Le caractère prédominant de la fiscalité pétrolière dans les recettes de l’Etat algérien (environ 60% des rentrées fiscales) a empêché l’émergence en Algérie d’une réflexion approfondie et sur les outils et l’efficacité de la fiscalité ordinaire et des différentes catégories d’impôts qui la composent .Le thème est, en particulier, quasiment absent dans les médias nationaux y compris dans la presse spécialisée.
La période récente caractérisée par une forte chute des revenus pétroliers est certainement favorable au développement à la fois de la réflexion dans ce domaine et d’une démarche plus active des pouvoirs publics dans le but d’améliorer la qualité et l’efficacité des instruments fiscaux. C’est ainsi que le projet de loi des finances pour 2016, approuvé mardi dernier par le Conseil des ministres, fixe un objectif clair pour l’amélioration des recouvrements de la fiscalité ordinaire, prévoyant d’en faire croître le rendement à hauteur de 4,1% sur l’ensemble de l’exercice. Un objectif accompagné de différentes mesures, dont un relèvement prévu de certaines taxes sur les carburants, la téléphonie mobile et les produits de luxe, ainsi qu’une tentative de fiscalisation de l’argent de l’informel.
Ce sujet de la fiscalité ordinaire dans les pays d’Afrique du Nord était le thème d’une émission diffusée le lundi 5 Octobre par Radio M conjointement avec les 7 radios africaines du réseau l’ « Afrique en partage » (AEP) .Elle a permis a des journalistes maghrébins de confronter leurs points de vue et de dialoguer en direct avec un expert du FMI , M. Mario Mansour, qui a dirigé la publication récente d’une étude intitulée « Fiscalité équitable dans la région MENA » dont l’objectif est selon ses auteurs de « rechercher les moyens d’améliorer les régimes fiscaux pour leurs permettre de réaliser une meilleure équité économique »
Des régimes fiscaux faiblement performants
Premier constat établi au cours de cette émission : les pays d’Afrique du Nord ont des régimes fiscaux diversifiés mais les niveaux de rentrées fiscales sont inférieurs à ceux de la plupart des pays émergents. En outre ces niveaux de recettes sont stationnaires au cours des 20 dernières années alors qu’ils ont fortement progressé dans les pays émergents .En guise d’illustration ,le ratio recettes fiscales ordinaires / PIB est resté voisin de 20% au Maroc et en Tunisie depuis de très nombreuses années tandis qu’il ne dépasse pas 12% en Algérie (17% par rapport au PIB hors hydrocarbures en 2013).Commentaire de Mario Mansour : « le problème n’est pas dans les outils de la fiscalité qui sont diversifiés et existent partout mais dans les montants des recettes fiscales mobilisées ».
Equité égale simplicité
Pour l’expert du FMI, c’est d’abord un souci de simplification qui doit guider la nécessaire réforme des régimes fiscaux en Afrique du Nord. Mario Mansour cite l’exemple de la Tunisie où l’étude réalisée dernièrement a recensé près de 70 catégories de droits et taxes différents .Trop de taxes mais aussi des régimes fiscaux caractérisés par un nombre considérable d’exonérations diverses qui courent le risque de la rendre illisible, de compliquer son application et de favoriser des pratiques discrétionnaires. «La simplification de la fiscalité et l’élimination des exonérations fiscales sont essentiels pour favoriser le civisme fiscal ainsi que la bonne administration et faire sortir de l’ombre un grand nombre d’activités informelles ».
Bénéfices des sociétés et « flat tax »
En droite ligne avec ce souci de simplification, à propos cette fois de l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS), l’étude du FMI relève que « dans les pays de la région, les taux d’imposition sont relativement compétitifs mais souffrent d’un grand nombre d’exonérations ».Elle recommande « l’élimination des exonérations et la simplification de la structure de l’impôt sur le revenu des sociétés dans le but de mettre les entreprises sur un pied d’égalité et faciliter le recouvrement » . On n’est pas loin de la « flat tax » à 15%; Mario Mansour assure que « les études empiriques montrent que la différenciation des taux n’est pas efficace ». Pour encourager l’investissement « plutôt que des exonérations ou des taux réduits, il vaut mieux s’attaquer aux différents obstacles et aux différents coûts qui grèvent l’acte d’investissement ». A une question d’un journaliste algérien sur les récentes mesures contenues dans la LFC 2015 qui réduisent le taux d’imposition en faveur des entreprises de production et visent à pénaliser l’importation , Mario Mansour répond que « la différenciation des taux est susceptible de canaliser l’investissement mais ne favorise pas l’accroissement des recettes fiscales » .
La TVA en Algérie : «seulement 50% des recettes recouvrables »
Les taxes sur la consommation et les taxes sur la valeur ajoutée souffrent également d’une « multiplicité de taux et d’exonérations qui en réduisent l’efficacité en terme de recettes fiscales et qui en outre sont souvent mal ciblées » .L ‘étude réalisée par le groupe d’experts du FMI estime que dans le cas de l’Algérie, notamment le produit de la TVA représente seulement 50% des recettes potentiellement recouvrables » .Elle préconise « l’unification des différents taux de la TVA ainsi que la réduction des exonérations et leur meilleur ciblage dans le but de renforcer leur efficacité et de réduire leur coût pour le budget »
L’impôt sur le revenu trop faiblement progressif
Autre préoccupation partagée par les participants à l’émission :« Dans les pays d’Afrique du Nord ,l’impôt sur le revenu des personnes physiques est faiblement progressif et redistributif ».En cause à la fois « une focalisation excessive sur les revenus du travail , les taux marginaux peu élevés appliqués aux revenus de la tranche supérieure ainsi que de l’exclusion des revenus non salariaux » .Entre souci d’équité et recherche de l’efficacité fiscale les spécialistes du Fonds monétaire notent qu’ « il serait souhaitable de relever le taux marginal supérieur d’imposition sur le revenu en incluant également dans le revenu imposable les revenus non salariaux comme le revenu du capital » . Mario Mansour qui estime qu’ « on n’a pas besoin de 5ou 6 taux différents » s’inquiète cependant ,en réponse à une remarque d’un journaliste algérien ,du taux initial de 20% qui frappe en Algérie les revenus salariaux compris entre 1500 et 5000 dollars qu’il juge « énorme et pénalisant pour les classes moyennes »
Dernière observation partagée par les intervenants : Pour réaliser une meilleure progressivité les « systèmes fiscaux des pays de la région devraient aussi instaurer ou renforcer le poids des impôts fonciers et développer la fiscalité sur le patrimoine ( droits sur les donations ou sur les successions)voire augmenter les taxes sur les produits de luxe » .
Hassan Haddouche