Quelles sont les raisons qui sont derrière les déficits enregistrés depuis plusieurs années de la Caisse Nationale des retraites (CNR)?
Tout le monde s’accorde à dire que le système de retraite actuel et son fonctionnement doivent être fondamentalement revus. Mais les différentes parties ne s’accordent pas sur les raisons qui ont mené le système actuel vers les difficultés qu’il connaît aujourd’hui.
Pour les autorités, à travers l’actuel ministre du travail, Tidjani Heddam, « le système national de retraite connait depuis des années des difficultés financières graves (…) Cette situation rend nécessaire des réformes à moyen et long terme, afin de sauvegarder les équilibres financiers du système et assurer la pérennité des prestations au profit des futures générations ».
Pour le DG de la CNR, M. Mellouka, la situation que connait le système de retraite serait « essentiellement due à la croissance modérée des recettes de cotisations, notamment entre 2015 et 2018, avec un taux de couverture des dépenses par les recettes qui est passé de 81% en 2014 à 56% en 2018 ».
Selon lui, ce qui a provoqué ce déséquilibre seraient « la revalorisation annuelle des avantages de retraite, les augmentations salariales substantielles de 2012, avec des effets rétroactifs allants jusqu’à 5 ans et l’augmentation massive des départs en retraite avant l’âge légal ».
Les autres raisons du déficit de la CNR
Mais cet avis n’est pas partagé par certains acteurs du secteur. Dans un entretien accordé à la radio chaine 3, Mr Bouderba, ancien membre du conseil d’administration de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNAS) et expert des affaires sociales, souligne la possibilité de pérenniser le système algérien. Il a rappelé les spécificités du contexte algérien, qui est complètement différent du contexte européen, cité souvent en référence par les personnes en charge de la gestion du secteur des retraites.
La population algérienne ne compte que 9% de personnes âgées de plus de 60 ans alors que cette proportion est de 25 à 30% en Europe. L’Algérie compte une personne de plus de 60 ans pour 9 personnes en âge de travailler, alors que ce rapport n’est que de 1 pour 2 en France. Il ne faut pas plus de 3,5 cotisants pour un retraité pour pouvoir équilibrer les caisses de retraite, alors qu’il est seulement de 1,8 actuellement.
En termes de PIB, la comparaison est également nettement en faveur de l’Algérie. Les dépenses de retraites ne représentent que 6% du PIB alors qu’elles dépassent les 20% en France.
Si Bouderba partage absolument le point de vue du DG de la CNR quand à la faiblesse des recettes, et ce serait d’ailleurs de la responsabilité de la caisse, les chiffres qu’il donne vont au-delà du simple constat d’insuffisance des recettes.
Il révèle que selon les données de l’Office National des Statistiques (ONS), la masse salariale en 2018 est estimée à 5 300 milliards de DA. Les cotisations des caisses de sécurité sociale devraient être de 1 825 milliards de DA. Si on soustrait de cette somme les cotisations de la caisse militaire et celle des cadres supérieurs de l’état, il restera 1 600 milliards de dinars.
En réalité, les recettes réelles des caisses ne sont que de 1000 milliards de DA. Les 600 milliards de DA sont des sommes non recouvrées par les caisses de sécurité sociale, équivalentes au déficit actuel de la CNR.
Le même ONS, dans l’enquête la plus complète jamais réalisée en Algérie, estime l’évasion sociale à plus de 45%. Plus de 4 millions de travailleurs du secteur informel ne seraient pas déclarés. Alors que le secteur formel privé ne déclarerait pas 70% de ses emplois, entre salariés et non salariés. Ce chiffre s’aggrave pour la tranche d’âge 16-25 ans, puisqu’il dépasse les 88%, soit 9 sur 10 employés ne sont pas déclarés. A cette évasion fiscale, vient s’ajouter la faiblesse du recouvrement des personnes déclarées.
La CNR détiendrait des créances pour plus de 400 milliards de DA sur des employeurs qui déclarent leurs employés. Même les formules de pré emploi et d’aide à l’insertion professionnelle ne cotisent pas à la retraite. Leurs cotisations ne concernent que la couverture sanitaire.
Ce qui a aggravé le déficit de la CNR
Selon M. Bouderba, d’autres raisons historiques viennent s’ajouter à la faiblesse du recouvrement. Après avoir rappelé que la loi instaurant le départ en retraite anticipé date de 1997, la CNR ne souffrait d’aucun déséquilibre jusqu’en 2012. Alors qu’on ne comptait pas plus de 27 000 départs par année, ce chiffre est passé en 2012 à plus 60 000.
Ce qu’on n’oublie de dire c’est que 40 000 parmi eux sont des gardes communaux mobilisés dans le cadre de la lutte anti-terroriste, indument imputés à la CNR. En 2013, une circulaire de Sellal, Premier ministre à l’époque, envoie plus de 35 000 fonctionnaires âgés de plus de 60 ans en retraite.
Quant aux départs en retraite anticipée, M. Bouderba rappelle que leur nombre était annuellement de 17 000 entre 2000 et 2011, pour passer à 35 000 entre 2011 et 2015 et exploser en 2016 pour atteindre les 270 000, en conséquence à la suppression de la retraite anticipée.
Pour défendre cette nouvelle loi, M. Ghazi, ministre du travail de l’époque, promettait que grâce à cette loi, la CNR atteindrait son équilibre à l’horizon 2019-2020. Jamais son déficit n’a été aussi important.
Ainsi l’argent déboursé par le Trésor pour soutenir le paiement des retraites ne serait d’une part, qu’un remboursement de sommes indument prélevées par l’état pour financer des dépenses qui ne sont pas à la charge des caisses de sécurité sociale et d’autre part une contribution normale. Si on reprend l’exemple de la France, les cotisations pour financer les retraites ne couvrent que 55% du total des retraites versées. La différence est financée par le Trésor public.
La réforme du système est inéluctable.
Selon l’expert, si on doit nécessairement réformer le système des retraites, on doit commencer par rendre aux principaux concernés des comptes sur l’utilisation actuelle des sommes recouvrées. Alors que la loi y oblige, la CNR n’a jamais rendu public ses comptes.
On doit aussi démocratiser le fonctionnement des caisses de retraite en admettant de nouveaux membres au sein de leurs conseils de direction représentants de tous les syndicats et les associations des malades. L’amélioration de la gestion des caisses devrait également être améliorée, puisque celle-ci coûte plus de 15% des cotisations recouvrées, par l’informatisation qui introduira plus de rationalité et plus de transparence. Pour être réussie, une réforme du système de retraites doit nécessairement passer par un débat national mené avec toutes les parties concernées et mises en application par un gouvernement ne souffrant d’aucun manque de légitimité.
Abdenour Haouati