Les revendications politiques de base n’ont pas changé dans les rues d’Algérie lors de ce 45e vendredi de mobilisation. Le Hirak se cherche cependant des thèmes politiques pour sa saison 2.
Au départ de la grande manifestation de Bab El Oued, ce vendredi vers 14 h sur l’axe de la rue du colonel Lotfi, l’hommage populaire à Abane Ramdane a donné le la. 27 décembre, date anniversaire de son assassinat. Le 1er thème fort du Hirak de la saison 2, après la désignation de Tebboune et la disparition de Gaïd Salah. Le politique, entendre le civil, prime sur le militaire. Plus loin, il est décliné dans le slogan standard de ralliement. « Dawla Madania Machi Askaria » (Etat civil, pas militaire).
Le rejet des généraux également demeurent une constante dans les slogans repris. Leur départ est lié à l’Istiklal (Indépendance). Les fondamentaux du mouvement sont là. Mais la hantise d’être une fois de plus dépossédé des fruits de son combat, est tout autant présente. Abdelmadjid Tebboune et son offre de dialogue, d’ailleurs non renouvelée, sont rejetés avec vigueur sous les arcades de Bab El Oued. C’est le cas également sur l’axe Place 1er mai- Hassiba- Amirouche-Grande Poste. Le mouvement populaire ne veut pas entendre parler de dialogue avec un président illégitime. A la différence, de l’opposition et de certains acteurs de la société civile, il ne s’agit même pas d’établir les conditions favorables à un dialogue avant de l’entamer. Le coup de force du 12 décembre ne passe pas. Et donc l’interlocuteur politique désigné par l’ANP, est rejeté dans les revendications des manifestants.
Une saison 2 à habiller politiquement
En réalité, le premier test public du Hirak de l’après Gaïd Salah, s’il est concluant en termes de vigueur de la mobilisation à Alger (les vacances scolaires n’ont mordu qu’à la marge sur le nombre de manifestants), il est mitigé en termes de redéploiement politique. La disparition des nombreux chants hostiles à feu le chef d’Etat-major, n’a pas été comblée par une génération nouvelle de slogans qui correspond à ce qui aujourd’hui est appelé de plus en plus communément la saison 2 du Hirak.
C’est pour cela que la réapparition a été remarquée de plusieurs panneaux appelant à la mise en œuvre des articles 7 et 8 de la Constitution par lesquels s’exerce la souveraineté du peuple dans l’acte de fonder des institutions. « Cela fait 10 mois que nous marchons. Certes, la liste des responsables que nous avons éliminé d’une façon ou d’une autre est impressionnante. Mais nous avons un président illégitime et impliqué dans les affaires. Que faut-il faire maintenant ? On veut le transfert du pouvoir au peuple », explique Mohamed, 32 ans, un des porteurs de ce panneau évoquant les articles 7 et 8.
Il est vrai que les derniers mois ont vu reculer quelque peu cette revendication conquérante du mouvement populaire qui avait été le thème fort du printemps-été dernier. « Nous étions concentrés sur l’élection présidentielle du 12 décembre. Maintenant ils ont mis quelqu’un à El Mouradia. On ne lui reconnaît pas le droit de décider quoi que ce soit pour nous. C’est le retour au 7 et au 8 », explique Mohamed.
Un premier ministre pour le dialogue ?
La revendication de l’application des articles 7 et 8 de la Constitution en ce début de saison 2 du Hirak, pose-t-elle les mêmes problèmes de mode opératoire que l’été dernier ?
Paradoxalement, la présence d’un occupant au palais présidentiel d’El Mouradia, officiellement pour un mandat présidentiel, ouvre la porte à un processus de type articles 7 et 8 sans les risques de vide institutionnel qu’avançaient les adversaires de ce scénario.
Abdelmadjid Tebboune, plus que jamais isolé dans ses nouvelles fonctions après la disparition de celui qui l’a fait président, aura beaucoup de mal à engager en mode unilatéral, des réformes institutionnelles. Pour Feriel, hirakiste du 22 février, Tebboune n’a pas intérêt à avancer seul. « C’est son statut de président qui est contesté. Donc, toutes ses décisions seront contestées. A commencer par le choix du Premier ministre et du gouvernement, puis celui du mécanisme de la révision de la constitution ».
La situation est compliquée. Au sein du pouvoir, l’idée avance que la prochaine initiative politique ne peut pas ressembler à celle du panel de Karim Younes, sous peine de s’enfermer définitivement dans un tête-à-tête ruineux avec un pays désobéissant.
Dans le même temps, le Hirak reste, dans son expression, hostile à tout dialogue avec un président illégitime. De plus en plus de points de vue, dans la rue, et dans les réunions des acteurs du mouvement, estiment que Abdelmadjid Tebboune ne peut pas endosser la mission politique du dialogue. Il a, par contre, sans Gaïd Salah pour le bloquer, la possibilité de choisir un Premier ministre accepté par le Hirak pour enfin engager un premier échange sur la forme que prendra le dialogue une fois rétablies des conditions politiques minimales pour sa tenue.