La semaine économique* commentée par El Kadi Ihsane.
Une confluence perturbante des éléments veut que dans la semaine du 05 octobre la question est sur toutes les lèvres : sommes nous dans la situation d’avant octobre 1988 ? Sur le plan de la comptabilité nationale, la réponse est facile ; non.. Et c’est tant mieux. Les deux déficits de la balance des paiements et du budget de l’Etat sont certes plus importants en 2015 qu’en 1988 en valeur absolue. Rapportés au PIB ils sont plus faibles aujourd’hui qu’en 1988. Mais surtout ce sont des déficits qui peuvent encore être financé durant sans recourir à l’endettement massif en interne et en externe. Deux ans avec le Fonds de régulation des recettes (FRR) pour le budget, et un peu plus de trois ans avec les réserves de change pour la balance des paiements dans un scénario médian de baril de pétrole à 50 dollars. Si l’on pousse la comparaison des niveaux de service de la dette de 1988 et de 2015 rapportés aux revenus d’exportation, la détente est encore plus forte au profit de 2015. Pas de coupes budgétaires dans la distribution des salaires publics, et dans les transferts sociaux, pas de recours abusifs à la taxation de la consommation pour renflouer la fiscalité ordinaire, pas de réduction des mécanismes d’aide à l’emploi. La conjoncture algérienne arrive à se protéger encore d’un dérapage de l’inflation et d’une remontée brutal du taux chômage. Les deux ingrédients de base d’Octobre ne sont pas là. En 1988 il fallait leur ajouter la pénurie, un facteur structurant à la fois de l’inflation (qu’il alimente) et du chômage (dont il est la manifestation). Le peuple ne sortira donc pas dans la rue dans les semaines et les mois qui viennent pour cause de crise économique. Que va faire le gouvernement de ces semaines et de ces mois durant lesquels il n’aura pas à affronter une montée de la résistance sociale à l’ajustement financier qui plane au dessus de la tête du pays ? Le point de vue des experts lors de la table ronde du CNES de l’autre semaine était assez clair sur le sujet. Le gouvernement doit agir vite. Tant qu’il a des marges. Et pas agir seulement pour réduire le train de vie de l’Etat mais aussi, et surtout, pour rendre plus facile la création de richesses hors hydrocarbures, et pouvoir de plus en plus l’exporter au sein d’une chaîne de valeur internationale. Recommandation retenue ? Il est possible de conclure en ce 05 octobre 2015 que le gouvernement retient surtout qu’il n’est pas contraint comme en 1988.Abdeslam Bouchouareb s’est chargé de l’exprimer.
La même confluence perturbante des éléments a voulu que Abdeslam Bouchouareb soit le seul ministre économique absent lors de la table ronde du CNES. Agenda chargé sans doute. Le fait est qu’il est celui qui assume le mieux le dépassement de mission. Il traduit dans les faits administratifs le sentiment décrit plus haut. Par rapport à 1988, il y a encore de la marge. L’exécutif dispose donc d’un confort politique suffisant pour se payer le luxe de faire une guerre – ruineuse en image – à Cevital le plus grand groupe privé du pays. En gros, l’inverse de ce que ferait un gouvernement qui veut impulser les investissements hors budget de l’état. L’affaire n’aurait jamais du effleurer les oreilles de l’opinion. Une requête déposée par Cevital au ministère de l’industrie, fin 2014, pour obtenir une dérogation prévue par la loi pour l’importation d’un matériel rénové devant équiper une partie de la chaine de production Brandt en cours de lancement sur le site de Sétif. Une administration efficace, tournée vers l’accompagnement des investisseurs, devrait normalement répondre de manière diligente par oui ou par non. Puisque la prérogative de déroger ou pas lui revient. Le ministère de l’industrie a fonctionné sur son temps. Le temps politico-administratif. Il n’a pas répondu. Et Cevital a eu sans doute tort de ne pas changer de procédure et d’équiper ce segment de son usine en neuf (pour un différentiel certes de 08 millions d’euros). Le fait est que les huit mois de perdus correspondent à un marché d’exportation de 80 millions d’euros rétrocédé par le fournisseur algérien de Brandt France au profit de l’ancien fournisseur polonais. Lors de la cérémonie de lancement de Brandt Algérie en juin dernier à Alger, Issad Rebrab était fier d’annoncer qu’il plaçait le site de Sétif dans la nouvelle chaine de valeur du produit Brandt. En s’emparant de l ‘enseigne française, il devient le donneur d’ordre, et choisit ses sous-traitants. Ce sera donc Sétif et non plus la Pologne. Raté. L’usine Brandt de Sétif ne produit toujours pas les tambours de machine à laver pour lesquels elle a un bon de commande de Brandt France de plusieurs dizaines de millions d’euros. Lorsque le premier ministre dit vouloir diversifier les exportations, il devrait d’abord tenir la bride à son ministre de l’industrie. Et lui dire peut être qu’il est temps de commencer. Abdeslam Bouchouareb n’en a visiblement pas cure.
Le ministre de l’industrie qui manque les opportunités d’écouter un peu les experts à cause de son agenda chargé, pense aussi être de bonne foi concernant l’attractivité industrielle de l’Algérie. Il a un projet de nouveau code des investissements qui ambitionne de relancer l’investissement en Algérie. Celui des étrangers autant que celui des nationaux. Le cas d’école de la dérogation sur le matériel rénové de Brandt Algérie à Sétif vient rappeler à ceux qui le savent déjà qu’en Algérie, c’est l’arbitrage de l’administration qui fait la loi en dernière instance. Là n’est plus le propos. Abdeslam Bouchouareb propose en gros dans son projet, d’effacer les mesures de 2009 qui ont sinistré le climat des affaires algérien déjà passablement obscur auparavant. Louable intention. Sauf que la conjoncture s’est tellement dégradée depuis que le retour au contexte d’avant 2009 n’est plus la réponse. Exemple, supprimer l’obligation d’une balance devises excédentaire pour les investissements étrangers en Algérie, ou le droit de préemption systématique à chaque amendement dans les statuts des entreprises étrangères en Algérie sont de bonnes mesures… mais anachroniques comme choc incitatif. Le challenge a changé. Les besoins en flux entrants de capitaux étrangers vont considérablement augmenter dans les prochaines années. Pour les attirer et bien les employer, la proposition des zones franches d’activité parait désormais la seule qui peut aider à rattraper la concurrence, notamment marocaine, dans l’accueil des investissements. L’Algérie n’est pas obligée de faire des concessions comme le Maroc ? Attention cela aussi peut changer très vite. Des experts l’ont dit. Bouchouareb n’était pas là. Quelqu’un peut le lui rapporter. Sa réforme du code des investissements est bonne. En 2010.
(*) Article publié par El Watan du 5 octobre 2015.