Ils sont ignorants, ils ont des visées politiciennes, ou ils sont acteurs, conscients ou non, d’une déstabilisation du pays : pour le ministre de l’Energie Youcef Yousfi, les adversaires du gaz de schiste ont tort de ne pas le suivre, dans son « nationalisme énergétique ».
M. Youcef Yousfi a répondu avec une condescendance prononcée, mêlée de menaces, à ceux qui s’opposent à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Pour le ministre de l’Energie, inspirateur de la nouvelle ligne adoptée par le gouvernement dans le dossier des énergies non conventionnelles, les adversaires de sa démarche se répartissent en trois groupes, qu’il faut traiter séparément.
Les premiers seraient une sorte de conservateurs, des gens ayant peur de tout ce qui est nouveau. Le gaz de schiste devant être exploité pour la première fois en Algérie, il y a une frange d’Algériens qui redoutent cette innovation. A leur adresse, M. Yousfi propose de la pédagogie. Ils ne comprennent pas, il s’agirait donc de leur dire de quoi il s’agit. Ils seront rassurés, et ils accepteront que l’Algérie s’engage dans cette nouvelle voie. Ces gens sont « sincères », il suffirait de « leur expliquer », ce à quoi s’attelle le gouvernement, affirme M. Yousfi sur un ton très paternaliste.
Le second groupe constitue, quant à lui, une menace de déstabilisation pour l’Algérie, selon M. Yousfi. Pas moins. Le ministre de l’énergie recourt à la bonne vieille langue de bois pour tenter de disqualifier ses adversaires. Son argumentaire est dans la grande tradition du nationalisme primaire. L’Algérie, dit-il, aurait choisi la voie de « l’indépendance énergétique », une voie risquée, périlleuse, qui ne plait pas aux puissants de ce monde, et notamment les lobbies internationaux qui veulent faire main basse sur les richesses du pays.
Relais internes manipulés
Du reste, M. Yousfi inscrit ces attaques contre l’Algérie dans le cadre d’un vaste plan international qui veut aboutir à une « diabolisation » des pays ayant fait le choix de l’indépendance. La menace extérieure trouverait des relais au sein de groupes ou courants politiques internes qui feraient, consciemment ou non, le jeu de puissances extérieures, selon une rhétorique rodée, défendue popularisée par Mme Louisa Hanoun, la présidente du Parti des Travailleurs.
Parmi ces groupes supposés manipulés, il y’en aurait qui le feraient par ignorance, sans même s’en rendre compte, laisse entendre M. Yousfi, qui veut séparer le bon grain de l’ivraie. Il a donc choisi de s’adresser aux faiseurs d’opinion pour changer la donne. « Il nous est apparu nécessaire que ceux qui contribuent à forger l’opinion publique sachent où se situent les intérêts du pays et où se cachent les tentatives de déstabilisation », a-t-il déclaré.
Où classer M. Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach, qui vient de tirer une nouvelle salve contre le gouvernement dans la gestion des hydrocarbures ? Peut-être dans le troisième groupe, celui qui vise des objectifs « politiciens », selon les mots de M. Yousfi. L’auteur de la célèbre formule, « Rab edzaïr », le Dieu de l’Algérie, est pourtant légitime pour parler de ce sujet : il a joué un rôle central pour mettre en garde contre la gestion de Chakib Khelil. Tout comme sont légitimes d’autres anciens PDG de Sonatrach, qui ont exprimé des réserves sur la question.
Offensive
En devenant résolument offensif, M. Yousfi espère porter la polémique sur le terrain de ses adversaires, et occulter ainsi les tares du gouvernement sur ce dossier. Pourtant, M. Yousfi lui-même a été membre d’un gouvernement dont une des vedettes a longtemps été M. Chakib Khelil. Jamais M. Yousfi n’avait élevé la voix pour s’en prendre à la gestion de M. Khelil, dont les séquelles sont immenses.
L’inconstance de M. Yousfi est aussi devenue un sujet d’inquiétude. Lors de sa nomination au ministère de l’Energie, il avait pourtant apporté une note rassurante, en adoptant une posture anti-Khelil. Austère, discret, peu porté sur les déclarations intempestives, il semblait qualifié pour rassurer, en ramenant de la sérénité dans un secteur qui représente le tiers du PIB de l’Algérie. Il avait annoncé des plans grandioses dans les énergies renouvelables, en promettant des investissements gigantesques, 60 à 80 milliards de dollars.
Mais peu après, il changeait son fusil d’épaule, et faisait adopter une nouvelle loi sur les hydrocarbures, supposée relancer la prospection et augmenter les réserves du pays. Le résultat a été mitigé. Un an plus tard, il s’engage dans un nouveau virage, pour évoquer cette fois-ci le gaz de schiste. Entretemps, sa parole s’est étiolée, et il a perdu de sa crédibilité, lui qui n’a jamais été connu comme un caractère fort, bien au contraire.
Manque de crédibilité des institutions
Aujourd’hui, il défend les hydrocarbures non conventionnels, comme il a défendu la nouvelle loi il y a dix-huit mois. Mais il évite soigneusement le sujet le plus explosif du moment, celui des prix et du gaspillage de l’énergie. M. Yousfi s’y est aventuré brièvement, lors de la campagne électorale pour la présidentielle de mai dernier, avant de se rétracter.
Ses nouveaux choix sur le gaz de schiste ont attisé la polémique, pour savoir si l’exploitation est polluante ou non, si la fracturation hydraulique utilisée est dangereuse, et si les doutes concernant la rentabilité de cette ressource sont justifiés. M. Yousfi peut avoir raison. Ou tort. Par contre, il y a une certitude : il n’y a pas d’institutions crédibles en Algérie pour encadrer l’exploitation du gaz de schiste. Le gouvernement n’est pas crédible. Il est difficile de croire à son discours. Et le pays vivra dans cette suspicion, justifiée ou non, jusqu’à ce qu’il trouve de bonnes raisons de croire à nouveau au discours du gouvernement. Sur ce terrain d’abord politique, ce n’est visiblement pas M. Yousfi qui changera la donne.