La conférence des dynamiques de la société civile du 15 juin s’était fixée l’objectif de rassembler la classe politique autour d’une démarche consensuelle face au pouvoir. Depuis ce samedi ce projet ambitieux a pris une allure concrète. Retour sur une 1ere réunion prometteuse.
La proposition est sortie de la bouche de Me Mustapha Bouchachi durant la première heure de la réunion. La voix tonitruante de ténor concluait une intervention enlevée qui débordait déjà le temps imparti à chaque intervenant : « je propose que cet espace devienne la commission du dialogue pour faire aboutir les revendications du peuple ». Les organisateurs de cette première rencontre à près de 360 degrés des acteurs politiques de l’opposition et des personnalités indépendantes n’en espéraient pas tant.
Quelques minutes auparavant, Sofiane Djillali, président de Jil Jadid, faisait une première ouverture en proposant de fusionner les deux démarches qui opposent les deux pôles politiques constituées cet été : celui du 26 juin dit de l’alternative démocratique qui ne veut pas revenir aux présidentielles avec la même constitution ; et celui de la conférence de Ain Benian, du 06 juillet, qui fait des présidentielles (après les préalables évidents), un vote nécessaire avant les réformes constitutionnelles et institutionnelles.
Les organisateurs devront par la suite prendre la mesure de la difficulté après les interventions du représentant du RCD (député Khandak), faisant de la révision de la constitution un préalable indiscutable, de Abdellah Djaballah et surtout de Abderezak Mokri, décrivant la crise comme étant seulement celle de la fraude électorale et la démocratie comme étant d’abord la possibilité d’un vote libre et transparent.
L’intervention du porte-parole du FFS (Djilani) avait déjà, d’entrée, montré la distance à couvrir entre les démarches des deux pôles. Celle de Ramdane Taazibt du PT, favorable à l’assemblée constituante pour concrétiser les articles 7 et 8 de la Constitution, n’offrait pas non plus, à priori, une ouverture vers un rapprochement entre les deux feuilles de route sur la table.
Les garanties sur les libertés, une convergence forte
Pour autant, les motifs de satisfaction étaient nombreux à la fin de la journée. D’abord au sujet des présences. Les efforts, au cœur de l’été, de la commission de contact, issue de la conférence du 15 juin, des dynamiques de la société civile ont été récompensées. L’essentiel du spectre politique hostile à la présidence à vie de Bouteflika était autour de la table à la salle Dar El Djazair de la Safex. A telle enseigne que la présence de Kamel Guemazzi, co-fondateur de l’ex-FIS et ancien maire du grand Alger, paraissait, pour controversée qu’elle fut, ne pas faire tâche dans un décor où ce sont les rares absents qui paraissaient avoir tort.
Le RCD, Talae Al Houria de Benflis et l’UCP de Zoubida Assoul notamment, ont choisi de ne pas être représentés par leur chef de parti. Ensuite, l’émergence de lignes de convergences a été un autre motif d’espoir durant le débat. Les partis présents ont été assez proches dans leur description des préalables au dialogue. Les garanties sur les libertés exigibles avant tout dialogue se retrouveront d’ailleurs dans le communiqué final adopté en fin de séance : libération des détenus d’opinion, levée des contraintes sur les activités publiques, levée du siège d’Alger les jours de manifestation et ouverture du champ médiatique privé et public.
Au terme de ce qui a été comparé à la conférence de Mazafran de 2014, il y avait le sentiment que peu d’acteurs politiques allaient, dans les prochaines semaines, rompre le rang pour répondre en solo à l’agenda de Bensalah-Gaid Salah verrouillée sur les élections présidentielles. Enfin, la présence d’étudiants des différents collectifs de campus algérois est venue diffuser le souffle chaud du Hirak dans la salle de la Safex. Les intonations ressemblantes à celle du mouvement populaire ont été nombreuses, et pas seulement par la voix de Karim Tabou ou de Islam Benatia. La première réunion consultative regroupant partis politiques, personnalités et société civile a recherché la protection du Hirak autant qu’elle a, clairement, tenté d’en trouver la bonne traduction politique des revendications. L’idée d’un front commun politique afin de prolonger politiquement le Hirak a fait une percée à la Safex.
Le travail politique indépendant de retour
Le plus dur reste pourtant à faire après cette prise de langue, plutôt apaisée et réussie, entre les deux pôles politiques de l’opposition. La proposition d’une commission de coordination et de suivie a été adoptée dans le communiqué final. Elle sera chargée de produire un document s’appuyant sur les convergences entre les plateformes du 06 juillet (Ain Benian) et celle qui va sans doute être adoptée le 31 août courant par l’alternative démocratique. Il s’en suivra une autre rencontre de validation, afin d’opposer au régime une démarche politique la plus consensuelle possible.
Abderezak Mokri a proposé de laisser l’animation de cette commission de suivi aux seuls initiateurs de cette 1ere rencontre issue de la conférence du 15 juin des dynamiques de la société civile. Une proposition qui n’a pas convenu aux organisateurs. Il est vrai que les acteurs sociaux et syndicalistes ont convaincu tout le monde par la qualité de leur engagement en faveur d’une convergence des positions et d’une solution inclusive.
Il reste tout de même que le travail d’atelier pour créer des passerelles fonctionnelles entre partisans des présidentielles d’abord, et partisans de la réforme constitutionnelle d’abord, est voué à l’échec en l’absence des porteurs de ces projets. La question des modalités de fonctionnement de cette commission de coordination et de suivi est donc restée en suspens à la Safex. Le sentiment dominant est tout de même qu’il s’est passé quelque chose qui ressemble au début d’un processus de dialogue, propre aux acteurs du hirak, de la société civile, et de l’opposition.
Le communiqué final ne fait pas allusion au panel de Karim Younes. Mais clairement sa mission, enfermée dans l’organisation d’une élection présidentielle avec des concessions sur son organisation, paraît un peu plus dépassée après le retour en force, ce samedi 24 août, du travail politique indépendant. Un tour de force à l’actif des militants du mouvement syndical et associatif et des collectifs issus du 22 février.