Pour Abderrahmane Mebtoul, maintenir la politique économique actuelle serait « illusoire » - Maghreb Emergent

Pour Abderrahmane Mebtoul, maintenir la politique économique actuelle serait « illusoire »

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L’économiste Abderrahmane Mebtoul relit les chiffres de l’économie algérienne pour souligner le poids de la rente et des subventions dans l’économie algérienne. Il préconise une nouvelle démarche économique, débarrassé des artifices d’écriture.

 

 

L’économie algérienne, totalement extériorisée, est dépendante de la rente des hydrocarbures. Selon les données de la Banque mondiale correspondant à celles de la Banque d’Algérie pour la période 2000-2013, l’Algérie a exporté 707,250 milliards de dollars et a importé pour 491,200 milliards. La différence est de 216 milliards. Si on enlève le remboursement anticipé de la dette, on retombe sur le chiffre des réserves actuelles fin 2013. Dans ce contexte, il serait illusoire de continuer dans l’actuelle démarche. L’illusion bureaucratique, en ignorant tant le changement de la société algérienne que le fonctionnement des nouvelles mutations mondiales du XXIème siècle, est de se réfugier dans le juridisme, vision du passé, comme si une loi ou un code d’investissement pouvaient résoudre les problèmes d’ordre structurel.

Si le prochain conseil des Ministres prévu, en principe le mercredi 27 août 2014 concernant la loi de finance prévisionnelle 2015, au vu de des premières informations concernant les importations de biens, ne réduit pas la valeur des importations, la sortie de devises incluant les services et les rapatriements légaux de capitaux pourrait dépasser en 2015 les 80 milliards de dollars, contre plus de 72 milliards de dollars en 2013, le bilan de 2014 étant toujours en cours.

 Déficit du trésor et baisse du fonds de régulation des recettes

Le fonds de régulation des recettes créé en 2000 se calcule comme la différence entre le cours moyen des recettes d’hydrocarbures au départ à 19 dollars au cours plancher, puis à 37 dollars dans les lois de finances. Ici existe un artifice d’écriture de la Banque d’Algérie. Ainsi, si vous dévaluez le dinar par rapport au dollar de 10% par exemple, les recettes d’hydrocarbures étant calculées en dinars, vous gonflez à la fois la fiscalité pétrolière et le fonds de régulation des recettes de 10%. La valeur du dinar pour un dollar, selon le cours du Forex1, en date du 12 juillet 2014, était de 79 dinars un dollar et s’orientait, le 18 août 2014, vers 80 dinars pour un dollar, augmentant le fonds de régulation de 1,01%. Selon le Ministère des Finances (DGT), le fonds de régulation des recettes était estimé à 4.842 milliards de dinars en 2011, 5.381 milliards de dinars en 2012,  et 5.633 milliards en 2013. Lors de la loi prévisionnelle de finances 2014, le FRR devait atteindre 7.226,4 milliards de dinars, soit 39,7% du PIB, permettant d’alimenter trois ans d’importations, montant euphorique n’ayant pas prévu la contraction des recettes des hydrocarbures.

Les dépenses de fonctionnement devraient atteindre 2.104,4 milliards de dinars en 2015, contre 1.976,8 milliards de dinars dans la LF 2014, alors que les dépenses d’équipement devraient s’élever à 4.079,7 milliards de dinars, contre 2.744,3 pour la LF 2014, avec un accroissement des importations par rapport à 2014, ce qui donnerait un déficit budgétaire de 4.173,5 milliards de dinars , au cours de 79 dinars un dollar, soit l’équivalent de 52,83 milliards de dollars.

Stagnation des réserves de change

Dans le même esprit, cette loi prévoit une fiscalité pétrolière générant une plus-value à verser dans le FRR de l’ordre de 2.634,2 milliards de dinars à la fin de 2015. Or selon le rapport récent de la Banque d’Algérie, il ressort qu’en dépit de réserves de changes en augmentation de près d’un milliard de dollars (194,961 milliards de dollars à fin mars contre 194,012 milliards à fin décembre 2013), le niveau du Fonds de régulation des recettes FRR a chuté de 5.238,80 milliards de dinars à fin décembre 2013 à 4.773,51 milliards de dinars à fin mars 2014. Ainsi, la moitié du déficit prévisionnel du Trésor Algérien pour 2014, estimé à 3.300 milliards de DA, sera comblée par les avoirs du FRR. Ce montant représente 18% du PIB. Comme conséquence, le FRR n’a pas été alimenté à fin mars 2014. Un cours de 90 dollars aurait donné une recette de moins de 55 milliards de dollars, ce qui aurait engendré des tensions sociales. C’est que les exportations d’hydrocarbures sont en chute libre.

En 2013 les exportations en devises ont été de 65,9 milliards de dollars , y compris les 3,2% hors hydrocarbures, pour un montant de 2,16 milliards de dollars, donnant environ 63 milliards de dollars pour Sonatrach (baisse de 10 milliards de dollars , moyenne annuelle entre 2010/2013). Ce chiffre est en en régression par rapport à 2011 (73,5 milliards de dollars d’exportations) et 2012 (71,8 milliards de dollars). Ainsi, la balance de paiement est à peine à l’équilibre. Si cette situation perdure, il faudra forcément puiser dans le FRR pour couvrir le déficit du trésor. Cette situation peut compromettre bon nombre de projets d’investissements prévus dans le plan d’action du gouvernement et éventuellement le recours à ses réserves de changes placées à l’étranger ( entre 83/86%) en bons de trésor américains , en obligations européennes et une fraction dans des banques internationales privées cotées dites AAA.

Révision des méthodes d’élaboration du budget

Afin de faire face à cette situation, je préconise que le budget des lois de finances soit établi selon le cours moyen du marché des hydrocarbures, quitte, si excédent il y a, à le verser dans une caisse pour les générations futures. Il faut aussi une révision de la politique économique nationale, de sorte à ce que les dépenses soient rationnelles, les salaires fixés en fonction de la productivité, de veiller sur la maturité et faisabilité des projets avant leur lancement, pour éviter les surcouts exorbitants.

Car la situation actuelle, qui risque de se dégrader dans les années à venir du fait des nouvelles mutations énergétiques mondiales et notamment en Méditerranée, montre la vulnérabilité de l’économie algérienne. Environ 97/98% des recettes d’hydrocarbures proviennent des hydrocarbures, et l’Algérie importe 70% des besoins des ménages (70% du pouvoir d’achat des Algériens étant corrélé à la rente des hydrocarbures) et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Environ 83% de la superficie économique est représentée par le petit commerce, services selon l’ONS (tertiarisation de l’économie à faible productivité), alors que le secteur industriel est en déclin, avec moins de 5% du produit intérieur brut.

Chiffres faussés par la subvention

L’irrigation de la rente des hydrocarbures à travers tous les circuits économiques et sociaux donne des taux fictifs de chômage, de croissance, tirée par la dépense publique qui représente plus de 80% du taux de croissance, d’inflation compressée par les subventions qui ont dépassé les 25 milliards de dollars en 2013. Pour la seule année 2013 les, importations de biens avoisinent 55 milliards de dollars (53% en cash, selon la douane algérienne), plus de 12 milliards de dollars d’importations de services, soit au total 67 milliards de dollars d’importations, auxquelles il faut ajouter entre cinq et sept milliards de dollars de transferts légaux de capitaux des compagnies étrangères.

Au final, cela donne entre 72 et 74 milliards de dollars de sorties de devises. Ainsi, le dérapage du dinar de plus de 300% depuis 1992 (de 25 dinars pour un dollar à 80 dinars pour un dollar), qui constitue un dumping, n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures, montrant que le blocage est d’ordre systémique.

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