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Un expert décrypte l’acte hostile de Haftar à la frontière algéro-libyenne

Par Maghreb Émergent
juin 20, 2021
Un expert décrypte l’acte hostile de Haftar à la frontière algéro-libyenne

Le maréchal Khalifa Haftar, a commis un acte hostile à la frontière algéro-libyenne, en décrétant la région comme « zone militaire ». Raouf Farrah, chercheur en géopolitique, nous fait dans cette analyse un décryptage de la situation.

Selon plusieurs médias libyens, des forces du maréchal Khalifa Haftar, chef autoproclamé de l’armée nationale arabe libyenne (LAAF) a « décrété » que la région de la Libye frontalière avec l’Algérie est dorénavant considérée comme « zone militaire ».

Il est indiqué aussi, que les forces pro-Haftar (principalement la Brigade 128) auraient totalement pris contrôle du poste frontalier de Ghat (nommé « Essin ») jouxtant l’Algérie.

La frontière algéro-libyenne, liée par les axes Debdeb (Algérie)- Ghadamès (Libye), Djanet (Algérie) – Ghat (Libye), est officiellement fermée depuis 2013, même si les mouvements des populations locales, surtout au Sud, sont autorisés de manière périodique.

La décision de Haftar intervient dans un contexte particulier. Les autorités algériennes et le nouveau gouvernement d’unité nationale mené par Abdulhamid Dbeiba – un gouvernement auquel Haftar n’accorde pas confiance, même si celui-ci est le résultat du processus onusien lancé en novembre dernier – sont en discussion avancée pour la réouverture du poste Debdeb-Ghadames depuis plus d’un mois.

Le 29 mai 2021, une délégation d’officiels libyens s’est rendue à Alger pour discuter des récents développements politiques, mais aussi pour s’accorder sur le calendrier et les préparatifs logistiques et techniques de l’ouverture de la frontière. Le même jour, le Forum économique algéro-libyen s’est tenu à Alger avec la participation de près de 400 opérateurs (250 opérateurs algériens et 150 Libyens). Le Forum a appelé à l’ouverture de liaisons terrestre et maritime pour augmenter les échanges commerciaux entre les deux pays.

Depuis quelques semaines, Khaled Mazen, ministre de l’Intérieur du gouvernement d’unité nationale, travaille avec tous les acteurs sécuritaires libyens, surtout ceux actifs dans la zone de Ghadamès, pour réunir les conditions d’ouverture du poste frontalier. Il a notamment formé une Commission conjointe composée de forces locales, comme les Patrouilles du désert, les Douanes et la police de Ghadamès pour atteindre cet objectif. Une rencontre importante s’est tenue le 17 juin entre le ministre et les acteurs concernés afin de faire un bilan sur les avancements.

La décision de Haftar de considérer cette région comme zone militaire a une triple visée. D’abord, il s’agit de casser toute tentative de contrôle de la frontière avec l’Algérie par le Gouvernement d’unité nationale, en affaiblissant les forces anti-Haftar qui tentent de sécuriser cette frontière. L’objectif étant de paralyser toute avancée politico-sécuritaire qui renforcerait la légitimité du GNU, et contribuerait à la marginalisation politique du maréchal. En décrétant la région zone militaire, il s’agit également de restructurer le déploiement des forces de la LAAF vers le Sud-ouest et d’intégrer cette nouvelle donne dans les négociations du Comité militaire chargé de trancher les questions sécuritaires avant les élections de décembre prochain.

Depuis la défaite de Haftar lors de la bataille de Tripoli (avril 2019 – juin 2020), le Sud-ouest( Fezzan) est devenu un enjeu stratégique. En simplifiant, le Fezzan est politiquement divisé entre les partisans d’un ordre militaire conduit par l’Est et ceux qui croient à la construction d’une solution politique négociée, soutenant le nouveau gouvernement. La région proche de Ghat est stratégique pour la sécurisation des champs pétroliers de Sharara et El-Fil (d’où est tiré un tiers de la production pétrolière libyenne) et le contrôle des économies informelles et illicites de la sous-région. Récemment, certains acteurs sécuritaires Touaregs ont pris la main sur le contrôle des circuits de trafics passant par Essin, et ces derniers seraient de plus en plus proche du Gouvernement d’unité nationale…

Le contrôle du poste « Essin » par des forces pro-Haftar n’est pas un danger existentiel pour l’Algérie. La frontière algéro-libyenne est certainement la plus sécurisée de la région avec une surveillance intensive menée par des patrouilles mixtes, des postes physiques de surveillance, des tours, des drones et une tranchée de sable…L’Algérie a pu sécuriser cette frontière depuis l’attaque de Tinguentourine, bien que la marginalisation des communautés frontalières qui en payent le prix fort est problématique.

Troisièmement, il s’agit de « cibler » l’Algérie après la réaffirmation triomphante de Tebboune sur Al-Jazeera que « Tripoli était une ligne rouge ». Cette déclaration avait été d’abord faite en janvier 2020 lorsque le maréchal Haftar voulait conquérir la capitale durant la Bataille de Tripoli. Cette déclaration aurait pu être extrêmement dangereuse contre l’Algérie. Les médias libyens pro-Haftar, majoritairement de la Cyrénaïque, sont longuement revenus sur cette déclaration, très mal reçue par une frange de la population libyenne. Cette déclaration est surtout fallacieuse, car ce n’est pas Alger qui a freiné la progression des forces pro-Haftar par la menace, mais c’est plutôt l’appui martial de la Turquie qui a rebattu les cartes et bloquer l’avancée des forces pro-Haftar.

Les mouvements des forces pro-Haftar interviennent également à quelques jours de la conférence « Berlin 2 » sur la Libye, prévue le 23 juin, qui discutera des prochaines étapes politiques et sécuritaires de la stabilisation de la Libye.

Après des années de léthargie diplomatique, Alger tente, tant bien que mal, de jouer un rôle actif dans la construction de la paix en Libye, notamment en projetant d’organiser des sessions de dialogue intra-libyen, en appuyant la préparation des élections prévues en fin d’années, et en mobilisant les équipes de Sonelgaz pour aider à la reconstruction des centrales électriques si nécessaires à la Libye. Toutefois, l’Algérie reste marginalisée sur ce dossier et subit davantage les jeux d’alliances de puissances extrarégionales qu’elle ne les déconstruit.

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