Les exportations pétro-gazières algériennes ne profiteront ni du chaos en Libye ni de la crise euro-russe - Maghreb Emergent

Les exportations pétro-gazières algériennes ne profiteront ni du chaos en Libye ni de la crise euro-russe

Facebook
Twitter

Dans cette contribution, Abderrahmane Mebtoul* explique pourquoi ni les violences actuelles en Libye ni la crise entre la Russie et l’UE au sujet de l’Ukraine ne peuvent profiter aux exportations algériennes de pétrole et de gaz. Il rappelle que ces exportations, au vu de l’expansion de la consommation intérieure, sont vouées à un déclin rapide et que l’exploitation des gaz de schiste pour maintenir à leur niveau les revenus de l’Etat est aussi coûteuse que nocive pour l’environnement.

 

 

Avant les événements qui ont débouché sur la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi, la production libyenne de pétrole représentait 1,6 million de barils par jour. La Libye est le deuxième producteur de pétrole brut en Afrique après le Nigeria et devant l’Algérie disposant de la plus grande réserve de pétrole en Afrique estimée à 48 milliards de barils.

Le pétrole libyen est un pétrole léger de haute qualité qui concurrence celui algérien. La Libye dispose également de réserves importantes de gaz naturel (1.548 milliards de m3) qui sont jusqu’à présent peu exploitées : environ 28 milliards de m3 étaient produits avant le 17 février 2011, dont la moitié était utilisée dans le pays, en particulier par les centrales électriques.

Membre de l’OPEP, la Libye a les capacités d’augmenter sa production à 3 millions de b/j à l’horizon 2015/2020. Avec l’insécurité et la guerre civile, nous avons assisté à un net recul de cette production et à la fermeture de plusieurs champs pétroliers. Ce pays produisait encore 570.000 barils de pétrole par jour au début de 2014. Ce chiffre est tombé à 230.000 barils par jour. Le champ pétrolier d’al-Chamarra, qui produit à lui seul plus de 300.000 barils par jour, a déjà été fermé pendant deux mois, fin 2013, et à nouveau début janvier, en raison d’une occupation du site par la population locale avec des pertes évaluées à environ 10 milliards de dollars en sept mois. Or, le secteur pétrolier représente 70% du PIB, 98% des recettes d’exportations et 95% des ressources de l’Etat.

Face à cette situation trouble, les compagnies pétrolières étrangères hésitent à reprendre le chemin de la Libye et à y investir. Ceci étant dit, les récents évènements , comme je l’ai souligné dans une interview au quotidien El Khaibar (20 avril 2014), auront une répercussion très faibles sur les cours mondiaux, du fait donc que la production libyenne entre 2012 et 2013 était déjà très faible et que les traders ont anticipé la situation actuelle autant que celle prévalant au Nigeria : les cours boursiers du 21 mai 2014 montrent une légère hausse des prix de pétrole (environ de 1 à 1,5 dollars) : 110 dollars le BRENT et 102 le WIT.

 

La Russie ne peut décider facilement de ne pas vendre son gaz à l’Europe 

 

Qu’en est-il des plus grands producteurs mondiaux du pétrole et de gaz ? Cela peut évoluer en fonction des nouvelles technologies et des nouvelles mutations énergétiques mondiales. Selon CIA World Factbook de janvier 2012, les cinq pays où les réserves de pétrole traditionnel sont les plus importantes sont l’Arabie Saoudite, le Venezuela, le Canada, l’Iran et l’Irak. Cependant, la révolution du gaz de schiste aux USA fera de ce pays le premier producteur pétrolier mondial en 2015 (avec environ 11 mbj) et le mènera vers l’indépendance énergétique à l’horizon 2035, tout en lui conférant un avantage compétitif grâce à des prix bas.

La récente discussion du traité de libre échange entre les USA et l’Europe devrait également avoir des répercussions stratégiques sur la sphère énergétique. Précisons qu’en 2013, la Russie était le plus important producteur de pétrole au monde. Avec 523,2 millions de tonnes produites elle dépasse même les records des années 1990, selon quotidien Novye Izvestia, citant le ministre russe de l’Energie, Alexandre Novak. Aussi du fait du ralentissement de la demande mondiale , bon nombre de pays peuvent transitoirement servir de tampon à la baisse des exportations libyennes de pétrole. 

Qu’en est-il du gaz conventionnel ? Selon CIA World Factbook de janvier 2012, pour le gaz traditionnel, les réserves les plus importantes sont dans l’ordre celles de la Russie, de l’Iran, du Qatar, de l’Arabie saoudite, des USA, du Turkménistan, des Emirats arabes unis, du Nigeria, de l’Algérie et de la Libye . Là aussi, il faut introduire la tendance à l’autosuffisance des USA grâce au gaz de schiste. Le Wall Street Journal note une baisse importante de l’importation de gaz nigérian et algérien entre 2012/2014, baisse qui devrait s’accentuer comme le montre la baisse des exportations algériennes en direction des USA en 2013.

Fait important, le PDG de Gazprom a indiqué 19 mai 2014 que bien qu’envisageant de faire croître ses exportations en direction de la Chine (une canalisation gazière est prévue) il n’était pas question de suspendre les livraisons de gaz à l’Europe malgré la crise ukrainienne. Les parts de marché russes en Europe sont passées de 25,6 % en 2012 à 30 % en 2013. Un arrêt total des exportations vers l’UE ferait perdre 75 milliards de dollars à la Russie et pourrait entraîner « un repli de l’ordre de 3,7 % du PIB » selon Charlotte de Lorgeril, du cabinet SIA Partners. 

Gazprom a écoulé 162,7 milliards de m3 vers l’UE et la Turquie en 2013, dont 86 milliards cédés à l’Ukraine. Par le passé, ce pays était, comme la Biélorussie, un important passage du gaz russe à destination de l’Europe (jusqu’à 80%). Cette part a diminué depuis la création du gazoduc North-Stream (55 milliards de m3 gazeux) qui va de la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique. Elle tendra à diminuer encore avec le gazoduc South-Stream (65 milliards de m3 gazeux), qui passera par la Bulgarie et la Hongrie à fin 2015… Ce sont ces deux gazoducs qui expliquent le gel du projet algéro-italien GALSI (8 milliards de mètres cubes gazeux) dont le coût est passé de 2 milliards de dollars à plus de 4 milliards de dollars non rentables (coût supérieur à 15% par rapport au South Stream approvisionnant l’Italie).

 

L’Algérie peut-elle profiter de la crise ukrainienne et des événements en Lybie ? 

 

 

En Libye l’investissement de Sonatrach est estimé officiellement à quelque 50 millions de dollars mais faute de transparence, on ne sait pas quelle a été sa rentabilité. L’Algérie a des réserves faibles (moins de 0,8% des réserves mondiales de pétrole traditionnel). Au rythme actuel de la consommation intérieure et des exportations, l’on va vers leur épuisement en moins de 15 années.

Pour le gaz naturel (1,5% des réserves mondiales), l’on devrait s’orienter vers une consommation intérieure plus importante du fait que le gouvernement a décidé de doubler la production d’électricité à partir des turbines à gaz. La consommation intérieure sera ainsi de 70 à 75 milliards de mètres cubes gazeux en 2017 dépassant de loin les exportations actuelles qui ont d’ailleurs fortement régressé. Selon Africa Energy Intelligence (2 novembre 2013) le méga-champ gazier de Hassi R’mel connaît une baisse sensible de sa production, faute de travaux de développement et d’entretien. Ce site, qui produisait 75 milliards de m3 en 2008, n’en a livré que 55 milliards en 2012. Les exportations algériennes de gaz seraient passées de 60 milliards de m3 en 2007, à 52 milliards en 2011, à 55 milliards en 2012 et à environ 50 milliards en 2013 et ce, alors que les extrapolations du ministère de l’Energie tablaient sur une exportation de 85 milliards de mètres cubes gazeux entre 2012 et 2013. L’attaque terroriste en janvier 2013 à Tiguentourine (18% des exportations) n’explique pas tout. Les parts de marché de l’Algérie en Europe sont passées de 13-14% entre 2007 et 2008 à 9% en 2013. Nous assistons à une réduction des importations vers ce continent (qui demande une révision des prix à la baisse) et les USA qui deviendront le concurrent direct de Sonatrach en 2017 . L’on devra prendre également en compte à la fois les importantes découvertes en Méditerranée, la concurrence de la Russie, du Qatar et très prochainement de l’Iran. Ces trois pays détiennent plus de 50% des réserves mondiales et surtout maîtrisent le savoir-faire alors que Sonatrach connaît un exode de cerveaux massif et n’a pas prévu de relève.

Le ministre de l’Energie a annoncé officiellement que l’on devrait s’orienter vers une consommation intérieure entre 100 et 110 milliards de mètres cubes gazeux entre 2025 et 2030. L’Algérie sera sans pétrole et sans gaz conventionnel horizon 2030, avec une population dépassant les 50 millions d’habitants. Aussi, du fait de cette situation (rigidité de l’offre, forte demande intérieure, etc.) elle ne peut profiter de la situation en Libye que très faiblement.

Selon le dernier rapport mondial du Département américain de l’Énergie (DOE) sur les réserves des hydrocarbures non conventionnels, l’Algérie est classée au 3e rang mondial, juste après la Chine et l’Argentine, en termes de réserves de gaz de schiste récupérables. Le DOE évalue ces réserves à 19.800 milliards de m3 situés essentiellement dans les bassins de Mouydir, Ahnet, Berkine-Ghadames, Timimoun, Reggane et Tindouf. A ce sujet il faudrait rappeler d’abord que le gaz de schiste est concurrencé par d’autres énergies substituables et que les normes internationales donnent un coefficient de récupération de 15%. 1.000 puits, dont la durée de vie ne dépasse pas cinq années, donnent environ 50 milliards de mètres cubes gazeux par an, le coût de forage d’un puits en Algérie est estimé entre 15 et 20 millions de dollars, supposant un prix de cession supérieur à 15-17 dollars le MBTU. Mais le forage de 1.000 puits reste juste une hypothèse puisque même pour le gaz traditionnel, le maximum de puis forés n’a jamais dépassé 200 puits donnant 10 milliards de mètres cubes gazeux non conventionnels. Pour s’aligner sur le prix de cession européens actuel s (9 à 11 dollars le MBTU, le prix aux USA étant de 4 à 5 dollars le MBTU) le coût de forage d’un puits devrait avoisiner moins de 10 millions de dollars. 

Certes, l’on ne doit pas écarter cette option à terme, dans le cadre de la transition énergétique reposant sur un mix énergétique comprenant les énergies renouvelables. Mais l’on ne doit pas oublier non plus que l’exploitation du gaz de schiste nécessite une forte consommation d’eau douce (1 millions de mètres cubes pour un milliard de mètres cubes gazeux) et peut avoir des effets nocifs sur l’environnement, comme la destruction des nappes phréatiques du Sud que se partagent l’Algérie, le Maroc, la Libye et la Tunisie (200 produits chimiques sont injectés lors de la fracturation hydraulique). 

(*) Professeur des Universités, expert international en management stratégique.

Facebook
Twitter