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Nominations, justice, médias: l’ANP sur l’élan AGS face à un Tebboune faible

Par Ihsane El Kadi
janvier 10, 2020
Nominations, justice, médias: l’ANP sur l’élan AGS face à un Tebboune faible

La disparition soudaine de Ahmed Gaïd Salah, pouvait laisser penser qu’une inflexion de l’ANP allait laisser au président désigné un espace pour exister politiquement face au Hirak. Il faudra déchanter.

Près d’un mois après « l’élection » du 12 décembre dernier, le 47e vendredi du Hirak populaire a dû se confronter, aujourd’hui, à une situation tendue à Alger et dans les villes de l’intérieur ressemblant à celle de la période de feu le chef d’Etat-major, Ahmed Gaïd Salah où tous les moyens étaient déployés pour réduire cette l’expression populaire, notamment dans la capitale. La police a utilisé la force brutale contre les premiers attroupements de manifestants en fin de matinée dans le quartier de Messonnier, et en haut de la rue Didouche, un des trois points de départ habituel des marches du vendredi.  

La police a chargé, frappé dans le tas, et procédé à des interpellations. Deux journalistes de Radio M. Post,  le site online de la webradio, Ghada Hamrouche, directrice de publication et Latifa Abada ont été retenues pendant plus d’une heure au 6e arrondissement non loin de place Audin, alors que leur identité de journaliste en couverture a été immédiatement établie lors de l’interpellation.

Les signes d’énervement se sont multipliés dans le camp  sécuritaire de ceux qui pensaient résoudre la crise politique en nommant un pensionnaire au palais d’El Mouradia, le 12 décembre dernier. Le dispositif pour empêcher l’accès à Alger le vendredi est toujours aussi hermétique sur l’ensemble des grands axes qui y conduisent de l’intérieur du pays.

Pour les citoyens qui échangeaient dans le différents forums spontanés sous une fine pluie cette après-midi au centre d’Alger, « rien, absolument rien n’a changé sous Tebboune dans le traitement du Hirak . Nous sommes toujours l’ennemi qu’il faut mater ».  « En ce moment nous avons les deux en un. C’est à la fois l’ambiance délétère du 4e mandat de Bouteflika et la tension sécuritaire, après sa chute, de l’intérim dirigé de fait  par Gaïd Salah », commente un des intervenants.

Le diagnostic est finalement simple. Pour les hirakistes, l’ANP continue sur la lancée d’avril-décembre 2019. Elle dirige tout. Ne renonce quasiment à aucune parcelle de pouvoir à sa nouvelle façade civile.

L’affaire Drareni symptôme d’époque

Trois indicateurs montrent le poids de l’omnipotence de l’armée dans la gouvernance politique du pays près d’un mois après la désignation d’un « président de la république » supposé rétablir un semblant de fonctionnement institutionnel.  Les nominations dans le gouvernement et les principales institutions de la république, le fonctionnement de l’appareil de la justice, et la gestion des médias. Ces trois volets de l’actualité brûlante de ces dernières semaines recèlent une grande faiblesse du point de vue politique de la présidence, conforme aux conditions de « l’élection » du 12 décembre dernier.

Dans un tel contexte, l’armée qui avait pris goût à nommer ( Zermati, panel, commission ect …) et décider (jusqu’à la date de la convocation du corps électoral),  ne s’est pas privée de continuer sur sa lancée. La part des 39 membres du gouvernement de Abdelaziz Djerrad, fruit d’une recommandation ou d’un parrainage de l’Etat-major, est la plus importante dans la répartition des postes influents. Les deux  « hirakistes » débauchés se sont avérés être traités dans la filière classique de l’ex DRS.

Les nominations à la tête des médias et régies publics (télévision, radio, APS, ANEP) ont révélé un mini bug, dans le réseau entre le civil et le militaire. L’affaire du journaliste Khaled Drareni est sans doute celle qui dénote le mieux le peu de cas que font les détenteurs du pouvoir réel des nouveaux arrivants dans la vitrine politique civil du système qu’ils encadrent.  Notre collègue a subi ce jeudi un quatrième séjour à la caserne Antar de la DCSI, service du contre espionnage de l’armée en charge direct de la surveillance et de la répression interne (activistes, médias, ect…).  Les menaces sont les mêmes qu’avant le 12 décembre 2019. Renoncer à faire son travail de journaliste, reporter de terrain, témoin du Hirak, au risque de se retrouver en prison.  

Khaled Drareni parle dans son post la nuit dernière après avoir recouvert la liberté de ses mouvements, d’un « dernier avertissement ». La démarche autoritaire, brutale, fait-elle suite à une plainte d’une quelconque partie incriminée par les publications du journaliste ? A-t-elle l’assentiment du cabinet de Abdelmadjid Tebboune  et de son ministre conseiller en charge de la communication ? Les sécuritaires tiennent toujours le pays et le font savoir aux « politiques » qui se prendraient au sérieux, en pensant être de vrais dirigeants. Plusieurs sources d’avocats ont corroboré d’Oran, de Constantine, et des différents tribunaux d’Alger le mécanisme par lequel des détenus politiques ont été élargis depuis le 02 janvier et d’autres pas. « Ce sont des officiers des services qui dans la plupart des cas ont communiqué les instructions aux juges. Même Zeghmati (ministre de la justice) a été court-circuité  sur la vague de libération ». La prédominance du militaire sur le politique fonctionne dans le deux sens.

Saïd Chengriha, point d’inflexion ?

Il est difficile d’imaginer, devant une telle situation, un président Tebboune prendre le leadership d’une véritable feuille de route de sortie de crise politique, par le dialogue avec le Hirak qu’il a pourtant appelé de ses vœux le 13 décembre et qu’il s’est abstenu d’évoquer depuis cette date.  

Abdelaziz Rahabi, qu’il a reçu quelques semaines après Ahmed Benbitour, lui a désigné,  tout comme l’ancien Premier ministre, le chemin du salut : « répondre aux revendications du Hirak ».  Tebboune n’a en réalité rien pu engager d’audible pour espérer changer le climat particulièrement tendu depuis juin 2019. Ni la libération de tous les détenus d’opinion, ni la levée de l’Etat de siège sur la capitale, ni la cessation des interpellations et intimidations, ni le rejet du recours à la violence, ni l’ouverture des champs médiatique et politique, ni le rétablissement des droits de réunions et d’associations. Tout indique de plus en plus, que le début de la carrière présidentielle de Abdelmadjid Tebboune est prisonnier de la vision autoritaire brutale du chef d’Etat-major disparu. Sans mise à jour possible. 

 Il y a de fortes raisons de penser qu’il en sera ainsi durant encore plusieurs semaines. Au moins tant que la haute hiérarchie de l’ANP nommée par Ahmed Gaïd Salah jugera qu’il est de son premier devoir de manifester sa fidélité à sa mémoire en rejetant toute ouverture politique, suggérée en pointillé par le nouveau pensionnaire, faible et isolé, du palais d’El Mouradia.

Le général Said Chengriha a été , lui, nommé à la tête des forces terrestres, par Abdelaziz Bouteflika, et à la tête de l’Etat-major par intérim, par Abdelmadjid Tebboune. S’il a une autre vision de la solution de la crise politique que celle léguée par son prédécesseur – et qui a échoué à stopper le mouvement au bout de bientôt une année – il est temps qu’elle s’exprime.  Des journalistes détenus dans des casernes, c’est bien la caricature même de ce que rejettent une majorité d’Algériens (c’était le cas le 1er novembre dernier) en scandant « Etat civil. Pas militaire ».

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