Dans cet entretien accordé à Maghreb Émergent, Mourad Louadah, expert et président de la commission des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique au sein de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), nous fait un constat sur la situation des énergies renouvelables en Algérie. Selon lui, le secteur ne pourra pas avancer en l’absence d’un écosystème favorable à une véritable transition énergétique.
Maghreb Emergent : Le président de la République a donné plusieurs directives lors du dernier Conseil des ministres, dont la généralisation, dans un délai de troi mois, de l’énergie solaire dans certaines institutions et infrastructures de l’État. Serait-il possible d’appliquer cette directive sur le terrain dans un délai aussi court ?
Mourad Louadah : Le président est souverain dans ses décisions. En tant qu’acteur économique, sa décision est louable pour booster tout le retard accumulé dans la transition énergétique et pousser les acteurs du secteur à avancer dans le processus de cette transition.
Maintenant sur le plan technique, la rapidité dans l’application de cette directive risque d’engendrer un échec concernant l’efficacité et la qualité des composants et des installations. Le comportement des acteurs, opérateurs et utilisateurs, n’est pas encore prêt pour cette transition.
En tant que professionnel du secteur et président d’une commission des EnR, j’ai été à plusieurs reprises, interpelé par des membres de notre association, au sujet d’anomalies remarquées dans les réalisations des projets d’ENR, pour vous dire que nous n’avons pas encore un écosystème qui accepte cette rapidité dans l’application des décisions du président de la République.
Le président est en train de faire des mains et des pieds pour pouvoir aboutir au programme de la transition énergétique, à la généralisation du renouvelable et surtout au respect de l’environnement. Mais ce qui bloque l’avancement de ces projets, ce sont les textes de loi qui restent inadaptés à cette transition. Nous sommes un pays gazier, économiquement et notre réflexion demeure en mode « énergie fossile ». Je fais un appel au président de la République afin de revoir en profondeur la politique, les dispositions et l’ensemble des règles qui régissent les énergies renouvelables (de la production des entrants jusqu’à leurs installations dans les sites EnRs).
Pensez-vous que ni la réglementation ni les opérateurs du secteur ne sont en adéquation avec cette transition énergétique ?
Premièrement, aujourd’hui il y a plusieurs intervenants dans cette transition énergétique et à mon avis, il y a confusion dans le rôle de chaque acteur, qu’il soit politique ou économique.
Deuxièmement, sur le marché du renouvelable, il existe plus de 350 entreprises en Algérie, alors que très peu d’entre eux, répondent aux appels d’offres. Un exemple tout simple : une filiale de Sonelgaz qui est en train d’hybrider tous ses bâtiments administratifs avec du solaire photovoltaïque, a mis dans son cahier des charges des conditions auxquelles seuls les professionnels du secteur peuvent répondre (étude, dimensionnement, pose et fournitures).
Un autre exemple : il n’y a qu’à voir l’état des lampadaires LED de l’éclairage public sur nos routes ; vous n’avez qu’à comptabiliser le nombre de lampadaires qui fonctionnent à ce jour. Ceci est dû à l’absence de cahier des charges élaborés par des professionnels et unifié à travers tout le pays et selon les normes internationales.
Troisièmement, on doit faire un état des lieux et l’inventaire de tout ce qui a été installé et on doit revoir la rédaction de ces cahiers des charges.
Vous voulez dire que les cahiers des charges des appels d’offre ne sont pas, techniquement, adaptés aux normes ? En quoi consistent ces défaillances ?
On est en 2021 et la technologie a déjà bien avancé. Si on prend les panneaux PV, ils sont à une capacité de plus de 730 watts, une efficacité de plus de 20%. 95% des onduleurs sont compatibles aux batteries lithium ; ces batteries sont à une moyenne de 20% plus cher que les batteries GEL, mais le retour d’investissement est beaucoup plus important, avec une durée de vie garantie qui avoisine les 10 ans, tandis que les batteries GEL ont une moyenne de vie de 3 à 5 ans maximum.
Mais chez-nous, les cahiers des charges de ces installations dans les écoles, datent de 2017. On est en train d’exiger des panneaux de 270 et 280 watts, avec une efficacité de 17%.
À présent, la tendance mondiale est dans la technologie de l’hydrogène verte, alors que nous, on n’arrive même pas a réaliser une installation photovoltaïque dans les normes.
Je peux vous dire que ces cahiers des charges ne s’adaptent en aucun cas à la réalité et à l’aspect physique des sites. On doit faire un état des lieux et surtout inventorier tout ce qui a été installé jusqu’à aujourd’hui pour savoir si on est dans la bonne voie.
Selon vous, le projet de production de 1000 MW, dont l’appel d’offre qui sera lancé incessamment, est-il dans le bon chemin ? Et si ce projet venait à se concrétiser, serait-il bénéfique pour les entreprises qui activent dans le domaine des énergies renouvelable en Algérie ?
Le projet des 1000 mégawatts est un grand programme dont l’étude est confiée à un bureau d’étude international. Le problème est que sur le terrain, on ne sait pas qui fait quoi. Il y a plusieurs intervenants dans ce secteur et la confusion est totale. On aimerait bien savoir quelles sont les prérogatives du ministère de la Transition Energétique et des Energies Renouvelables?
Aussi, il est temps d’élaborer un code d’application pour le renouvelable : le rôle de l’état, la mission et les attributions de la commission de régulation de l’énergie en terme des EnR, les dispositions particulières à l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, la commercialisation, la distribution, la politique des prix, le raccordement aux réseaux, les critères de durabilité des émissions de gaz à effet de serre, la banque carbone, le statut des intervenants, les bureaux d’études et autres. Il faut aussi revoir la loi 01-02 du 5 février 2002, relative à l’électricité et à la distribution du gaz.
Pour revenir au projet des 1000 MW, il est très bénéfique pour les entreprises locales. Et pour le réussir, il faut déjà avoir des contrats de partenariat IPP et EPC avec des grandes entreprises étrangères, notamment allemandes, américaines, chinoises et autres. Les entreprises locales vont gagner de l’expérience, de la compétence et de la confiance. Mais pour favoriser l’attractivité de nos partenaires étrangers et les pousser à investir dans ce secteur en Algérie, il faut leur préparer le terrain en ayant un écosystème favorable ; banques, assurances, douanes, fonciers et avoir aussi, une stabilité dans les textes et lois.