Le 21 novembre 1954, Pierre Chaulet fait la connaissance de Claudine Guillot chez le professeur André Mandouze où avec un ami, il avait amené, dans l’urgence, Abdelhamid Mehri et Salah Louanchi dont la planque était grillée.
C’est dans l’introduction du livre, « Le choix de l’Algérie » de Pierre et Claudine Chaulet (**), le récit de la formation d’un couple singulier au moment où l’histoire de l’Algérie – et du monde – s’accélère. On peut choisir voir dans ce livre le récit du détachement qui s’opère entre deux individus avec ce qui pouvait constituer leur groupe « naturel », celui des européens issus du peuplement colonial. Mais ce serait une grosse erreur d’optique. Ce livre est plutôt le récit d’un attachement fondamental à la justice, à la dignité humaine qui est la trame profonde d’un cheminement personnel. Et à cette terre… Le détachement à l’égard du groupe est une conséquence logique de cet attachement à des valeurs supérieures.
C’est cela la singularité de ce couple. Claudine et Pierre Chaulet ont choisi d’être ce qu’ils sont. Ils ont choisi l’Algérie. « Nous nous sommes voulus Algériens » à part entière ». Et « nous avons vécu comme tel » Le récit, où la chronique de la vie familiale, professionnelle, émaillés de noms de personnes et de lieux, finit par se confondre avec l’histoire du combat des algériens, est passionnant. Dans la sobriété du récit, on retrouve tant de personnages attachants et remarquables de ce pays entrant, au forceps et dans la douleur, dans une autre histoire. Le basculement définitif dans le mouvement de libération car il n’y a pas de « problème algérien » mais un « problème posé par la présence de la France en Algérie ». Un engagement » à cause de ce qu’il faut changer, radicalement : le mépris et l’humiliation de l’homme, les bidonvilles d’Alger… « . Cinquante après l’indépendance, cela semble encore si actuel…
Ce livre est un cadeau précieux dans un cinquantenaire qui semble lourd à porter par les gouvernants. On y rencontre des femmes et des hommes remarquables. Et de noms qui continuent à inspirer un immense respect… Il suffit d’aller à l’index de noms pour se retrouver de plain-pied dans l’histoire d’un combat…
« L’histoire a fait de nous des personnes libres »
La grandeur morale d’un André Mandouze osant apporter publiquement, à Paris, le « salut des résistants algériens » et qui lui vaudrait la rage haineuse des ultras. Les rencontres avec Abane Ramdane d’Alger jusqu’à l’ultime rencontre à Tunis où il se « sentait traqué ». Derrière le récit, d’une grande sobriété, on sent la colère toujours intacte au sujet du sort réservé par les « frères » à Abane Ramdane. On découvre dans quelle circonstance l’article sur la « mort au champ d’honneur » de l’organisateur du congrès de la Soummam a été passé dans El Moudjahid.
On redécouvre Franz Fanon qui sait qu’il ne verra pas l’indépendance de l’Algérie et tant d’autres. Ce récit, qui sera utile aux historiens, nous touche. Il évoque des noms connus mais aussi une multitude de militants et d’hommes de bonne volonté de « souche européenne » qui ont apporté, dans la discrétion, leur obole à ce combat… Le récit se poursuit après l’indépendance jusqu’à l’exil contraint dans les années 90 et le retour au pays. Avec, en filigrane, un constat que l’Algérie d’aujourd’hui n’est pas celle que beaucoup attendaient. Ou dont ils rêvaient. Mais jamais le doute n’a atteint ce choix de l’Algérie malgré les tumultes post-indépendance.
« L’histoire a fait de nous des personnes libres » constatent-ils et le récit est destiné à raconter « pourquoi, comment, et en quoi nous avons choisi de ne pas suivre la majorité ». Remercions Claudine et Pierre Chaulet pour ce cadeau où l’on retrouve bien le meilleur de notre histoire. Et ils font partie de ce meilleur…
(*) Article publié le 29 mars 2012 dans le Quotidien d’Oran sous la signature de K. Selim
(**) Pierre & Claudine Chaulet : Le choix de l’Algérie – Deux voix, une mémoire. Editions Barzakh