Environ 100 000 personnes au moins ont exprimé leur rejet d’un intérim constitutionnel avec le personnel des années Bouteflika. Le message est clair. Chantonnant. Oranais.
Oran a gardé une mimique espagnole. On y déjeune tard. Surtout un vendredi. Les manifestations y débutent donc vraiment après 14 heures. Même les prieurs du vendredi peuvent remonter déposer leur tapis d’Essalet et grignoter quelque chose avant de redescendre occuper la rue. A Gambetta, les premiers groupes de marcheurs dévalent par essaims sur le Grand Rond Point Zabana qui constitue le mi-parcours du circuit hebdomadaire : Place d’armes Wilaya via Larbi Ben Mhidi et retour par le front de mer. Le BMS pluie a été repoussé par le vent versl’intérieur des terres. Les oranais n’en ont cure. Ils ont pris leurs habitudes du vendredi. Et ils ne sont pas prêts d’y renoncer. « Jusqu’à ce qu’ils dégagent tous » dis en rouge vif le panneau d’une jeune fille aux grosses lunettes de soleil. Tous ? A hauteur de la cinémathèque, un carré d’un millier de personne insiste sur les 3 B. Des dizaines d’affichettes, soigneusement imprimées, barrent en rouge les photos de Bensalah, Belaiz et Bedoui. Le dégagisme de la rue oranaise s’est occupé d’eux ce vendredi. Sous toutes les couleurs. A l’impossible nul n’est tenu. Les oranais ont le sens de la tactique. Un jeune monsieur entend fuser le nom de Gaïd Salah, se retourne « lui on s’en occupe plus tard. On a besoin de lui maintenant pour démanteler la bande mafieuse des Bouteflika ». Il n’est pas seul à le penser. Le peuple n’en a pas fini avec « Al 3issaba », la bande. Pas dupe pour autant. Prés de l’ex place de la Victoire, non loin du siège de la très active ligue des droits de l’homme de Kaddour Chouicha, un manifestant, la quarantaine en bandoulière a tout dit sur son panneau « L’article 102 pour sauver le système, le peuple pour sauver le pays ». Moins allégorique une affiche en arabe interpelle El Gaïd « si tu es Mouslih (bienfaiteur) cède le pouvoir au peuple ». L’affiche voisine suggère au chef d’Etat major de démissionner pour montrer le chemin. Dans le style débonnaire d’un après midi de week end oranais. Sans hargne et sans concession.
Les femmes et l’autogestion
Au bout d’un après midi de déambulation sur le parcours hebdomadaire des oranais tombent les premiers constats. Les femmes sont proportionnellement plus nombreuses qu’à Alger. De toutes les générations. De tous les attributs vestimentaires. Elles inondent totalement le décor urbain de la marche. Sur les balcons et les terrasses aussi. Oran ville moins hostiles aux femmes qu’Alger est un cliché pour certaines féministes. Ce vendredi 5 avril, « le cliché » s’est bien défendu. Pas un pas de travers du mascisme ambiant. Les femmes, en mode conquête. Une d’entre elle porte une affichette discrète qui dit « non, non et non aux violences faites aux femmes et aux enfants ». Pour la photo, la femme en hidjab qui la porte se cache derrière son slogan. La Révolution libère les mœurs. A l’allure quelle peut. Si l’ambiance à Oran est encore plus harmonieuse qu’à Alger, c’est sans doute parce que les femmes y sont encore plus dense dans les cortèges, c’est sur. Mais pas seulement. Ce vendredi après midi, il n’y avait aucun policier visible sur plus de 4 km de parcours de manifestation. La Révolution en mode autogestion. Marcher sans le spectre d’un orage lacrymal sur la tête diffuse des ondes positives sous les drapeaux au vent. Les oranais ont largement fait la preuve ce vendredi qu’ils sont sur la première ligne de front des valeurs du 22 février : unité, pacifisme, mixité, bonne humeur. Ils ont dit qu’ils reviendraient vendredi prochain. « Tant que le système est là » Marcher à Oran ? On a tous envie d’y revenir.