Tunisie - L'EI frappe Ben Guerdane pour déséquilibrer la carte géopolitique de la région (analyse) - Maghreb Emergent

Tunisie – L’EI frappe Ben Guerdane pour déséquilibrer la carte géopolitique de la région (analyse)

Facebook
Twitter

Quarante-neuf terroristes ont été abattus et au moins huit autres capturés par les forces de sécurité tunisiennes à la suite d’une attaque terroriste de grande envergure lancée lundi à Ben Guerdane (sud-est tunisien), non loin de la frontière libyenne. Douze agents de sécurité, dont des policiers, des gardes nationaux, des douaniers et des militaires, ont été tués dans les affrontements et sept civils ont péri sous les feux croisés, selon un bilan officiel et définitif annoncé par le Premier ministre tunisien, Habib Essid.

L’attaque contre Ben Guerdane est considérée par certains observateurs comme la menace la plus grave à la sécurité nationale tunisienne depuis le “printemps arabe” de Tunisie en janvier 2011.
“Les terroristes sont sortis de la mosquée Jallel [de Ben Guerdane] et ont pris pour cibles la caserne militaire et les districts de la police et de la garde nationale situés à proximité, dont ils voulaient prendre le contrôle”, a déclaré M. Essid aux médias.
“La réaction des forces de sécurité a été forte et rapide”, a-t-il indiqué, avant d’insister sur le fait que “l’opération a été réussie dans l’ensemble”, malgré des pertes parmi les civils et les forces de sécurité.
Au moins 50 terroristes auraient planifié cette attaque, dont une majorité de Tunisiens.
Selon M. Essid, cet assaut visait à fonder un “émirat” de l’Etat islamique (EI) à Ben Guerdane.

Une opération spétaculaire en représailles aux frappes américaines à Sabratha

Nizar Makni, un observateur tunisien spécialisé dans les mouvements extrémistes en Afrique du Nord et au Maghreb, considère qu’il s’agit d’une opération terroriste de type suicidaire destinée à faire parler de l’EI, irrité par le récent raid américain contre un camp de djihadistes majoritairement tunisiens dans la ville libyenne de Sabratha, qui a fait une cinquantaine de morts.
Selon M. Makni, cet assaut terroriste de grande envergure n’est que le “résidu” de tout un plan conçu par l’EI depuis plus d’un an et demi visant à provoquer des changements géopolitiques dans toute la région.
“Depuis fin 2014, l’EI planifiait le transfert du champ de bataille de Libye en Tunisie vu la pression que cette organisation terroriste subissait sur plusieurs fronts [face aux forces libyennes reconnues à l’international, à la coalition mondiale et à leurs milices alliées]”, a-t-il indiqué.
L’arsenal d’armes de guerre ultramodernes découverts à Ben Guerdane et la grande qualité des munitions ainsi que les trois entrepôts contenant des armes lourdes et des mines anti-chars qui ont été trouvés en sont la preuve, selon M. Makni.
Cependant, les récentes frappes aériennes américaines dans la ville libyenne de Sabratha n’ont “fait que bouleverser toutes les cartes de l’EI, qui se trouve l’esprit éparpillé […], d’où une tentative de trouver un rallongement de son territoire”, selon lui.
Ainsi, les forces de sécurité tunisiennes auraient été piégées entre les troupes terroristes venus du territoire libyen d’un côté et les cellules dormantes déjà installées dans le sud tunisien et plus précisément à Ben Guerdane de l’autre.
Cette hypothèse est renforcée par les révélations des autorités tunisiennes, qui ont déjà confirmé que la majorité des assaillants était originaires de Ben Guerdane.
Le lendemain des frappes à Sabratha, le département d’Etat américain avait averti la Tunisie qu’un attentat terroriste pourrait se produire sur son territoire.
Grâce à la réaction “rapide, puissante et efficace” des forces de sécurité et militaires tunisiennes, la Tunisie a évité un scénario similaire à celui de la prise de Mossoul par l’EI dans le nord de l’Irak en 2014, a ajouté M. Makni.
Toutefois, une certaine défaillance des services de renseignements a été détectée.
“Les services secrets tunisiens ont échoué durant une période allant de six mois à une année à localiser des cellules terroristes dormantes implantées à Ben Guerdane ayant réussi à stocker une importante quantité d’armes et de munitions en attendent l’heure zéro de l’opération”, a-t-il souligné.

Des mesures gouvernementales urgentes, mais pas suffisantes selon la population

“La Tunisie va aussi tirer plusieurs enseignements de cette attaque pour mieux se préparer à faire face énergiquement à toute éventuelle attaque”, a indiqué le chef du gouvernement tunisien.
Tard dans la nuit lundi dernier, M. Essid a ordonné le déploiement sur place de ses ministres de l’Intérieur et de la Défense ainsi qu’un couvre-feu nocturne à Ben Guerdane et une vaste opération de sécurité dans tout le sud tunisien, en particulier dans les provinces frontalières avec la Libye.
“Des mesures efficaces, certes, mais pas trop suffisantes aux yeux des Tunisiens qui vivent des conditions socioéconomiques difficiles, voire même déplorables dans des régions intérieures à l’instar de Ben Guerdane, désormais principal portail de la contrebande en Tunisie”, a estimé M. Makni.
Certaines séquences diffusées sur les réseaux sociaux, plus tard relayées par des médias locaux et étrangers, ont montré une surprenante mobilisation de la population aux côtés des forces de sécurité contre les groupes terroristes.
“Les habitants de Ben Guerdane ont fait preuve de patriotisme en émettant un message fort aux extrémistes : vous n’aurez aucune place parmi nous”, a souligné M. Makni.
Le terrorisme frappe encore une fois en Tunisie, mais cette fois avec un changement stratégique de la tactique offensive de l’EI, qui semble être sur le point d’étendre son territoire de conquête, voire même de transférer les combats vers d’autres régions, dont le sud tunisien, la région la plus proche de ses camps en Libye, en profitant des perturbations et du déséquilibre du climat socio-économique tunisien.

Facebook
Twitter