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Idées

Un article d' »Algérie News » et des « évidences » à interroger sur les migrations subsahariennes

Par Yacine Temlali
mai 11, 2014
Un article d' »Algérie News » et des « évidences » à interroger sur les migrations subsahariennes

Le rédacteur en chef d’Algérie News s’est excusé de la publication dans ce journal, le 7 mai dernier, d’un article intitulé « Alger envahi par les Nigériens ». C’est tout à son honneur mais, malheureusement, ce n’est pas là un malencontreux précédent. Un déficit de formation des journalistes a répandu dans la presse de fausses évidences sur les migrations subsahariennes en Algérie, qui est loin d’être un éden hospitalier pour les migrants de toutes origines.

 

Dans un message relayé sur Facebook, le rédacteur en chef d’Algérie News, Massinissa Boudaoud, a assumé « l’entière responsabilité » d’une Une particulièrement agressive envers nos frères nigériens et les ressortissants subsahariens vivant en Algérie, en général (« Alger envahi par les Nigériens », Mohammed Zerrouki, 7 mai 2014). Il a présenté ses « sincères excuses d’abord à ceux que nous avons offensés, à nos amis et à nos lecteurs » et regretté que « des expressions chargées d’insensibilités » se soient « malencontreusement glissées » dans l’article.

Ce mea culpa est d’autant plus à apprécier qu’il est rare qu’un journal algérien s’excuse auprès de ses lecteurs de les avoir mal informés – et parfois franchement désinformés. Mais tout courageux qu’il soit, il n’explique pas comment un tel concentré d’idées reçues sur nos voisins du Sud a pu occuper la Une, dont la confection n’est certainement pas du ressort du rédacteur Mohammed Zerrouki ni même de celui du seul rédacteur en chef. Si cela a été possible, c’est que tout au long de la chaîne menant de l’auteur de l’article à l’imprimerie, un inconscient consensus « anti-subsaharien, pour ainsi dire, a empêché que d’aussi « malencontreuses » erreurs soient relevées et évitées.

Cependant, il ne serait pas juste de faire d’Algérie News la victime expiatoire,de la presse algérienne. Ce même triste consensus régit, dans beaucoup de journaux, l’information sur les migrations subsahariennes, presque toujours abordées sous l’angle de terribles dangers qu’elle feraient peser sur la santé publique, la morale publique et notre civisme congénital. Hélas, bien hélas, le reportage incriminé est loin de constituer un fâcheux précédent. Une étude portant sur l’image des immigrants subsahariens dans les quotidiens algériens publiée en 2011 montre que cette population est le plus souvent décrite comme un ramassis de faussaires, de faux-monnayeurs, de trafiquants de drogue et d’escrocs spécialistes d’ »arnaques à l’africaine ». Le mal est si général que le silence des médias publics sur les problèmes migratoires, tout pesant qu’il soit, est préférable à ces régulières éruptions de xénophobie.

 

Le chemin de l’enfer est pavé de (mauvaises) bonnes intentions

 

Massinissa Boudaoud écrit, dans sa lettre d’excuses, qu’il n’était « nullement dans l’intention du rédacteur de l’article de nuire ou de porter préjudice (aux réfugiés nigériens) ». On a du mal à croire involontaire un pamphlet qui ouvre de larges guillemets à des commerçants se plaignant que des enfants affamés « touchent à la marchandise lorsqu’on ne leur donne rien ». Il est vrai, toutefois, que le chemin de l’enfer est pavé de (mauvaises) bonnes intentions. En volant au secours de la patrie à leurs yeux menacée par l’autre, l’étranger, beaucoup de journalistes ne se représentent par les drames, grands et petits, qu’ils peuvent provoquer. Il serait superflu de souligner que cette insouciance irresponsable ne serait pas aussi largement partagée s’il existait des instances de médiation entre la presse et les lecteurs et, surtout, si les médias s’acquittaient de leurs devoirs envers leur personnel en termes d’encadrement et de formation.

Car le déficit de formation et d’encadrement a contribué à répandre parmi les journalistes qui travaillent sur les questions migratoires beaucoup de fausses évidences, fondées sur des observations parcellaires, de banals faits divers et des rapports volontairement alarmistes des services de sécurité. Une de ces fausses évidences fait de tous les Subsahariens en Algérie des « victimes de la nature, de la famine, de l’insécurité et de la tyrannie » comme l’écrit Massinissa Boudaoud, dans un élan de compassion, sans doute sincère, qui l’honore. Or, les migrations nigériennes, maliennes, etc. vers le Sahara existent depuis des siècles sinon des millénaires et sont aujourd’hui, en grande partie, des migrations saisonnières de travail. Une autre fausse évidence fait de tous les immigrants subsahariens des sans-papiers alors que les Maliens et les Nigériens, par exemple, n’ont tout simplement pas besoin de visa pour entrer en Algérie. Une autre encore attribue à tous ces immigrants la nationalité de nos deux voisins méridionaux, le Mali et le Niger, Etats « africains » les plus connus des Algériens qui savent vaguement qu’ils sont pauvres, en proie à l’instabilité politique. Or, si défi il y a pour un journaliste, c’est bien celui d’établir la véritable nationalité d’un immigrant sans ressources, surtout s’il est « sans papiers ».

En résumé, rien ne prouve que les ressortissants subsahariens décrits dans l’article d’Algérie News soient tous des réfugiés nigériens en situation irrégulière. L’UNHCR ne fait, d’ailleurs, nulle mention d’une arrivée massive de réfugiés originaires du Niger en Algérie. Si afflux subsaharien vers le Nord algérien il y avait eu, il aurait été malien, car c’est au nord du Mali que des dizaines de milliers de personnes ont dû quitter leurs villages pour cause de guerre civile et d’intervention militaire française.

 

Les étrangers représentent moins de 1% de la population

 

Cependant, la plus grossière fausse évidence qui empêche une juste perception des migrations subsahariennes est celle qui fait de l’Algérie une sorte de Mecque des opprimés. Selon les prévisions de l’UNHCR à la fin 2014 le nombre des réfugiés y atteindra… 97.000 dont… 90.000 Sahraouis. Ni l’instabilité politique en Libye ni le conflits et l’intervention française dans le Nord du Mali n’ont provoqué d’importantes vagues migratoires vers notre pays : l’écrasante majorité des réfugiés de guerre maliens, par exemple, se sont installés au Burkina-Faso, en Mauritanie et au Niger. Réfugiés et demandeurs d’asile subsahariens ne dépasseraient pas quelques centaines de personnes sur tout le territoire algérien.

Pas plus que pour les réfugiés, l’Algérie ne semble être un éden hospitalier pour d’autres catégories de migrants. Selon le Recensement général de la population et de l’habitat de 2008, les étrangers établis légalement sur son sol (à l’exclusion des réfugiés) ne dépassaient pas 325.000 personnes, auxquels il faudrait ajouter, selon un spécialiste des migrations, Mohamed Saïb Musette, quelque 25.000 immigrants irréguliers, soit, en tout et pour tout, moins de 1% de la population de l’époque. Ces chiffres n’ont pas dû beaucoup augmenter, les autorités algériennes ayant durci, en juin en 2008, leur politique (anti) migratoire.

Il n’est d’invasion à Alger que celle du chauvinisme ordinaire. Il fait oublier qu’avant le pétrole, l’Algérie était un grand exportateur de main d’œuvre, que le mouvement pour l’indépendance est né en France, dans les foyers d’émigrés, et, surtout, que 2 millions d’Algériens vivent actuellement à l’étranger dont beaucoup endurent le racisme anti-arabe et l’islamophobie.

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