21eme manifestation populaire à Alger : la réponse du Hirak (Reportage) - Maghreb Emergent

21eme manifestation populaire à Alger : la réponse du Hirak (Reportage)

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Alger n’a probablement jamais été aussi difficile d’accès, depuis le 22 février, qu’en ce vendredi. Les barrages de police et de gendarmerie étaient plus nombreux que d’habitude sur les routes menant vers le centre de la capitale  et il fallait une volonté de fer et beaucoup de patience pour arriver sur le lieu où devait démarrer la 21eme manifestation de la révolte populaire.

Cette semaine, les manifestants s’étaient promis d’être nombreux pour dire au chef de l’Etat-major de l’armée que le peuple voulait un Etat mené par des civils et non par des militaires. Une réponse au discours tenu, mercredi dernier, par le chef de l’Etat-major qui avait affirmé que ceux qui brandissaient le slogan « Etat civil et non militaire » étaient manipulés par des cercles hostiles à l’Algérie.

Peu avant 13 heures, en face de la Grande poste, des centaines de personnes avaient déjà occupé les lieux, criant aussi haut et fort qu’elles ne voulaient pas d’un régime militaire. Comme la semaine dernière et celle d’avant, les policiers étaient nombreux sur place, à la Grande poste, mais également à la rue Didouche Mourad, à la rue Amirouche et dans les quartiers alentours. Leurs véhicules étaient stationnés des deux côtés de la chaussée à la Place Audin et à la rue Abdelkrim El Khattabi.

La forte présence policière, étouffante depuis le 18eme vendredi, semblait passer presque inaperçue hier. Les manifestants avaient une seule chose à l’esprit. Ils étaient venus contredire l’homme fort du moment, en Algérie, et ils l’ont fait de manière bruyante, avec instruments de percussion et trempettes à l’appui.

A l’écart de la foule, un groupe s’était formé autour d’un journaliste d’une agence de presse internationale. La question posée avaient piqué au vif ses interlocuteurs.  « Non monsieur, le football ne nous fera pas oublier ce pourquoi nous sortons chaque vendredi», répond, irrité, un quinquagénaire. « Personne ne manipulera ce peuple avec le football, parce que ce peuple a tout compris », enchaîne un autre.

La veille, l’équipe algérienne de football avait battu celle de la Côte d’ivoire en quarts de finale de la Coupe d’Afrique. Le lendemain le sujet semblait inévitable. Un peu plus loin, à la rue El Khettabi, la même question est posée à d’autres manifestants. Mais cette fois-ci, c’est une explosion de colère qu’elle provoque. Le journaliste qui l’a pose travaille pour une chaîne de télévision algérienne pas très appréciée par les animateurs du Hirak. « Vous venez nous parler de football un  jour de manifestation », vocifère un l’un d’eux. Le journaliste et son caméraman tentent de calmer les esprits de leurs vis-à-vis jusqu’au moment où quelqu’un  crie « dégage ». Il est immédiatement imité par ses compagnons.

Les journalistes reculent devant la foule qui commence à perdre patience. Des deux côtés de la chaussée, les policiers dos à leurs fourgons suivent la scène.  Quelques-uns des manifestants engagent à nouveau la conversation avec les journalistes. Mais l’échange ne dure pas longtemps, des fourgons de police arrivent,  les gens s’écartent. Quelque chose vient de se produire. Derrière les fourgons qui roulent en direction de la Grande poste apparait une foule. D’autres manifestants venaient d’arriver. On n’avait pas vu le temps passer. Il était presque 14H00,  la prière du vendredi était terminée et le coup d’envoi officiel de la manifestation avait été donné.  

Les premiers marcheurs de l’après-midi brandissaient des pancartes et des drapeaux, devancés par les jeunes en gilets orange qui veillent, comme d’habitude, à ce qu’il n’y ait pas de frictions avec les policiers.

La volonté d’en finir avec le régime militaire pour le remplacer par un régime civil était clairement affichée. On l’exprimait en criant, en chantant et sur la multitude de pancartes que l’on arborait.

Une partie des slogans était dirigée contre la personne du chef de l’Etat-major de l’armée, lui-même.  

Les marcheurs étaient nombreux mais visiblement pas autant que les dernières semaines, probablement en raison du verrouillage de la capitale par les forces de sécurité. A la rue Didouche Mourad, habituellement, le flot des manifestants est ininterrompu pendant plusieurs minutes. Cela n’a pas été le cas ce vendredi. La rue est redevenue clairsemée quelques minutes seulement après l’apparition des premiers marcheurs.

« Il ya quelque chose qui ne va pas. Il n’y a pas assez de monde, aujourd’hui », remarque une consœur journaliste, quelque peu inquiète. Au bout d’un moment, des drapeaux apparaissent à nouveau du haut de la rue Didouche Mourad. Des centaines de personnes scandant des slogans en faveur de l’instauration d’un régime civil descendaient la rue. A l’avant-garde, une banderole sur laquelle on pouvait voir le portrait de Lakhdar Bouregaa, l’ancien moudjahid placé en détention provisoire, il y a deux semaines, pour avoir tenu des propos qualifié de démoralisants pour l’armée nationale.

Un peu plus tard, d’autres manifestants arrivent de la rue Hassiba Benbouali se dirigeant vers la Grande Poste. Les manifestants des quartiers de l’est d’Alger apportent comme à chaque fois un nouveau souffle à la manifestation.

Ce vendredi, la révolution du sourire avait mérité son nom. Parmi les marcheurs, un jeune homme, des palmes aux pieds et un masque de plongée sur le visage marchait difficilement mais dignement parmi les révoltés. Il était sans cesse entouré de personnes souhaitant  se prendre en photo avec lui. Le message du jeune plongeur est clair. Les week-ends d’été, c’est à la manifestation qu’il faut les passer. Pas très loin des arrêts de bus de la place Audin, un jeune est assis sous un parasol avec à ses pieds l’attirail du parfait estivant et une pancarte sur laquelle on pouvait lire en arabe « Plage Audin ».

Il faut dire que ce vendredi a été particulièrement chaud. Les gilets orange, munis de pulvérisateurs aspergeaient, sans cesse, les gens avec de l’eau fraîche. Mais rien ne remplace un arrosage au tuyau à partir d’un balcon. Un moment très apprécié par les marcheurs. De fait, à la place Audin, un homme apparait d’un balcon au deuxième étage et offre une douche gratuite à ceux qui le souhaitent. Les gens couraient en riant se mettre au-dessus du balcon pour se rafraîchir sou l’eau.

Un homme arrive avec une poussette et place son fils, qui n’a pas encore deux ans, directement sous la cascade d’eau. L’enfant est ravi et quelques instants plus tard il sort une bouteille d’eau en plastique presque  vide et tend son bras espérant la remplir. Les personnes qui l’entourent éclatent de rire en voyant que l’enfant voulait à la fois se rafraîchir et stocker un peu d’eau pour la route. Sous une pluie d’eau fraîche, un 12 juillet, les éclats de rire ont une sonorité particulière.

En dépit de la chaleur,  le 21eme vendredi de la révolte a réuni des enfants en bas âge, des personnes âgées et des handicapés. Alger était presque inaccessible et malgré tout, les manifestants sont venus en grand nombre au centre-ville. Il y avait un message à délivrer. Les manifestants se sont prononcés contre l’instauration d’un régime militaire. Et apparemment, ils ne sont pas près de changer leur fusil d’épaule.

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