L’économiste Naji Benhassine estime qu’il n’y a pas de réelles mesures de réformes et que les effets d’annonces présentés comme tel ne dépassent pas le seuil de la simplification de procédures administratives.
Si le gouvernement a consenti certaines facilitations (réduction du service militaire à une année, simplification de l’obtention du passeport), dans le domaine économique aucune simplification particulière pour les investisseurs n’a été annoncée, a déploré Naji Benhassine économiste et membre du collectif Nabni, invité du direct de Radio M de Maghreb Emergent. « Dans le domaine économique, le pays est très en retard. Il n’y a pratiquement pas eu de simplification particulière pour les investisseurs. Même en termes d’interventions publiques de politique industrielle active, que nous prônons chez Nabni pour favoriser l’investissement, ou encore de politique économique claire, on ne voit rien », a-t-il ajouté pour appuyer son constat. Il y a certes eu des effets d’annonce notamment le comité de réforme de l’environnement des affaires qui a été mis en place lequel était assez représentatif en termes de présence d’experts et d’économistes et des acteurs du secteur privé. Cependant, il s’agit seulement d’annonces. Il n’en reste pas que les résultats se font attendre.
L’invité de Radio M préfère rester « optimiste » en espérant encore que ces « effets d’annonces » soient suivis d’actes. Or, pense Benhassine, la vraie réforme consiste à revoir le mode d’attribution du foncier industriel en s’assurant que l’attribution des lots de manière administrative par les walis soit faite de manière économique et dénuée de distribution de rente. « Là on touche à de vrais sujets. Il n’y pas de petites réformettes. Elles n’ont pas d’impact. Dans les vraies réformes, en revanche, il y a des perdants. Et dans le contexte actuel, les pouvoirs publics ne veulent pas être perdants », fait observer Benhassine qui a travaillé dans l’unité Doing Business du groupe de la Banque mondiale. L’économiste ne remet pas en question pour autant la « sincérité » et « la compétence » des dirigeants notamment les ministres quant à engager des réformes. « Des pays avec beaucoup de compétence que le nôtre ont bien réussi, et pourquoi pas nous », dit-il. S’appuyant sur des expériences d’autres pays, Naji Benhassine affirme que le savoir-faire vient quand la volonté est là. « Si un jour, le Premier ministre ou le président de la République décident réellement de résoudre la question d’accès au foncier industriel, ou celle de l’accès aux financements et de la réforme bancaire, les administrations s’aligneront et les incitations se mettront en place. Sur d’autres sujets qui font moins mal mais qui peuvent être tout aussi complexes, que ce soit l’infrastructure, l’investissement dans le logement etc., quand l’ordre est là et donc la volonté est présente, l’administration a su suivre. Je n’utiliserai pas l’excuse de la compétence dans notre administration pour expliquer le manque de réformes», fait-il remarquer.
« Fabriquer » la rareté avant qu’elle n’arrive
Pour le membre de Nabni, le manque de volonté de réforme est lié en grande partie à l’abondance des ressources fiscales. En remplaçant le manque de réforme par une abondance des dépenses publiques, on retarde les réformes, souligne-t-il. « Partant de ce postulat, limiter l’accès des pouvoirs publics à la rente est essentiel pour imposer une sorte de contrainte de rareté qui fait que les dirigeants soient poussés (par la rareté) à consentir les réformes qui s’imposent. » En clair, il s’agit d’essayer de « fabriquer » la rareté avant qu’elle n’arrive, car une fois arrivée, cela devient très couteux, estime cet économiste, y compris socialement (évènements de 1988, Ndlr) où la contrainte était sérieusement présente. Suite à quoi, des réformes « douloureuses » ont été consenties. Aujourd’hui, pense Benhassine, il s’agit d’éviter ce scénario. Pour cela, Nabni réitère sa proposition de la « règle d’or » budgétaire qui impose par la loi ou la Constitution des limites à l’accès de l’Etat aux ressources fiscales relevant de la fiscalité pétrolière. L’objectif est d’arriver à l’horizon 2030 est d’arriver à une part de 20% du budget de l’Etat qui proviendrait de la fiscalité pétrolière. Le think tank Nabni propose de trouver de nouvelles sources de recettes par la croissance en dehors des hydrocarbures, par l’introduction de nouveaux impôts. Pour Naji Benhassine, il s’agit d’une réforme fiscale à engager sur une échéance de 15 années. Pour lui, les dépenses actuelles ne sont pas soutenables, mais plus que cela, elles sont injustes en ce qu’elles n’atteignent pas réellement les couches défavorisées de la société. Là aussi, le processus de réforme des subventions va sur un échéancier de 10 ou 15 ans.