C’est en bon universitaire, spécialiste des questions énergétiques, que M. Amor Khelif, réclame le «débat national sur l’énergie qui n’a toujours pas eu lieu et dont on ne pourra pas faire l’économie».
Un débat dont l’enjeu, pour lui, est clair. Il s’agit de « sortir du schéma de la reproduction de la rente pétrolière ». C’est en bon universitaire aussi qu’il s’intéresse essentiellement aux «tendances lourdes» à l’œuvre dans le secteur, aussi bien au plan interne qu’à l’international. Ces tendances «à long terme,» souvent masquées par le « factuel », Amor Khelif les aperçoit d’abord dans le « renforcement de l’Algérie dans une spécialisation en matière de fourniture énergétique qui est une constante des quatre dernières décennies ».
Des évolutions de fond qui ont eu pour résultat un renforcement de la dépendance de l’économie algérienne vis-à-vis d’une ressource unique : « En 1970, les hydrocarbures représentaient 30% du PIB, aujourd’hui c’est 45%. Pour les exportations, l’Algérie est passés de 40% en 1970 à 96% aujourd’hui, et la tendance est la même pour les recettes fiscales, » a-t-il précisé.
Depuis le début des années 70, l’Algérie a répondu à chaque crise par une augmentation de la production d’hydrocarbures, ajoute Amor Khelif : « d’abord avec le plan Valhyd dans les années 70, puis en 86 avec l’augmentation des exportations, de nouveau en 91 au moment de la crise de la dette, et encore aujourd’hui avec tout ce qui est dit autour de l’intensification de l’exploitation des gisements et du gaz se schiste ». Amor Khelif en est convaincu, cette démarche est toujours, à l’heure actuelle, la matrice idéologique des pouvoirs publics algériens et la cause essentielle de leur refus de voir s’engager un débat digne de ce nom sur cette « question fondamentale pour l’avenir de la nation ».
Loi favorable aux compagnies étrangères
A l’international, Amor Khelif relève également une stratégie claire des « compagnies multinationales qui cherchent à récupérer la propriété du pétrole conventionnel dont elles ont perdu le contrôle à la suite des mouvements de nationalisation des années 70 et 80 ». En Algérie cette stratégie a conduit à « une perte progressive des part de marché de Sonatrach », qui se traduit notamment par « l’influence croissante des compagnies étrangères dans la définition des règles du jeu et du cadre juridique ». Il mentionne, à titre d’illustration, la dernière loi de février 2013 qui aura selon lui pour résultat principal de « nous faire passer d’un système très simple et facilement contrôlable d’évaluation calé sur le chiffre d’affaire à un système basé désormais sur la rentabilité par projet, où le coût de production, mesuré par l’opérateur lui-même, devient la variable fondamentale ».
L’Algérie, « banc d’essai » pour le gaz de schiste
Dans le sillage de cette critique de la dépendance renforcée de l’économie algérienne à l’égard des hydrocarbures, Amor Kelif se montre extrêmement sceptique à l’égard des perspectives d’exploitation du gaz de schiste. Pour lui, « l’économie du gaz de schiste n’est pas certaine du tout tant qu’on ne connait pas les coûts de production ». Aux Etats unis, ajoute-t-il, « aucune compagnie n’est bénéficiaire et toutes vivent de subventions ». Pour l’expert algérien, le débat sur le gaz de schiste évoque l’époque du développement du GNL dans les années 70 : « l’Algérie risque de devenir un banc d’essai pour les compagnies européennes et américaines qui vont venir faire des expériences dans notre pays. On nous pousse à financer des expériences industrielles nouvelles, indépendamment de leurs rentrées économiques et de leurs conséquences environnementales ». Cette critique de la spécialisation de l’économie algérienne n’épargne pas non plus les projets de développement de la pétrochimie qui « ne nous serviront à rien car tout le monde connait le prix auquel on a accepté de livrer le gaz aux partenaires internationaux ».
Pour le renouvelable « Sonelgaz n’est pas le bon choix »
La solution serait-elle alors dans le développement des énergies renouvelables ? Certainement, affirme Amor Khelif qui indique cependant que ce choix stratégique implique une option politique forte. « C’est d’abord une question d’allocation des ressources. On ne peut pas tout faire en même temps. On ne peut pas développer à la fois les gisements conventionnels, le gaz de schiste et investir dans les énergies renouvelables. Tout cela a un coût et demande des ressources financières considérables ». Un choix politique fort qui impose de « se soustraire aux pressions qui cherchent à imposer des investissements dans les productions immédiatement exportables et qui passe par la décision de consacrer 40% des investissements réalisés dans le secteur au renouvelable ». Pour mettre en œuvre ce programme, Amor Khelif ne croît pas non plus au choix qui a été fait par les pouvoirs publics algérien de retenir Sonelgaz en tant qu’opérateur : « Comment voulez-vous que Sonelgaz développe le renouvelable alors que la culture de l’entreprise est fondée sur des ressources gazières inépuisables achetées à des coûts dérisoires ? ». Avec Sonatrach, « ce serait encore pire. Il faut créer une institution totalement indépendante des intérêts du secteur des hydrocarbures », conclut Amor Khelif .
Yazid Taleb