Près de 20 jours après avoir remporté le prestigieux prix Goncourt 2024 pour son roman « Houris », Kamel Daoud se retrouve plongé au cœur d’une polémique qui prend une ampleur inattendue en Algérie.
Accusée par Saada Arbane, une rescapée du terrorisme, de s’être inspiré de sa propre histoire pour écrire son roman, l’écrivain franco-algérien fait face à une plainte judiciaire qui pourrait transformer sa consécration en un scandale retentissant. Saada Arbane, qui a survécu à un massacre pendant les années 1990 en Algérie, accuse Kamel Daoud d’avoir exploité son drame personnel pour créer le personnage principal de Houris.
Selon Arbane, l’auteur aurait repris les détails de son histoire, qu’elle avait partagés en toute confiance avec l’épouse de l’écrivain, une psychiatre, violant ainsi le secret médical. Dans son témoignage publié sur la chaîne One TV, elle décrit des similitudes frappantes entre son vécu et l’histoire du personnage principal de Houris.
Cette plainte, qui dénonce l’exploitation illégale de sa tragédie, a rapidement enflammé les réseaux sociaux, où de nombreux internautes ont exprimé leur colère, certains allant jusqu’à exiger le retrait du prix Goncourt attribué à Daoud.
Face à ces accusations, la maison d’édition Gallimard, qui a publié Houris, a réagi en qualifiant les critiques de « campagnes diffamatoires ». Antoine Gallimard, l’éditeur de Kamel Daoud, a précisé que bien que Houris soit inspiré de faits réels liés à la guerre civile algérienne, les personnages et l’intrigue sont totalement fictifs. Daoud lui-même a admis, dans diverses interviews, qu’il s’était inspiré d’éléments réels pour écrire son roman, mais toujours dans un cadre fictionnel.
Malgré cette défense, l’affaire a pris une tournure politique, certains de ses détracteurs en Algérie l’accusant de « traitrise » et de converger avec des idéologies qui déplaisent au pouvoir algérien. Son œuvre, et surtout ses prises de position publiques sur des sujets tels que l’islamisme, la Palestine et la place des femmes dans la société, l’ont placé au centre d’un débat où la politique et la littérature se mêlent inextricablement.
Le scandale n’a pas seulement été alimenté par les accusations d’appropriation de tragédie, mais aussi par l’hostilité croissante envers l’écrivain en Algérie. En plus de la plainte de Saada Arbane, de nombreux Algériens ont exprimé leur mécontentement à l’égard de Kamel Daoud, certains accusant l’écrivain de « violence morale » envers les victimes du terrorisme et de manquer de respect envers les souffrances vécues pendant la décennie noire. Les critiques envers Daoud ont atteint un tel niveau de virulence que certains ont appelé à ce que le prix Goncourt lui soit retiré, demandant une sanction à la fois littéraire et professionnelle pour lui et sa femme.
Dans ce contexte de tensions, la polémique autour de Kamel Daoud soulève des questions fondamentales sur les frontières de la liberté littéraire et le rôle de l’écrivain dans une société marquée par des cicatrices profondes. Le silence de l’écrivain, qui semble éviter de répondre directement aux accusations, alimente encore l’incertitude autour de cette affaire.
Tandis que certains dénoncent la violence du débat, comme le professeur Ali Bensaad ou le journaliste Arezki Ait Larbi, qui appellent à une discussion plus sereine et argumentée, d’autres estiment que l’écrivain est victime d’une « cabale » orchestrée pour discréditer son œuvre et ses prises de position. Pour de nombreux observateurs, la violence de la réaction contre Daoud témoigne de l’absence d’un espace de débat véritablement libre en Algérie.