L’emprunt obligataire émis par la Tunisie a suscité une vive polémique dans le milieu politique et ouvrier. Des économistes n’ont pas hésité à qualifier la démarche du Gouvernement de « faux pas », alors que le Parti des Travailleurs appelle à l’annulation de cet emprunt qui « aura des incidences négatives sur le pays »
Le 27 janvier dernier, la Tunisie émettait un emprunt obligataire de 1 milliard de dollars (891 millions d’euros) sur dix ans. L’opération a été co-dirigée par les deux banques américaines JP Morgan et Citibank ainsi qu’une banque européenne Natixis. « C’est un gros succès, à la fois eu égard aux offres reçues de la part des 277 investisseurs (4,3 milliards de dollars) et à leur qualité », explique ainsi le ministre de l’Économie et des Finances, Hakim Ben Hammouda, qui se félicite également du taux d’intérêt (5,875 % par an). Selon des médias tunisiens, l’objectif de cette opération était de mobiliser 500 millions de dollars, mais ces objectifs ont été dépassés avec des ordres de 4,3 milliards de dollars US soit 9 fois la demande tunisienne. Selon les autorités tunisiennes, ce montant sera consacré au financement budgétaire de l’ordre de 7,5 milliards de dollars.
Opération de séduction
Avant le lancement de l’opération de l’emprunt, le ministre Ben Hammouda a effectué une série de visites sur les principales marchés financiers internationaux : Londres, Los Angeles, New York, Boston, Frankfort et Munich. Pendant le quatrième trimestre de 2014, les services du ministère de l’économie tunisien se sont attelés à préparer les documents techniques et l’argumentaire en vue de convaincre les investisseurs de s’engager avec la Tunisie. Pour le ministre, la réussite de l’opération marque la reconnaissance par le monde financier du « succès de la transition politique » de la Tunisie. « Le fait que j’ai été, lors des présentations aux investisseurs, à la fois en contact avec Mehdi Jomâa (l’ancien Premier ministre de la transition] et Habib Essid (le nouveau chef du gouvernement) a rassuré », explique Ben Hammouda, cité par la presse.
Appel au lancement d’une enquête
« Le prochain ministre des Finances trouvera des ressources de 2 milliards de dinars, ce qui lui permettra de démarrer son mandat avec aisance», a déclaré Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari. D’après le ministre des Finances, le taux de 5,75% appliqué à cet emprunt « n’est pas élevé par rapport à la situation économique de la Tunisie », en réponse aux inquiétudes exprimées par le milieu politique et ouvrier tunisiens. En effet, le parti des travailleurs a appelé l’Assemblée des représentants du peuple et le nouveau gouvernement à annuler l’emprunt accordé à la Tunisie et ouvrir une enquête sur les circonstances et les conditions de son octroi, pour en informer l’opinion publique. Le parti estime dans un communiqué que « le recours (…) à un l’emprunt obligataire de 1 milliard de dollars, au taux élevé d’environ 6%, aura des incidences négatives sur le pays ».
Une démarche périlleuse
La souscription de l’emprunt, estime-t-il, n’est pas justifiée, vu que les réserves actuelles de la Tunisie en devises étrangères couvrent 112 jours d’importation. Cet emprunt comporte aussi une démarche périlleuse. Cité par le journal Business News, l’expert financier, Moez Joudi tempère l’enthousiasme des pouvoirs publics tunisiens en déclarant que la démarche (lancement d’un emprunt obligataire) est « un faux pas monumental », vu que, explique-t-il, la somme demandée ne servira pas à l’investissement, au développement et à la création de richesses, mais au contraire, à la consommation et « au colmatage des brèches qui deviennent bien profondes ». Pour cet expert, cette opération annoncée comme un succès par les autorités est une démarche périlleuse « qui aura pour conséquence l’accroissement de l’endettement de la Tunisie ». Il souligne enfin que le nouvel emprunt coûtera annuellement au budget de l’Etat plus de 200 millions de dinars.