Dominique Mangin d’Ouince, directeur exécutif pour l’Europe centrale, la Méditerranée et le Moyen-Orient de Suez Environnement, ne cache pas les ambitions de son groupe dans le secteur de la gestion des déchets ménagers et industriels en Algérie.
«Nous pourrions travailler en appui aux EPIC qui gèrent la collecte des déchets municipaux des villes telles qu’Alger, Oran ou Constantine…. ,» a déclaré récemment le responsable du groupe français au magazine El Djazaircom. Suez Environnement veut s’appuyer sur son expérience réussie, de la modernisation de la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (SEAAL) à travers un contrat de gestion déléguée dans le domaine de la distribution de l’eau. Selon un cadre du premier ministère, il semble que le partenariat solide établi entre la multinationale française et le ministère des Ressources en Eaux, initié du temps de l’actuel premier ministre, Abbdelmalek Sellal, et les contres performances du secteur de la gestion des déchets, toutes catégories confondues, ont convaincu en haut lieu de « l’urgence d’assainir un secteur porteur de dangers potentiels. « Le secteur collectionne les échecs malgré les moyens importants mis en place,» ajoute notre source.
Les démarches sont à un stade avancé
Le responsable de Suez Environnement a révélé que ses services ont rencontré à plusieurs reprises la ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Dalila Boudjemaa, et le wali d’Alger. « Nous avons proposé d’apporter notre expérience dans ce domaine et nous sommes confiants dans la réussite d’un tel partenariat, forts de notre expérience exemplaire avec la SEAAL. Nous sommes en mesure d’apporter notre expérience en recyclage et en gestion des décharges et, comme nous le faisons avec les pays voisins, en traitements des déchets industriels, » a-t-il ajouté.
Dans la gestion des déchets ménagers, l’option de recourir au partenariat n’est pas nouvelle. Lors de son court passage dans le secteur de l’Environnement, Amara Benyounes, avait publiquement défendu l’option de concéder la gestion du nouveau Centre d’enfouissement technique (CET) de Hamici à une firme étrangère ayant des références dans le domaine. Le ministre s’était appuyé sur l’expérience catastrophique du CET de Ouled Fayet, géré par Netcom. Mais la wilaya d’Alger a apposé son véto et a préféré recourir à la création d’un nouvel EPIC sous sa tutelle, GECETAL. Une chose est sûre, la récente fermeture du CET de Corso par les citoyens excédés par les désagréments qu’ils subissent quotidiennement depuis son ouverture, ne plaident pas en faveur des choix présents des responsables de l’environnement.
La bombe des déchets industriels et déchets dangereux
Concernant la gestion des déchets industriels et spéciaux, l’état des lieux n’est guerre meilleur. En 2013, l’Agence nationale de balayage des décharges des déchets spéciaux, a recensé 2,5 millions de tonnes de déchets entassés et non traités (parmi lesquels 1,1 millions pour les régions de l’Est, 378.000 pour le Centre et 500.000 pour l’Ouest) dont plus de 15 000 tonnes de produits pharmaceutiques avariés. L’agence note qu’en plus des médicaments périmés, ces déchets sont constitués d’énormes quantités d’amiante et de pesticides.
Dans un entretien à l’APS en octobre 2103, la ministre de l’Environnement avait souligné la nécessité d’éliminer les déchets industriels et durs restés stockés depuis des années, et qui représentent un danger pour l’environnement et la santé des citoyens. Elle a indiqué que « 1200 types de pesticides stockés dans la région de Laghouat ont été éliminés pour assainir le site » ainsi que 500.000 tonnes de substances de zinc dans la région de Ghazaouet. Mais cela reste une goutte d’eau dans la mer, selon un spécialiste qui précise que les wilayate d’Alger, de Annaba, Skikda, Tlemcen, Bejaia, Bordj Bou Arreridj et Oran « produisent » à elles seules, annuellement, 282.800 tonnes de déchets industriels.
Le drame des victimes de l’amiante…
Sur la question de l’amiante, substance hautement cancérigène, la situation est plus dramatique. L’interdiction de l’utilisation de ce matériau n’a pas toujours été suivie du nécessaire traitement (confinement et désamiantage) des sites pollués. Dans ce contexte les sites de production d’amiante-ciment de Gue de Constantine et de Bordj Bou Arreridj qui ont été fermés en 2006 et 2007 attendent toujours d’être traités.
L’usine d’amiante de Bordj Bou Arréridj a été mise en service en 1976 et fermée en 2007. Pour les spécialistes, mais aussi pour quelques anciens ouvriers de l’usine qui se sont constitués en comité, le problème ne réside pas seulement dans les 40.000 tonnes de déchets comportant entre 8 et 15% d’amiante, stockés à l’intérieur de l’usine et qui attendent d’être confinés sur place. « Il y a des milliers de tonnes enfouis et jetés dans la nature et en dehors de l’unité. Il n’ ya même pas une cartographie précise pour les tonnes d’amiante enterrées, c’est un vrai un danger pour les générations futures, » s’alarme notre source.
Les riverains du site et les victimes de l’amiante réclament et attendent une dépollution qui ne vient pas. Pour eux, les 20 hectares de l’usine sont pollués en profondeur, c’est à dire jusqu’à vingt mètres sous terre. Sur les 350 ouvriers qui travaillaient dans cette usine, vingt sont morts d’un cancer, et une grande partie des employés lutte contre cette maladie ou des complications pulmonaires, ajoutent-ils.
…dont celui des sinistrés du séisme de Chlef
Un autre cas dramatique est celui des 18.000 familles sinistrées du séisme de Chlef de 1980 et qui habitent depuis, dans des bidonvilles fabriqués avec des matériaux composés d’amiante. L’activisme des associations et les nombreuses émeutes des jeunes n’ont rien pu faire et de nombreux cas de cancer y ont également été enregistrés.
Avant l’interdiction de l’amiante en 2005, plusieurs habitations et installations industrielles ont été construites à l’aide de ce matériau. Il s’agit donc d’enlever les installations et de procéder au traitement. Soit par l’enfouissement dans un centre spécialisé, comme dans le site de Bir Al Ater pour les déchets dangereux, un projet non encore opérationnel. Soit en les expédiant l’étranger, avec le coût que cela implique. Selon la filiale algérienne de la société française spécialisée Isotec, une tonne à traiter et transférée d’Algérie vers la France par exemple coûte 3800 euros.
Le manque de visibilité du combat des associations et des militants écologistes a jusque là épargné les responsables d’un secteur hautement sensible pour la vie du citoyen. Mais la « préférence nationale » pour la gestion des déchets semble avoir atteint ses limites.