gouvernement d’aller vers cette industrie. Pourquoi un tel entêtement ?  

 

Il n’y pas eu, au préalable, un vrai débat démocratique sur l’opportunité du gaz de schiste en Algérie. Le pays a d’éminents géologues et économistes mais, à ma connaissance, ils n’ont jamais été consultés sur la faisabilité de ce projet. Je m’excuse de dire que les rares spécialistes qui ont eu l’occasion d’intervenir officiellement à ce propos activent encore dans le circuit d’approbation et n’ont fait que conforter l’ambition mais aussi l’entêtement du gouvernement, déjà émoustillé par le mythe de la possession des plus grosses ressources du monde et qui vont permettre de doubler la production, les exportations, couvrir largement les besoins en interne et créer des emplois par milliers, etc. Il y a de quoi s’entêter effectivement mais la réalité est tout autre et le proche avenir nous le dira.

 

 

« Nous ne nous engagerons dans cette entreprise (développement des ressources de schiste) que si des paramètres comme la maîtrise sur les coûts  sont présents », a déclaré Saïd Sahnoun, P-dg par intérim de Sonatrach. Est-ce suffisant comme argument ?

 

Je crois qu’il y a un sérieux problème de planification de projet selon qu’on écoute l’un ou l’autre. En septembre 2013, un responsable du secteur déclarait à la presse que Sonatrach va investir 300 milliards de dollars en 50 ans pour produire 60 milliards de mètres cubes de gaz de schiste en forant 12000 puits, soit 240 puits par an. Tout récemment, le 11 janvier 2015, Monsieur le PDG du même groupe Sonatrach annonce l’investissement de 70 milliards de dollars par an et sur 20 ans, soit 1400 milliards de dollars en 20 ans en forant 200 puits par an, soit 4000 puits et tout ça pour produire 20 milliards de mètres cubes par an, c’est-à-dire 400 milliards de mètres cubes en 20 ans. Que s’est-il passé entre Septembre 2013 et janvier 2015 pour ainsi décider d’investir 10 fois plus et produire trois fois moins ? Par ailleurs, le volume de 400 milliards de mètres cubes à produire en 20 ans est produit actuellement en 2 ou 3 ans (la production actuelle de gaz conventionnel chez nous est d’environ 145 milliards de mètres cubes par an et avec quatre fois moins de puits). Ceci dénote encore une fois la non rentabilité du gaz de schiste en Algérie. Il reste ainsi insuffisant pour convaincre tout le monde sachant que Sonatrach elle-même n’a jamais connu ses coûts.

 

 

 Tout en estimant que les craintes des opposants aux gaz de schiste « sont justifiées », il a relevé que le même risque qui se pose s’agissant de l’exploitation des ressources non conventionnelles se trouve aussi présent pour ce qui est de l’exploitation des ressources conventionnelles. Partagez-vous l’avis de Saïd Sahnoun ? 

 C’est vrai. L’industrie pétrolière est des plus polluantes quelle que soit sa forme à l’exemple des marées noires du pétrolier Erika en décembre 1999 au large de la Bretagne ou de celle du Golfe du Mexique en avril 2010, pour ne citer que ces deux là, alors qu’il s’agissait dans les deux cas de l’industrie des hydrocarbures conventionnels. Néanmoins, s’agissant du gaz de schiste, en plus du risque pétrolier en général qu’on vient de voir, il y a des risques spécifiques à son exploitation mais leur probabilité d’occurrence et leur vulnérabilité dépendent aussi bien de la géologie du terrain que du management du risque lui-même par l’opérateur. Il est vrai que le cocktail de fracturation bien que composé à plus de 90% d’eau ordinaire, il contient aussi jusqu’à 1.5% de produits chimiques   destinés à empêcher le développement de bactéries qui vont compliquer le processus d’extraction. La contamination des nappes phréatiques par ces produits ainsi que par le gaz méthane extrait constitue le principal risque qui préoccupe les populations à l’exemple des cas enregistrés aux Etats-Unis et au Canada. Personnellement, je pense qu’en Algérie l’occurrence de ce risque reste très marginal pour deux principales raisons. D’abord parce que les niveaux aquifères du Crétacé inférieur sont situés, plus haut, à environ 2200-2500m des niveaux à fracturer et une cimentation rigoureuse des puits pourrait éloigner ce risque bien que le risque zéro n’existe pas. Ensuite, et sachant que tous les forages vont traverser la nappe phréatique, le risque de contamination ne pourrait être nourri que par une intense activité de forages qui une fois abandonnés et tubages corrodés peuvent ouvrir des brèches dans l’étanchéité du milieu et menacer, à long terme, les aquifères en question. Mais ce risque ne pourrait arriver qu’avec le forage de centaines de milliers de puits, ce qui est loin d’être imaginable au vu de la non rentabilité des schistes en Algérie. Ainsi, et là je m’adresse à nos concitoyens du sud du pays, il n’y a pas grands soucis sur le plan environnemental. Le souci est purement économique. 

(*) Mohamed Saïd Beghoul est titulaire d’un  Diplôme d’ingénieur d’Etat en géophysique obtenu en 1977 à l’Institut National des hydrocarbures et de la Chimie (INHC) de Boumerdès. Il est également titulaire d’un Doctorat en Géologie/Géophysique obtenu en 1991 à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg (France). Il cumule 33 années d’expérience dans la branche Exploration /développement du pétrole et du gaz au sein de Sonatrach et de ses partenaires étrangers. Depuis 2010, il est consultant Exploration et Développement et auteur d’une cinquantaine de communications et publications dans le domaine pétrolier. Il est sur un projet d’un livre sur le pétrole algérien. 

 

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