Mme Carin Wall est ambassadrice de Suède en Algérie depuis seulement Octobre 2013 et elle a déjà une idée sur ce qui attend les entreprises suédoises qui voudraient investir le marché algérien. Le potentiel est immense pour les entreprises de son pays mais il y a en face, des obstacles nommés « 51/49 », la bureaucratie…Entretien.
La Suède est l’un des pays qui se sont sortis relativement bien de la crise économique par rapport à d’autres pays européens. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que c’est parce que nous étions mieux préparés à la crise, étant donné que la Suède a eu aussi sa propre crise économique début des années 1990, y compris une profonde crise bancaire. Nous avons été obligés d’opter pour un certain nombre de mesures afin de sauver les banques et introduire des mesures d’austérité, par exemple en termes de budget de l’état pour éviter des déficits. Quand la crise européenne est arrivée, nous étions dans une situation plus solide par rapport à d’autres pays. Résultat : nous avons eu une croissance lors des années de crise qui a dépassé les autres pays européens et nous avons continué á maintenir le même rythme. Un certain nombre d’experts de différents pays sont venus chez nous pour nous demander la recette suédoise pour la reconstitution des banques en crise. Nous avons donc pu partager nos expériences. Il faut, cependant souligner que tout n’est pas rose. Nous avons eu le problème du chômage. C’est un problème constant auquel nous avons essayé différentes mesures pour le résoudre car, pour nous, un chômage qui s’élève á 7%, voire 8 % est un taux trop élevé par rapport á ce que nous avons l’habitude de connaitre dans le passé.
Entre l’Algérie et la Suède c’est aussi l’histoire d’une longue amitié qui remonte bien avant l’Indépendance lorsque les premiers groupes de soutien à l’Indépendance de l’Algérie se formaient, grâce notamment à la position combien courageuse du regretté Olof Palme. Cependant, nous avons l’impression aujourd’hui que le volume d’échanges, notamment économiques entre les deux pays n’est pas du tout aussi important qu’on le croit. Pourquoi, selon vous ?
Tout d’abord, l’Algérie est un pays très important en Afrique du Nord. Nos relations sont excellentes. Nous avons un échange, bien entendu sur le plan politique. Concernant les relations économiques, la promotion des exportations est une tâche très importante pour l’ambassade. Au premier semestre 2013, nos exportations vers l’Algérie ont augmenté de 17%. Il s’agit en particulier de l’activité des entreprises qui sont déjà en Algérie. Les plus importantes sont Ericsson dans le domaine des télécommunications et ABB dans le domaine de l’énergie. Nous avons aussi des exportations dans le domaine du médicament, des produits de bois et du papier. En tout, il y une vingtaine d’entreprises suédoises sur place. Mes trois recommandations aux entreprises suédoises qui veulent s’établir en Algérie sont la présence, la persévérance et un peu de patience. Il ne faut pas s’attendre á un résultat rapide. Il faut trouver des partenaires, travailler et connaitre aussi les difficultés, en termes de bureaucratie et de réglementation. En tant qu’entrepreneur, il faut être prêt à fournir un effort pendant un certain temps pour pénétrer le marché algérien. Mais les entreprises qui sont déjà sur place depuis longtemps vont bien. La compagnie Ericsson qui est établie ici depuis plusieurs décennies, et qui travaille en particulier avec les trois opérateurs mobiles est un bon exemple de réussite. La compagnie a d’ailleurs pleins de projets avec l’introduction, finalement de la 3 G en Algérie.
Pour bien d’investisseurs suédois, il est clair que le marché algérien représente bien des difficultés. Quels sont les problématiques majeures posées par les entreprises suédoises ?
Le message du gouvernement algérien, lors de mes rencontres avec les ministres est clair : On veut bien des exportateurs suédois mais on veut aussi de l’investissement, c’est à dire de la production, de la création d’emploi. C’est particulièrement dans le domaine de l’investissement que les entreprises suédoises trouvent certaines difficultés. Par exemple la règle 49/51 qui ne plait pas aux investisseurs étrangers. Il y a aussi des exigences par rapport à la gestion concernant la création des compagnies mixtes. En même temps, les grandes entreprises ont quand même accepté de faire des investissements et de lancer une production sur place mais cela n a pas été trop facile.
En novembre dernier, vous avez été reçue par le ministre de l’Energie et des Mines, Youssef Yousfi pour discuter d’un programme de partenariat dans le domaine de l’énergie. Etes-vous satisfaite de cette rencontre ?
Absolument. J’ai rencontré plusieurs ministres dans le cadre de la promotion de nos exportations. Nous avons commencé depuis quelques années d’essayer de focaliser sur des domaines sélectifs car nous sommes une petite ambassade avec des contraintes en termes de ressources. Heureusement, nous avons eu un représentant de Business Sweden qui est notre agence gouvernementale pour la promotion des investissements et des exportations qui a été placé à Alger et cela nous permet de travailler un peu plus activement. Nous essayons d’organiser, dans les domaines qui sont, en particulier intéressants pour les entreprises exportatrices, des séminaires et des conférences. Nos objectifs sont un peu plus large que l’aspect commercial. Nous voulons ainsi réunir des experts et partager nos expériences.
Y-a-t-il un secteur d’investissement sur lequel vous voulez focaliser en ce moment ?
Pour l’instant, nous travaillons pour organiser un séminaire sur ce que nous appelons les smart grids, pour renforcer l’efficacité de la distribution de l’eau, de l’électricité pour ne citer que ces énergies et cela avec le ministère de l’énergie et des mines et les agences de l’état qui s’en occupent. Nous constatons qu’il y a une grande perte dans la distribution de l’électricité et du gaz et il existe aussi des solutions que nous pourrons proposer. Dans notre travail de promotion des exportations, nous avons décidé de nous focaliser sur un nombre restreint de domaines, l’énergie, le transport, l’infrastructure, les télécommunications et les médicaments. Par ailleurs, nous sommes en train de préparer aussi avec la ministre des télécommunications un séminaire autour de l’introduction de la 3G. A ce niveau, nous pourrons éventuellement partager aussi des expériences par rapport au cadre réglementaire.
En avril prochain auront lieu, en principe les élections présidentielles en Algérie. Quel regard portez-vous sur cet événement politique important ?
Les élections sont toujours très importantes dans chaque pays démocratique pour donner la possibilité au peuple de choisir leur président, et cette année c’est le tour de l’Algérie. C’est bien entendu aux Algériens de décider comment on veut organiser les élections et quels sont les défis à relever dans le domaine, notamment pour l’évolution et la consolidation de la démocratie. La stabilité de l’Algérie est très importante dans une région où il y a eu beaucoup de perturbations ces dernières années. Je viens du Mali où j’ai passé trois ans donc j’ai eu la possibilité de vivre les événements au Mali de l’intérieur mais il y a eu aussi des turbulences en particulier en Libye, en Tunisie et en Egypte. C’est très important que l’Algérie continue à être un facteur stabilisateur.
Il semble que beaucoup de pays ont été pris au dépourvu par la crise malienne, n’est-ce pas ?
Ce n’était pas tout á fait une surprise. Peut être que l’on ne s’attendait pas à un coup d’état mais il y avait des signaux d’instabilité que l’on a pu voir avant le déclenchement d’une rébellion touarègue suivie par l’occupation des islamistes des territoires du nord. C’était clair aussi que la démocratie malienne considérée parfois comme un modèle dans cette partie du monde n’était pas très solide dans une région caractérisée par une instabilité et des difficultés dans les pays voisins comme le Niger, la Côte d’Ivoire et la Guinée. C’était en quelque sorte une démocratie de façade. Donc, il y a eu plusieurs facteurs qui ont contribué au déclenchement de la crise malienne qui est aussi une crise qui concerne les autres pays de la région avec trafic de toute sorte, crime organisé, drogue etc qui dépassent les frontières, des défis auxquels il faut faire face à travers une meilleure coopération où l’Algérie peut jouer un rôle important.
Un dernier mot ?
Je suis très contente d’avoir eu ce poste, pour continuer à travailler dans la sous région. C’est très différent de ce que j’ai vécu au Mali où la Suède est focalisée sur la coopération au développement. En Algérie, les aspects les plus importants sont les relations politiques et la promotion des exportations et des échanges économiques mais aussi le développement des relations culturelles et dans d’autres domaines encore. J’ai participé cette semaine à l’installation d’un groupe d’amitié algéro-suédois au sein du parlement algérien, une initiative soulevée lors d’une visite des parlementaires suédois conduite par la première vice-présidente en 2013. En Algérie le contexte politique est très intéressant sur le plan intérieur mais aussi, compte tenu de l’évolution de la situation dans les pays voisins où il y a, bien entendu des grandes difficultés mais aussi des tentatives des pays maghrébins de travailler plus étroitement ensemble, par exemple concernant la sécurité des frontières et des échanges économiques. Une meilleure intégration économique et politique pourrait être bénéfique pour tous les pays maghrébins.