La semaine 49 a confirmé la solide résistance du mouvement populaire en dépit d’un reflux dans certaines wilayas du pays. Nouveau moteur de la mobilisation, les promesses non tenues de Tebboune au cœur des supputations.
Le spectre de Ahmed Gaïd Salah continue-t-il de diriger l’Algérie un mois après la brutale disparition du général de corps d’armée qui s’était emparé du pouvoir après la chute de Bouteflika ? Tout semble l’indiquer à la fin d’une 5e semaine d’exercice de la présidence de la république par Abdelmadjid Tebboune sans la moindre inflexion de la pratique « politique » de l’ère de feu le puissant chef d’Etat-majeur de l’armée.
Prolongation du mandat de dépôt de Karim Tabbou, refus de l’attribution d’une salle publique pour la tenue des assises nationales du PAD, poursuite des interpellations et des présentations devant le procureur des citoyens qui manifestent, intimidation et convocation judiciaires de journalistes, renforcement de la répression du Hirak à l’intérieur du pays et réduction des espaces pour manifester dans la capitale : l’après Gaïd Salah ressemble comme deux gouttes d’eau à l’avant son décès. Pourtant Abdelmadjid Tebboune ne cesse de répéter à ses hôtes d’El Mouradia, médias compris, que sa volonté politique est de satisfaire les revendications du Hirak qui ne l’ont pas encore été. Le compte est loin.
L’incapacité du nouveau locataire de la présidence à traduire en faits concrets l’ombre d’un prélude à ses promesses d’ouverture vers le mouvement populaire suscite de grandes inquiétudes. Tout le monde sait qu’il a été désigné par l’Etat-major pour occuper cette fonction. Mais la tradition du système veut que le président de la République, dans l’intérêt même de ceux qui l’auront coopté, ne soit pas aussi grossièrement démenti quotidiennement par des décisions à l’opposé de ses déclarations d’intention. Abdemadjid Tebboune est politiquement paralysé. Il met dans l’embarras ceux qui, parfois de bonne foi, ont voulu lui donner le bénéfice du doute, comme Sofiane Djillali. Il multiplie les erreurs de communication, la dernière étant celle du plaidoyer en faveur du gaz de schiste, et devient désormais un moteur de la mobilisation du mouvement populaire comme lors de ce 49 e vendredi. Peut-il encore se rebeller contre cette incapacité que lui inflige l’autorité informelle qui tient le pouvoir dans le pays depuis le début du mouvement populaire ?
Un appareil sécuritaire autonome de Tebboune
Le tableau est simple. Le dispositif sécuritaire mis en place et consolidé par Ahmed Gaïd Salah continue de décider en mode autonome, sur l’élan inertiel de l’empreinte laissée par le chef d’Etat-major disparu le 23 décembre dernier. Conséquence, tout l’appareil directement en contact avec le mouvement populaire n’obéit quasi exclusivement qu’aux injonctions de la police politique ; les services de sécurité de l’armée. Chefs de sûreté de wilayas, commandants régionaux de la gendarmerie, juges et procureurs sécuritaires, directeurs de la réglementation dans les wilayas, tout ce qui peut par son autorité formelle infléchir dans un sens de détente la relation du pouvoir « nouveau » avec le Hirak, subit une pression unilatérale des services de sécurité de l’armée pour poursuivra la feuille de route laissée par le défunt homme fort de l’armée. Celle qui prévoit de disperser le Hirak après le comblement du vide institutionnel à El Mouradia le 12 décembre dernier.
Les remontées d’information se multiplient à Alger et dans les wilayas, au sujet des interventions pressantes des éléments de la sécurité de l’armée pour renforcer la pression sur les activistes du Hirak, réduire les espaces, poursuivre les arrestations, empêcher les libérations.
Leur influence bloque les nominations non adoubées à la tête des médias publics, provoque quotidiennement des crises à huis clos avec des membres du gouvernement, et commence à rendre le climat délétère dans l’entourage de Abdelmadjid Tebboune, très loin d’incarner l’esquisse d’un quart de président, par allusion « aux trois quarts de président » déplorés en décembre 1999 par Abdelaziz Bouteflika lorsqu’il était empêché de former « son » premier gouvernement comme il l’entendait.
Changer les sécuritaires ou les coiffer ?
Le recoupement de ces informations ne permet pas d’épiloguer sur la question de savoir si cette feuille de route dure anti-hirak est celle des sécuritaires nommés par Gaïd Salah ou si elle est partagée par son successeur à la tête de l’Etat Major, le général Major Saïd Chengriha. Deux dirigeants des services paraissent entretenir avec un zèle remarqué la ligne hostile au dialogue et au règlement politique : le général Major Mohamed Kaidi qui dirige la sécurité centrale de l’armée depuis avril 2019 succédant à Bachir Tertag, et le général Wassini Bouazza en charge de la direction de la sécurité intérieur (contre espionnage), en réalité la police politique dans son acception la plus classique dans un pays comme l’Algérie. Des observateurs se posent également la question de savoir si cet entêtement à saborder les velléités de dialogue et d’ouverture qu’exprime, certes timidement, Abdelmadjid Tebboune, en poussant l’appareil sécuritaire, judiciaire, et administratif en sens inverse, n’est pas également lié à l’épisode confus sur le choix du candidat de l’armée en plein « campagne » électorale pour les présidentielles du 12 décembre. Tout le monde se souvient qu’une option Azzedine Mihoubi, candidat préféré du système, a émergé la deuxième moitié du mois de novembre dernier, soutenue par des centres occultes dans l’armée. Mohamed Kaidi et Wassini Bouazza ont été pointés du regard au moment des comptes. Ils pourraient bien ne pas avoir partagé avec leur chef Ahmed Gaïd Salah, le choix de son ami personnel Abdelmadjid Tebboune. La finalité est cependant la même. Les héritiers sécuritaires de l’ancien chef d’Etat major ne rament pas dans la même direction que le palais d’El Mouradia. Dans une telle situation Abdelmadjid Tebboune a deux options. Opérer à des changements à la tête de l’ANP dans un délai rapide afin de rétablir une correspondance entre son discours politique d’apaisement et les mesures sécuritaires et pratiques sur le terrain. Il est peu probable qu’il puisse le faire dans la situation de grand isolement dans laquelle il se trouve. La seconde option qui s’ouvre à lui est de construire auprès de lui à la présidence, un centre de coordination sécuritaire qui coiffe les services aujourd’hui récupérés par l’Etat Major de l’armée sous l’impulsion de Ahmed Gaïd Salah. Chadli Bendjedid avec Larbi Belkheir, Lamine Zeroual avec Mohamed Betchine, et les frères Bouteflika de la fin avec Bachir Tertag, ont tous fait la même chose. Il faudrait pour cela disposer, d’une façon ou d’une autre, d’un minimum d’autorité sur l’armée. Ce dont Abdelmadjid Tebboune paraît totalement dépourvu. Sa paralysie politique risque bien de s’éterniser. Ses vœux de « réaliser » les revendications non encore concrétisées du Hirak ressemblent de plus en plus à une « mauvaise blague » qui, déjà, irritent des Algériens qui avaient levé le pied ces dernières semaines. « Je suis revenu dans le Hirak cette semaine à cause de Tebboune » a t’on pu souvent entendre vendredi dernier.