Adrar a abrité mercredi dernier une conférence sur les énergies renouvelables avec Desertec : en 2009, lorsque le projet de faire du désert une source majeure d’énergie renouvelable a frappé aux portes du Maghreb et de l’Algérie, l’accueil des officiels à Alger était circonspect. Pour ne pas dire hostile. Pourquoi donc prendre le risque de se lancer dans une production à grande échelle d’énergie solaire dans le Sahara pour fournir 15% de la demande électrique européenne à l’échéance 2050 ? Pourquoi le faire alors que les garanties d’un marché électrique unique européen demandeur ne sont pas là, que le bénéfice des investissements au Maghreb est largement promis à l’industrie du renouvelable déjà mature en Europe ? Le mot projet «néo-colonial» avait même était lâché pour soutenir que Desertec Industrie Initiative allait assurer d’abord un débouché aux industriels qui le composent avant de penser au débouché de l’électricité verte produite à la charge des Etats du sud Méditerranée. Quatre ans après, la donne a complètement changé.
La conférence d’Adrar a permis d’en saisir le nouvel enjeu. La perspective d’une forte demande européenne d’électricité verte venant de la zone Afrique du nord moyen-Orient au-delà de 2040 est plus floue. Le président de Desertec, Paul Von Son, présent à Adrar, a admis que la tendance plus faible de la croissance de la demande électrique en Europe rend plus modeste le déficit prévisionnel à l’horizon de 2050. Et donc plus incertain le recours massif de l’Europe à de l’électricité verte venant du sud. Mais cela, les conférenciers le savaient avant d’aller, grâce au Groupe RedMed organisateur de l’événement, faire le point sur le renouvelable à Adrar. La donne n’a finalement pas tant changé dans les pays européens de grande consommation énergétique. Leurs modèles ont été travaillés dans la durée par la crise économique et la montée en puissance de l’efficacité énergétique. Là où déboule une nouvelle donnée, c’est dans le plus grand pays futur émetteur d’électricité verte dans le projet Desertec : l’Algérie.
Pour faire court, entre 2009 et 2014, l’Algérie est devenue un producteur d’hydrocarbures en crise : totalement incertain de soutenir son modèle actuel de consommation énergétique au-delà de 10 ans. En 2020, l’Algérie ne pourra pas exporter plus de 25 milliards de m3 de gaz naturel (elle en a exporté à peine 52 en 2013) si elle doit faire face à la demande électrique domestique prévue par la commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG). En 2030, il faudrait 85 milliards de m3 de gaz naturel pour faire face à l’appel de 150 tetrawatts par la seule génération électrique dans le pays.
L’Algérie n’est pas, en l’état actuel du renouvellement des réserves, certaines de les avoir. En un mot, l’Algérie est clairement sur le sentier d’un déficit en énergie primaire pour produire l’électricité pour ses besoins domestiques quelque part entre 2020 et 2030. Un expert allemand, agacé par des références au maintien «ambigu» de l’électro-nucléaire dans le mix énergétique de son pays, a lâché à Adrar : «Nous pouvons couper le nucléaire dès ce soir, il ne se passera rien». Avec 32% d’énergie électrique de source renouvelable, l’Allemagne qui a engagé sa transition il y a vingt ans est en fait déjà sortie structurellement du nucléaire.
Ses industriels intègrent la contrainte climatique qui va rendre de plus en plus pénalisant le recours aux sources fossiles, par ailleurs de plus en plus chères à extraire des sols, des océans et de la banquise. Ils pensent donc dans le cadre de Desertec II que les sources qui ne réchauffent pas le climat ont un avenir évident. En fait, elles sont déjà économiquement performantes. Il arrive, en Allemagne, que les seules sources renouvelables atteignent, en été, des pics de production de 50 gigawatts sur le réseau. La production algérienne totale est de 14 gigawatts. Le débat a donc changé. Il n’est plus celui de l’opportunité économique de produire du renouvelable ou pas pour le compte d’autrui, mais simplement de l’urgence de parer à une insécurité énergétique montante. Non pas en Europe mais en Algérie.
En théorie, le gouvernement algérien a bien conscience qu’il doit consacrer la part du lion au renouvelable dans le futur mix énergétique national : Il a prévu de produire 22 gigawatts d’électricité verte en 2030 soit 40%, pas moins, de l’offre globale d’électricité domestique. 10 gigawatts seront même dédiés à l’exportation. C’est une bonne prévision. L’Algérie aura vraisemblablement besoin d’un tel niveau de production d’électricité verte, essentiellement solaire bien sûr, à cet horizon de 2030. Mais, en ce mois de janvier 2014, le ministère de l’Energie n’en prend pas du tout le chemin.
La mise en œuvre du plan national pour les énergies renouvelables, adopté en décembre 2011, avance à l’allure inverse de la déplétion dramatique de Hassi R’mel ces deux dernières années. C’est-à-dire à l’allure de ceux qui n’y croient pas vraiment. La part du renouvelable dans la production électrique algérienne est inférieure à 0,1% à fin 2013. La prochaine unité à entrer en production — fin avril prochain ? — se trouve justement à Adrar. Une ferme éolienne expérimentale de 10 mégawatts de puissance. C’est bien sûr indigent d’en être là en 2014, compte tenu des possibilités éoliennes du territoire, constatés d’ailleurs sur place par les experts allemands. Rouiba Eclairage, usine de production de panneaux solaires, s’est enlisée dans un appel d’offres à rebondissements.
La centrale hybride solaire-gaz de Hassi R’mel reste orpheline dans la filière du CSP (solaire concentré), plus de 30 mois après son inauguration. Le ministère de l’Energie et des mines n’a envoyé personne de son siège à la conférence d’Adrar. Il semblerait que la priorité de la semaine ait été donnée à une réunion «confidentielle» qui devait arrêter les sites des futures centrales électronucléaires algériennes.
Article publié dans le quotidien El Watan