Pour les jeunes de la commune de M’hamdia, située dans la banlieue sud de Tunis, le candidat Béji Caid Essebsi est le candidat de la bourgeoisie et des occidentalisés francophones, loin des souffrances quotidiennes et de la culture populaire de la grande majorité des tunisiens. Ici, soit on vote Marzouki, soit on boycotte.
La liberté d’expression est le seul acquis qui fait l’unanimité des jeunes du quartier populaire El Bechtiri de la commune de M’Hamdia, située à 16 Km au sud de Tunis. Une demie douzaine de jeunes, chômeurs pour la plupart, s’étaient rassemblés dans le salon de coiffure du quartier, l’un des rares espace de rencontres et de discussions. En cette fin de matinée, les jeunes venaient à peine de se réveiller : « On est des chômeurs, pourquoi nous lever tôt ? », dis d’un air nonchalant Moncef 23 ans. « On a fait la révolution, les politiciens se sont servis de nous lors des législatives de 2011, puis ils nous ont lâchés. Rien n’a changé dans notre vie », poursuit-il. Lyès, 26 ans n’est pas du même avis : « Beaucoup de choses ont changé, on se sent citoyen maintenant, je sens que ma voix a un écho, que je participe dans la prise de décisions. Avant on était enfermés dans une cage, bâillonnés, ligotés. Au temps de Ben Ali, tu pouvais t’exprimer aussi librement avec des journalistes étrangers ? », lance d’un ton passionné Lyes. Ce jeune commerçant ambulant, se tourne vers nous « Nous les tunisiens, nous avons mené une révolution consciente et propre. Nous avons tenu des élections réussies, et celle de dimanche prochain le sera aussi. Oui, l’économie de notre pays est aux abois, mais tout sera relancé avec le retour à la stabilité », conclu-t-il en précisant qu’il votera pour le président sortant Moncef Marzouki, car il est hors de question pour lui de retourner à « La case départ ». Opinant du chef, Younes 23 ans, pousse le bouchon plus loin « Si Béji Caid Essebsi l’emporte, nous déclencherons une deuxième révolution. Nous n’avons pas sacrifié des vies pour destituer Ben Ali uniquement, mais pour en finir avec le système. Quatre ans après, Il est inconcevable de laisser revenir au pouvoir les pontes de l’ancien régime ». D’une voix déterminée il poursuit, « Ce candidat de la bourgeoisie et des nantis, si éloigné de notre misère, se sert des élections que pour préserver les intérêts du cercle fermé qui détient les grands capitaux. Il doit comprendre que son temps est révolu ».
La cherté de la vie
Mohamed 28 ans, saisonnier et Anouar 21 ans, chômeur pensent tout le contraire. Pour Mohamed, la vie était plus clémente sous Ben Ali « Tout le monde trouvait de quoi manger, même les zawalis (les pauvres). Depuis cette révolution, les prix ne cessent de flamber. Il n’y avait pas autant de désordre, et la répression policière n’a pas cessée, au contraire, elle s’est accentuée ». Anouar, pour sa part, souligne : « Jadis, je n’avais pas peur de descendre au centre ville le soir, maintenant, au-delà de 21 heures, je ne m’y aventure plus. Les gens n’ont plus peur des représentants de la loi. Le seul changement pour moi est la cherté de la vie ». Haitham 21 ans, nous explique qu’il ne votera pas car il ne peut donner sa voix ni à un ancien du régime déchu, ni à quelqu’un qui a collaboré avec. Juste au moment de quitter M’Hamdia qui, avec 46 613 habitants selon les chiffres du recensement 2014, est la troisième commune la plus peuplée du gouvernorat de Ben Arous, arrive enfin, M, 31 ans, qui chante son soutien à Béji Caid Essebsi, tout en voulant garder l’anonymat : « Je veux retrouver l‘ancien régime, où on n’entendait jamais parler de policiers assassinés, de militaires décapités, de munitions découvertes dans un immeuble d’un quartier populaire, de cellules terroristes qui infiltrent notre territoire, de prix exorbitants des fruits, des légumes et de l’alcool. Nous sommes un peuple qui aime la fête et la paix. Je suis un pauvre, je ne demande qu’à dormir tranquille, nourrir ma famille et acheter ma bière comme je le faisais jadis ».