Alors que les frontières du pays sont fermées depuis près d’une année, A.A, un jeune et ambitieux gérant d’une agence de voyage qui vient de souffler sa première bougie, située dans la wilaya de Tipasa, prend son mal en patience. Rideau baissé depuis que les clients ont déserté sa boutique, il tente tant bien que mal, de garder le moral et ne pas céder à la tentation de mettre la clé sous le paillasson. Il dit avoir pour seules armes, « son stoïcisme et sa foi en dieu ».
Il a accepté de se confier à Maghreb Emergent.
Maghreb Emergent : Bonjour, d’abrord…Comment va le moral ?
A.A : Je ne peux que vous répondre « Hamdoulah », bien que ce ne soit pas vraiment la forme au niveau professionnel. Sans revenus depuis des mois, nous ne pouvons pas aspirer à grand chose, sachant qu’une aide de la part de l’Etat nous été promise, mais, à ce jour, nous n’avons reçu qu’un seul versement (janvier 2021) à effet rétroactif, comptant pour le mois de mars 2020.
Pouvez-vous nous décrire votre quotidien loin de votre activité ?
personnellement, mes activités professionnelles actuelles se limitent à suivre les évolutions du secteur, en espérant à chaque fois, de tomber sur une bonne nouvelle ou une décision qui nous permettra éventuellement de reprendre sereinement, mais en vain. Le reste n’est que gestion du stress et projection dans l’avenir, qui ne cesse de s’assombrir. Pour ma part, qui n’est commencé cette activité que depuis un an, je n’ai même pas eu le temps de fidéliser mes clients. Il faudra tout recommencer depuis le début !
Savez-vous pourquoi les voyagistes ont été relégués au dernier rang des priorité de l’Etat durant la crise sanitaire liée à la pandémie Covid-19 ?
Force est de constater que le secteur du tourisme a été durement impacté par la crise sanitaire due à la pandémie Covid-19. Tous les pays du monde ont mis en berne leurs drapeaux à ce niveau là. Les chiffres de l’OIT (Organisation internationale du tourisme) montre une contraction de plus de 70% du chiffres d’affaires au niveau mondial. Je dirai donc que l’aspect conjoncturel y est pour beaucoup.
Cependant, pour le cas de l’Algérie, l’impact en question a été exacerbé par un certain nombre de décisions prises à l’emporte pièce, et qui sont dures à avaler, sans que cela s’accompagne d’une remise en question de l’organisation actuelle du secteur du voyage, et un diagnostique des problèmes susceptibles d’être traités autrement que par la politique des « coups de menton ».
Par ailleurs, je déplore aujourd’hui le fait qu’il n’existe pas un véritable syndicat qui soit au chevet des voyagistes en ces temps de disette, afin de défendre au mieux leurs intérêts et leurs droits. L’absence d’une police assurance pour les professionnels du voyage nous a également été fatale.
Avez-vous obtenu des aides ou des incitations de la part de ministère du Tourisme ?
L’aide de l’Etat qui nous a été promise n’a pas été au rendez-vous. D’après les différents courriers que nous avons reçus de la part de la direction du Tourisme de la wilaya, celle-ci a été valorisée à 30 000 DA/mois. Lorsque je j’ai été m’enquérir de cette mesure auprès de la CASNOS, l’on m’a signifié qu’il fallait s’attendre à des retards.
Je vous laisse alors imaginer la situation socio-économique d’un foyer qui dépend d’une telle aide, sans esquisser le moindre commentaire !
Cela étant dit, plusieurs agences ont cherché à prendre le taureau par les cornes et s’adapter à cette situation, au lieu de se morfondre dans l’attentisme et l’assistanat de l’Etat, en visant le tourisme local. Mais elles ont vite déchanté face au nombre incalculable de barrières bureaucratiques qui ont été dressées devant elles, comme, par exemple l’obligation, dans certaines wilayas, de déclarer préalablement un certain nombre d’informations sur les voyageurs prenant part à un voyage organisé.
Avez-vous envisagé d’arrêter votre activité si cette situation venait à se prolonger dans le temps ?
L’activité est de faite gelée. Comme toute entreprise, une agence de voyage a un bilan à défendre. Si notre activité est en hibernation, nos charges continuent d’augmenter, qu’il s’agisse de frais de location ou d’abonnement annules comme celui du logiciel amadeus, dont les frais ne nous ont pas été remboursés. Je tiens à vous informer que nous avons dû nous acquitter du seuil minimum en matière d’impôts, soit la somme 10 000 DA.
Comprenez-vous le fait que les autorités maintiennent les frontières fermées après tout ce temps ?
Absolument pas ! Les autorités savent bien qu’il s’agit d’une soupape de sécurité nécessaire à faire baisser la pression, qui a été fermée. Au départ, cette mesure dictée par le bon sens semblait légitime, mais pas pendant toute une année. Nous nous interrogeons sérieusement sur son utilité actuelle, d’autant plus qu’elle n’est soumise à aucune deadline.
Dans de telles conditions, nous demandons la mise en place d’un service minimum d’au moins un vol par semaine, à destination des grandes capitales par exemple. Bien entendu, cela reste symbolique mais peut servir à jauger l’évolution de la situation sanitaire, en vue d’une prochaine levée totale des restrictions sur les vols internationaux.
D’autre part, et malgré toutes les louanges qui nous été chantées depuis des années, nous déplorons également l’absence d’une stratégie de développement du tourisme local, qui aurait pu être l’alternative idéale. Car l’activité des voyagiste ne peut, à terme, se limiter à la simple vente de billets d’avion ou de réservations d’hôtels ou l’organisation de la campagne de Omra et de Hadj (pèlerinage). Notre métier est en danger !