Omniprésent, Abdelmalek Sellal décide à Alger, rencontre François Hollande à Paris et David Cameron à Londres. Il empiète déjà sur les plates-bandes du président de la République. Est-il sur orbite pour la présidence, alors que l’Algérie n’a pas encore soldé l’héritage des années 1990, et peine à faire une place transparente à l’argent ? Le CPP de RadioM tente de tracer des pistes.
Alors que l’Europe s’inquiète de l’évolution politique en Algérie, et se demande comment se fera la succession du président Abdelaziz Bouteflika, le premier ministre Abdelmalek Sellal acquiert une stature inattendue. Est-ce suffisant pour en faire un successeur potentiel ? Le Café presse politique (CPP) de RadioM s’est trouvé d’emblée confronté à cette question de Souhila Benali. El Kadi Ihsane observe que la fonction actuelle de M. Sellal lui donne, en tous les cas, « une visibilité » évidente, d’autant plus qu’il rencontre des dirigeants qui comptent, comme François Hollande ou David Cameron.
Saïd Djaafar estime que M. Sellal est « candidat présidentiel par défaut ». Abed Charef note que le Premier Ministre commence à prendre des décisions en son nom, alors qu’il se contentait jusque-là d’appliquer « les orientations de son Excellence le président de la république », selon la formule consacrée. Pour lui, Sellal se place sur la ligne de départ, d’autant plus qu’avec le quatrième mandat, l’Algérie « est prête à tout avaler ».
Abdelkrim Ghezali considère quant à lui que la succession « dépendra de l’évolution des prix du pétrole et de l’évolution de la situation socio-économique », mais il relève que Sellal exerce « de fait une partie des fonctions du président de la république ». Abed Charef relativise en faisant remarquer que Abdelmalek Sellal ne décide pas pour de nombreux secteurs, comme l’armée, la sécurité et la diplomatie.
Le poids de l’argent
Dans le même sens, Khaled Drareni rappelle que M. Sellal avait déclaré aux policiers, lors de leur mouvement de protestation en octobre, qu’il était prêt à répondre à leurs doléances sociales, mais que la question du directeur de la police le dépassait. Il se demande si M. Sellal n’exerce pas de fait des fonctions de vice-président, un poste longtemps suggéré mais jamais consacré dans la Constitution.
Qui empêcherait Sellal de succéder au président Bouteflika ? D’abord, le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, qui l’a déjà contré une première fois, rappelle El Kadi Ihsane. Abed Charef ajoute « ceux qui veulent être président », mais surtout ceux qui font la décision. Mais en fait, « qui prend la décision ? », se demande-t-il. Saïd Djaafar souligne un « défaut d’hégémonie » au sommet, où « aucune partie n’est en mesure d’imposer ses choix ». Il cite Gramsci pour définir la crise: « l’ancien se meurt, et le nouveau tarde à naitre ». Cet émiettement inquiète Abdelkrim Ghezali, qui y voit « un risque de déchirement au sommet, avec un prolongement dans la société ».
Et le pouvoir de l’argent, demande Souhila Benali, peut-il se transformer en pouvoir politique? Quel rôle pour un patron comme Issaad Rebrab, et quel impact peut avoir son succès économique ? Saïd Djaafar rappelle que Rebrab « n’est pas autonome, il est impliqué dans le pouvoir ». Pour lui, il y a « une imbrication entre le pouvoir et l’argent ». Abdelkrim Ghezali estime que Rebrab « représente une aile du secteur privé ; il n’est pas totalement d’accord avec Bouteflika, mais il n’est pas dans l’opposition ».
Positionnement délicat
« Rebrab a toujours eu des rapports conflictuels avec le pouvoir », affirme Khaled Drareni. « Faux », répond Abed Charef, « c’est la com. de Rebrab » qui donne cette image. Il juge « la com. du patronat très efficace ». Kadi Ihsane affirme que le président Bouteflika a toujours refusé d’inclure Rebrab dans ses réseaux, parce qu’il avait émergé avant son accession au pouvoir. « Le gouvernement devrait faire de Rebrab un étendard et revendiquer ses succès, et se les approprier à l’international », ajoute El Kadi Ihsane.
Il souligne aussi que « le débat n’est plus de savoir si Rebrab a bénéficié d’avantages de la part du pouvoir. Ceci est dépassé ». Dans le même sens, Saïd Djaafar affirme que Haddad et Rebrab « constituent une possibilité d’évolution du régime ». Il relève « qu’on en parle beaucoup, mais pas assez des classes populaires. Ils sont très présents dans les médias, et ils imposent leur thématique ».
Par ailleurs, la succession du président Bouteflika est aussi tributaire de l’héritage des années 1990. Souhila Benali rappelle une rencontre tenue en été et révélée cette semaine par les anciens de l’AIS, la marche des gardes communaux. Pour El Kadi Ihsane, les années 1990 constituent « la clé du blocage en Algérie ». Il y a les disparus, et les responsables sont encore en vie, parfois en exercice. Il estime que l’Algérie ne peut avancer sans résoudre cette question. Il cite le modèle sud-africain, qui a permis de dépasser le traumatisme.
L’islamisme et le business halal
Abed Charef estime qu’il y a d’autres modèles que celui, sud-africain, porté par Nelson Mandela. Le modèle Bouteflika et le modèle chilien peuvent réussir. « Si la société n’est pas en mesure d’assumer, l’amnésie peut être nécessaire », dit-il. Par contre, « les années 1990 ne bloquent pas l’évolution, elles servent seulement de prétexte pour justifier le blocage », estime-t-il. Pour lui, aucun président n’a intérêt à rouvrir ce dossier à l’avenir.
Saïd Djaafar rappelle toutefois que dans le système algérien, « une culture lourde du système veut que la seule garantie (pour un responsable), c’est de rester au pouvoir ». A cela s’ajoute la peur de la justice internationale, rappelle El Kadi Ihsane. Mais pour Abdelkrim Ghezali, l’irruption de l’AIS dans le débat montre que le « tekhlat » a commencé. « On sort des épouvantails dans la perspective où la donne économique et sociale se détériore ».
Est-ce le signe d’un retour en puissance de l’islamisme politique ? Pour Abed Charef, l’islamisme type Ali Belhadj est dépassé. Pour le moment, l’islamisme « c’est le business halal », même si la situation peut se retourner. Kadi Ihsane rappelle que « le salafisme a perdu la batailles des années 1990. Il a été défait militairement et politiquement, mais il a gagné sur le plan sociétal ». Pour lui, Madani Mezrag « n’a pas d’avenir politique ». Saïd Djaafar estime que Mezrag ne représente pas le FIS, c’est plutôt Ali Belhadj qui en serait le représentant.
Quel islamisme politique souhaite le pouvoir ? Celui de Madani Mezrag, autorisé à tenir une « université d’été » ? demande Souhila Benali ? Non, celui de Amar Ghoul, répond El Kadi Ihsane. Saïd Djaafar rappelle qu’en Algérie, le pouvoir veut choisir son opposition et ses interlocuteurs. « Toute la société baigne dans la course à l’argent, l’islamisme n’y échappe pas », dit-il.
Extraits vidéos : http://bit.ly/1yH4cI5