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Pourquoi sans modèle exportateur l’Algérie restera un nain hors hydrocarbures 

Par Ihsane El Kadi
novembre 25, 2018
Pourquoi sans modèle exportateur l’Algérie restera un nain hors hydrocarbures 
La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane sur El Watan a traité du sujet névralgique de la diversification des exportations et du modèle qui peut la permettre en Algérie.

Les exportations algériennes hors hydrocarbures sont-elles en train de décoller en 2018 ?  C’est une prévision du ministère du Commerce qui a relancé le débat cette semaine sur la diversification supposée en cours des exportations algériennes. Elle annonce 3 milliards de dollars d’exportation hors hydrocarbures à la fin de l’année sur la base d’une extrapolation linéaire des chiffres des 8 premiers mois  qui ont vu l’Algérie exporter pour 2 milliards de dollars en produits classés hors hydrocarbures.

L’analyse rapide de cette plutôt bonne performance des exportations hors hydrocarbures refroidit aussi vite l’enthousiasme. Le contenu de l’hors hydrocarbures est dominé par les dérivés des hydrocarbures, les engrais notamment. C’est la croissance essentiellement de ce poste qui a enflé et non pas le décollage de l’exportation des produits manufacturés, confinés en réalité à 1,6 % du total des recettes d’exportation sur ces six premiers mois.

L’indicateur de la toujours faible performance de ces exportations industrielles est plus parlant en valeur absolue. Il n’a jamais atteint le demi-milliard de dollars et n’est pas certain de le dépasser cette année 2018.  Or, c’est bien sur ce front, et sur celui des services liés à l’outsourcing et au tourisme, que les progrès sont les plus attendus pour réduire le déficit de la balance commerciale lors des prochaines années.

Le fait est que la performance des filières potentiellement exportatrices dans le manufacturés reste encore balbutiante. Les produits bruns et blancs (électroniques et électroménagers) tardent à peser significativement dans la balance devise du pays.  Cevital devrait en être la locomotive avec Brandt, tandis que Condor, et les autres arrivent avec des volumes encore marginaux pour espérer modifier la structure des exportations algériennes sur une période quinquennale.

De même les produits agricoles transformés sont freinés par le système des subventions domestiques (pâtes alimentaires), tandis que la filière mécanique a choisi de se paramétrer pour l’unique marché domestique avec le système d’aide à l’assemblage.  Le calendrier de l’émergence d’une exportation industrielle algérienne devient pourtant serré. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit stoïquement un déficit du solde de la balance des paiements de 17 milliards de dollars en 2019, de 14 milliards en 2020 et également de 14 milliards de dollars en 2021. Même si les cours du brut devait se maintenir autour de 70 dollars en moyenne sur la période – alors que le prix référence de la LFC est de 50 dollars le baril – le déficit annuel avoisinerait les 10 milliards de dollars et la fonte des réserves de change se poursuivrait inexorablement.

Est-ce une raison pour considérer que des recettes nouvelles en devises provenant d’autres filières que celle des hydrocarbures et dérivées ne seront jamais au rendez-vous avant une nouvelle crise algérienne des paiements extérieurs attendue au milieu de la prochaine décennie ?

 La substitution aux importations un semi-modèle

Il n’existe pas d’émergence d’exportations hors matières premières sans adoption préalable d’un modèle exportateur pour le développement d’une économie.  L’histoire économique du 20e siècle l’enseigne. Les grands pays exportateurs d’Asie ont tous choisi à un moment ou un autre – le Vietnam est le dernier à l’avoir fait – d’organiser l’économie en fonction de la performance à l’exportation des biens et des services. L’Algérie a toujours refusé ce modèle. Elle en a privilégié un autre. Celui de la substitution aux importations.  Vers lequel elle se retourne épisodiquement à chaque contre-choc pétrolier.

Le modèle de substitution aux importations était en vogue dans les années 60-70 car il consacrait l’indépendance économique et donc politique des Etats qui le développaient. L’accélération de la mondialisation après la chute du mur de Berlin en 1989, l’a rendu archaïque.  La poussée des règles du libre-échange commercial durant les années 90 et 2000 a changé la donne. Les systèmes de production nationaux sont mis en concurrence avec  une offre mondiale de plus en plus large de biens et de services.

L’Algérie le sait bien, qui a dû ouvrir son commerce extérieur au moment où elle avait un genou à terre en 1994 en signant l’accord de stabilisation avec le FMI.  C’est Issad Rebrab qui m’a expliqué il y a déjà une dizaine d’années; qu’en dehors des activités de niches ou celle qui nécessitent une grande proximité avec les consommateurs, on ne peut pas être une entreprise performante sur son marché domestique si on n’est pas en mesure de concurrencer les entreprises étrangères ailleurs qu’en Algérie. Pour défendre sa part de marché en Algérie, il faut être capable d’en gagner dans le monde. Le modèle « substituteur » aux importations est donc un semi-modèle. Il ne peut pas se développer en dehors de l’exportation. Cet affaiblissement historique du modèle est facile à vérifier.

Les entreprises algériennes publiques ou privées qui se sont construites sur un marché protégé n’ont pas développé de capacités à la performance hors frontières. Leur vie dépendait du niveau de protection du commerce extérieur.  Elles ont disparu ou vivent sur le dos du trésor public aussitôt ces protections démantelées. Cela ne veut pas dire que les protections temporaires ne sont pas utiles pour faire démarrer une filière ou la développer sans quoi la concurrence mondiale l’en empêcherait. Mais la développer dans quelle direction ? Uniquement celle de se substituer aux importations et réduire les sorties de devises ? C’est une voie historique de l’échec.

Les entreprises doivent générer une partie de leurs revenus en devises à la hauteur de ce qu’elles en consomment en intrants et services importés. Le modèle d’affaire dans toutes les filières où l’Algérie présente un avantage compétitif, doit être autant tourné vers l’exportation que vers la conquête de parts de marché en Algérie.  C’est l’essence d’un modèle exportateur.  Elle est basée sur la suppression mentale de la frontière. Les fournisseurs sont mondiaux ? Les clients doivent  donc l’être aussi.  Le discours sur la substitution des importations prête autant de chances de résilience à une économie nationale qu’un journal papier face à l’édition de presse électronique. La seconde marche sur le monde, la première veut tenir sur un territoire inondé. Il faut être dans le monde pour être au sec.

 Le prérequis de l’esprit d’ouverture

La construction d’un modèle exportateur n’est pas juste un changement d’orientation économique. C’est sans doute pour cela qu’il est si difficile à envisager pour le vieux noyau de pouvoir politique algérien cuirassé dans une pensée à peine post-soviétique.

Le modèle exportateur requiert une ouverture du pays au monde. Même les régimes autocratiques de Chine et du Vietnam ont accompagné la promotion des exportations de fait avec des liens plus forts avec le reste du monde. En flux de biens, de services mais aussi de personnes. L’Algérie maintient le choix de rester un pays fermé. En particulier au tourisme international, sans aucun doute le post de recettes hors hydrocarbures le plus facile à faire décoller dans le court terme. Les infrastructures hôtelières sont en plein rattrapage, le pays est devenu sûr, et l’effet destination décalée et originale joue à fonds en faveur de l’Algérie si proche des marchés émetteurs.

Le gouvernement pourrait donc commencer par s’essayer aux recettes du tourisme international. Mais cela suppose d’abandonner la vision du monde qui maintient le pays en queue de liste dans tous les classements de performance économique. La vision de la citadelle assiégée. Qui en retour met le siège sur sa population.

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