Mohamed Laksaci limogé : la Banque d’Algérie mal récompensée de ses efforts d’ajustement - Maghreb Emergent

Mohamed Laksaci limogé : la Banque d’Algérie mal récompensée de ses efforts d’ajustement

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En mettant fin aux fonctions de Mohamed Laksaci, le président Bouteflika sanctionne la seule institution à avoir depuis 18 mois engagé sérieusement le processus d’ajustement de l’économie algérienne aux nouvelles conditions du marché pétrolier.

 

 

Le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, a été relevé de ses fonctions par le chef de l’Etat, qui a pris cette décision suite à une réunion du conseil des ministres, tenue ce mardi à Alger.

La nouvelle a suscité une véritable surprise. Mohamed Laksaci était en poste depuis 2001. Avant d’être nommé gouverneur au début des années 2000, il était déjà directeur des études de la BA pendant toutes les années 1990 et, à ce titre, il avait été un des interlocuteurs privilégiés des institutions financières internationales.

Pour l’instant, on enregistre peu de réactions en Algérie à la suite de cette annonce inattendue. Le limogeage de Mohamed Laksaci est, en revanche, déjà interprété comme un « mauvais signal » dans les milieux spécialisés nationaux et étrangers.

 

Les « avertissements » de la Banque d’Algérie

 

Au cours des dernières années, la Banque d’Algérie s’était, en effet, « reconstruit » une réputation d’indépendance, en particulier grâce à une série d’ « avertissements » adressés au gouvernement à propos de la montée des déséquilibres financiers internes et externes consécutifs à la chute des revenus pétroliers ; une posture qui lui avait valu une certaine estime médiatique.

Les derniers rapports de la Banque d’Algérie confirmaient « l’ampleur du choc externe qui pèse sur une « économie nationale, très vulnérable à la ressource hydrocarbures ». Ils jugeaient en particulier « insoutenable » l’évolution des finances publiques et « préoccupante » la réduction accélérée des réserves de change, invitant explicitement le gouvernement à opérer les ajustements nécessaires en matière de réduction des dépenses publiques et de contrôle des importations.

 

Laksaci victime de la chute du dinar ?

 

La politique monétaire mise en œuvre par la Banque d’Algérie était, cependant, en passe de devenir particulièrement impopulaire depuis plusieurs mois. Les médias nationaux s’insurgent régulièrement contre les niveaux record atteints par la dépréciation du dinar. Mohamed Laksaci lui-même a été fortement chahuté voici quelques semaines par des députés, y compris au sein de la majorité présidentielle : ils lui ont reproché notamment d’avoir « détruit le dinar » et lui ont réclamé purement et simplement la « fermeture du marché parallèle de la devise » sur lequel la valeur du dinar algérien a fortement reculé.

 

La dépréciation du dinar au secours des finances publiques

 

Sous l’autorité de Mohamed Laksaci, la Banque d’Algérie n’a pas fait mystère du nécessaire « ajustement » de la valeur de la monnaie nationale par rapport au niveau de la rente pétrolière. Si depuis près de18 mois, face à l’euro, la valeur du dinar a connu une dépréciation équivalente au différentiel d’inflation, en revanche la perte de valeur par rapport au dollar a été beaucoup plus sensible et dépasse désormais 30 %.

Cette situation n’est pas sans avantages pour les argentiers algériens. La forte dépréciation face au dollar permet de compenser partiellement la baisse de la fiscalité pétrolière exprimée en dinars et de réduire ainsi le montant du déficit budgétaire. C’est le principal objectif poursuivi par cette gestion du taux de change qui semble avoir amené la disgrâce de Mohamed Laksaci.

Notons que le dernier rapport du FMI sur la situation de l’économie algérienne publié en mai dernier regrette, en sens inverse des reproches qui sont adressés à Mohamed Laksaci, un ajustement encore insuffisant du taux de change du dinar. On retiendra également que la dépréciation régulière du taux de change du dinar depuis 18 mois n’a pas provoqué pour l’instant d’accélération de l’inflation et que cette dernière est restée contenue jusqu’à ces derniers mois sous le seuil des 5%.

 

Une Banque d’Algérie très réactive sur les importations…. .

 

Les mesures d’ajustement au nouveau contexte pétrolier mise en œuvre par la Banque d’Algérie ne s’arrêtent, cependant, pas à la seule gestion du taux de change du dinar. Cette institution a également manifesté une réelle réactivité dans le domaine qui relève de ses compétences en matière de gestion du commerce extérieur et surtout de réduction des importations.

Après les mesures prises dès 2014 dans le but de réduire les marges prélevées par les banques privées, la Banque d’Algérie a, depuis près de 18 mois, pris une série de mesures visant à contenir l’emballement des importations. C’est dans ce but qu’elle a renforcé les exigences en matière de détermination de la surface financière des importateurs pour les besoins de domiciliation bancaire. Elle a également, et surtout , « fermé le robinet » en réduisant à 2 reprises le ratio prudentiel des fonds propres des banques par rapport à leurs engagements au titre du commerce extérieur contribuant ainsi certainement de façon significative à la réduction des importations constatée depuis l’année dernière.

 

…. . Et qui vole au secours de l’emprunt d’Etat

 

Dans la période la plus récente, enfin, la décision, toute fraîche, de la Banque d’Algérie de ramener le niveau des réserves obligatoires des banques de 12 à 8% va jouer, sans le moindre doute, un rôle décisif dans la réussite de l’emprunt obligataire d’Etat qui risque d’attirer principalement des ressources déjà bancarisées auxquelles il offre une rémunération plus avantageuse. En prenant une telle mesure, la Banque d’Algérie vole clairement au secours de l’emprunt d’Etat en réduisant, pour un temps, la pression sur les ressources bancaires.

Au total la Banque centrale et son Gouverneur semblent donc bien mal récompensés de l’efficacité de leur action et de la réactivité de l’institution face au « choc externe de grande ampleur » que subit l’économie algérienne depuis près de 2 ans.

 

Interrogations sur l’après-Laksaci

 

Beaucoup d’observateurs et d’acteurs du milieu financier sont aujourd’hui tentés de donner une signification de politique économique au remplacement de Mohamed Laksaci. On souligne d’abord que Mohamed Loukal, le nouveau gouverneur de la Banque d’Algérie, qui devrait être installé aujourd’hui dans ses nouvelles fonctions, est l’ancien PDG de la Banque extérieure d’Algérie (BEA) et a effectué toute sa carrière dans des banques commerciales publiques. « Ce n’est pas du tout le même métier que celui de banquier central », commente une source au sein de l’institution qui n’hésite pas à voir dans ce choix une inflexion en faveur d’un plus grand « laxisme » dans la politique monétaire et financière de la Banque d’Algérie.

Un banquier tente d’éclairer les enjeux : « Jusqu’ici l’ajustement s’est fait essentiellement par la gestion du taux de change et la consommation d’une partie des réserves financières. Au cours de la période à venir, les leviers principaux pour combler les déficits, dés lors que le FRR est quasiment épuisé, vont être d’abord, l’emprunt, qui risque de rencontrer rapidement des limites. Ensuite il faudra, en interne, se tourner vers la planche à billets, surtout si on cherche à éviter une dépréciation supplémentaire du dinar ». De toutes les façons la gestion des (dé)équilibres financiers internes et externes s’annonce comme un exercice périlleux au cours des années à venir. Commentaire de notre banquier « le cadeau, on l’a fait à celui qui part et pas à celui qui arrive ». 

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